FN diabolisé ou FN normalisé ?

Les médias bruissent de l’affaire BuzzFeed. Ce "site indépendant", dont les lecteurs de Boulevard Voltaire savent bien, désormais, ce que l’on peut retrouver derrière ce type d’appellation, s’est offert le temps et le luxe de passer au crible les 573 candidats et suppléants FN aux élections législatives. Avec examen soigné de leur expression politique sur les réseaux sociaux, quitte à mélanger allègrement ce qu’ils disent, écrivent ou postent, ce qu’ils commentent ou ce qu’ils ont tout simplement "liké". Résultat : 97 candidats sont épinglés et, donc, mis au pilori médiatique sous l’inculpation, sans appel ni possibilité de réponse, de racisme, discrimination, homophobie, antisémitisme, etc. (on peut cumuler, pour les plus veinards).

L’opération fonctionne puisqu’elle permet un tourbillon multimédia et multi-support de 24 heures en boucle, à moins d’une semaine du vote du premier tour.

L’observateur averti qui suit le FN de longue date s’interroge : comment, après plusieurs années de traque et de purge sans pitié, les responsables du parti arrivent-ils à investir 20 % de leurs candidats qui restent de sombres imbéciles, incapables de nuance ou d’humour, décidément indécrottablement racistes, antisémites (vous connaissez la liste par cœur) ?

En fait, ce qu’on constate, c’est que ce qui déclenche les foudres du politiquement correct est systématiquement la même chose : un candidat qui critique radicalement l’immigration, parle de la menace du Grand Remplacement, lie insécurité et immigration, voire islam, insécurité et immigration, ou encore critique la loi Taubira et ses manifestations annexes.

C’est cette nouveauté qui est effrayante : là où le FN d’antan était diabolisé sur ses accointances réelles, humoristiques ou fantasmées avec un passé de type Algérie française, Vichy ou autre, le voilà désormais diabolisé pour le cœur de son programme, pour ce qui justifie son existence depuis quarante ans et qui n’avait, jusqu’à ce jour, fait l’objet d’aucune diabolisation similaire, d’aucune criminalisation médiatique.

Ce terrifiant glissement des bases de la diabolisation du FN montre que, quoi qu’il fasse, le FN sera diabolisé et il semble illusoire de penser qu’il puisse en être autrement. Tant qu’il porte le discours identitaire et civilisationnel, le FN est une cible. Il le sera d’autant plus que le système se sentira menacé et que la pression montera sur ces sujets-là. Quand le système aura perdu tout contrôle sur le réel, il ne prolongera sa survie qu’en diabolisant ses adversaires.

Il est donc parfaitement illusoire de suivre ses oukases médiatiques. Le FN étant un peu paumé en ce moment, il a logiquement montré, sur ce point aussi, le visage de la division. Interrogé par les procureurs médiatiques, David Rachline, directeur de la campagne présidentielle de Marine Le Pen, s’est servilement aplati en expliquant que des enquêtes internes seraient menées, les coupables traduits devant les instances et inévitablement exécutés – pardon, exclus. À sa décharge, on peut dire que cette logomachie est systématiquement utilisée depuis quatre ans. De son côté, Nicolas Bay a été plus courageux, s’est porté caution immédiate de ses 573 candidats et militants et, devant Aphatie médusé, a annoncé que personne ne serait sanctionné et que ces braves gens ne disaient que la vérité que plus personne n’osait dire. Peut-être un signe, là encore, d’une inflexion de ligne bienvenue au FN…

Ce dont on se rend compte, enfin, c’est que le seul discours que le système tolère au FN, c’est son discours sur l’économie et la monnaie. Sur ce point-là, c’est vrai, point de diabolisation. Point de suspicion de "fake news". Et pour cause ! Le système tolère ce discours parce qu’il le sait à la fois politiquement inopérant (et même, pire encore, parfait épouvantail au rassemblent des droites) mais encore parfaitement inoffensif dans le grand combat qui s’annonce entre les identitaires et les libéraux, les sédentaires et les nomades, les communautés organiques et les individus communautarisés suivant leurs préférences de consommateurs.

C’est de ne vouloir pas comprendre cela que l’on peut reprocher à Florian Philippot. Je lis, ici ou là dans les réactions des lecteurs de Boulevard Voltaire, une incompréhension sur la nature de la critique de Philippot. Son erreur d’analyse peut être mortifère pour le FN. Refuser au FN un discours identitaire ou noyer ce dernier dans un grand magma économiste, c’est servir le système en ne lui laissant qu’un opposant informe, aveuglé, affaibli.

Les dirigeants du FN n’ont que peu de temps pour choisir entre faire face à la diabolisation pour sauver leur âme – et la nôtre – sur les combats les plus essentiels, ou disparaître à petit feu, normalisés, digérés et installés dans une réserve d’opposition bien utile à la survie du système.

Philippe Christèle
Philippe Christèle
Consultant international

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