Frédéric Pons : « Les sanctions auront peu d’effets supplémentaires »

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Frédéric Pons, journaliste, écrivain, professeur, président de l'Association des journalistes de défense, est l'auteur d'un Poutine, paru en 2018 aux Éditions Calmann-Lévy. Joint ce 24 février par Boulevard Voltaire, il doute de l'efficacité des sanctions occidentales contre la Russie.

Vous êtes journaliste et essayiste. Vous avez notamment publié Poutine aux Éditions Calmann-Lévy. La Russie a déclaré la guerre à l’Ukraine et elle est plus ou moins en train d’envahir l’Ukraine.  Croyait-on à ce scénario ?

À vrai dire beaucoup de gens n’y croyait pas sauf les Américains qui se persuadaient qu’il y aurait une invasion terrestre générale. Nous n’en sommes pas là !

Je pense que Poutine a essayé d’obtenir ses objectifs politiques par la voie diplomatique. Il a voulu obtenir la neutralisation de l’Ukraine, l’interdiction de l’Ukraine d’entrer dans l’OTAN et une réorganisation de l’architecture de sécurité en Europe. Il a vu que sur le plan diplomatique, cela ne marchait pas. Comme toujours chez Poutine il avait préparé le coup suivant qui était cette option militaire. Il avait cela en tête depuis le mois de septembre 2021 et avait mobilisé des troupes aux différentes frontières de l’Ukraine.

Ses services ont fait un travail de renseignements très important pour essayer de localiser les centres de commandements, de détection, de contrôle et les arsenaux ukrainiens où les Américains et les Européens ont livré ces dernières semaines des armes qui pouvaient être dangereuses dans le cas d’un conflit avec la Russie.

Il fait effectivement la guerre à l’Ukraine, mais ce n’est pas une invasion générale. Il est en train de neutraliser et de décapiter les moyens les plus redoutables que possède l’Ukraine, notamment les dépôts d’armement et les centres radar. Et en même temps, par des petites incursions aux différentes frontières, il essaie aussi d’obtenir un étirement insupportable de l’armée ukrainienne qui ne peut pas tout contrôler. La malheureuse petite armée ukrainienne ne peut pas tout faire. À terme, pour sécuriser le Donbass, il est en train de casser toutes les possibilités de contre-offensive ukrainienne sur le Donbass.

Lorsqu’on lit les derniers rapports sur l’armée ukrainienne, elle peut difficilement résister à l’armée russe. Du côté européen et américain, on s’en tient pour l’instant aux fameuses sanctions. Il existe déjà des sanctions économiques vis-à-vis de la Russie. Peut-on parler de mesures efficaces ?

Pas vraiment. Les sanctions dirigées contre un pays ne sont jamais agréables pour ce pays. Elles affaiblissent le pays et appauvrissent la population. On le voit en Iran en ce moment avec ses sanctions. Pour la Russie, je crois que les sanctions n’auront pas beaucoup d’effets supplémentaires pour plusieurs raisons.

Premièrement, sur le plan psychologique, la Russie est résiliente devant les sanctions. Lorsqu’on lit leur manuel d’histoire, la Russie n’a jamais été aussi grande que lorsqu’elle a résisté à l’invasion et aux sanctions. Cela nourrit cet esprit de résistance russe. Ils disent qu’ils ont connu pire.

Deuxièmement, depuis l’annexion de la Crimée, la Russie subit des sanctions. On peut dire que depuis 2014, la Russie s’est mise en ordre de bataille face à ces sanctions. La Russie a rapatrié des productions qui été autrefois achetées à l’étranger. Elle développe des productions locales et nationales. Sur le plan économique, c’est un leitmotiv de Poutine.

Ces dernières années, la Russie s’est constituée une réserve de six cents milliards de dollars pour résister à l’adversité. J’ajoute qu’en huit ans, la Russie a su développer des circuits discrets, opaques parfois même clandestins qui passent par Dubaï et par la Chine pour résister et contourner ces fameuses sanctions internationales, notamment européennes et américaines, qui font souffrir non seulement la population russe, mais aussi les producteurs agro-industriels européens et des entreprises européennes, et notamment Françaises, qui travaillent en Russie.

Du côté allemand, on va arrêter le chantier du fameux gazoduc Nord Stream 2 qui devait acheminer du gaz russe en Allemagne via la mer Baltique. Du côté anglais, on a gelé les avoirs de trois milliardaires considérés comme des proches de Poutine. Et du côté des États-Unis, on coupe les financements occidentaux de la Russie. La Russie ne peut plus faire de levers de fond dans les pays occidentaux. Ces mesures un peu plus fortes vont-elles faire plier la Russie ?

Non, je crois que cela ne fera pas plier la Russie, mais plutôt gêner un certain nombre de gens.

Peut-être que Poutine ne s’attendait pas à ce gel du projet Gazoduc Nord Stream par l’Allemagne. Reste à savoir dans la durée, qui va être la principale victime. Est-ce l’Allemagne et une partie de l’Europe qui se chauffent grâce au gaz russe ? On verra, c’est trop tôt.

La demi-douzaine de banques russes affectées par ces sanctions vont devoir trouver des moyens de se financer ailleurs. Il est vrai que les oligarques et les dirigeants autour de Vladimir Poutine qui sont visés par ces sanctions vont voir leurs avoirs gelés et n’auront plus de visa. Ce sera un peu plus difficile pour eux.

La mise à l’écart de la Russie et du système SWIFT, ce réseau international de paiement va gêner les transactions de la Russie. Tout cela est vrai, mais je pense sincèrement que la Russie peut encaisser tout cela et qu’elle a les moyens de contourner en partie ce régime de sanctions.  À ma connaissance, les sanctions internationales mêmes dans la durée n’ont jamais mis à terre un grand pays comme la Russie.

Si ces sanctions économiques s’avèrent inefficaces, quelle option reste-t-il sur la table ? Un conflit à grande échelle est-il à craindre pour vous ?

À l’heure actuelle, non. C’est là-dessus que joue Vladimir Poutine. Il a échoué sur le plan diplomatique et n’a pas eu ce qu’il voulait. Il lui restait l’option militaire plus martiale. Il a compris que ni les Américains ni les Européens n’iraient risquer une vie en Ukraine. Personne n’a envie de mourir pour l’Ukraine. À l’heure actuelle, la seule riposte occidentale est de livrer davantage d’armement à l’Ukraine, ces armements que surveille très précisément Poutine et qu’il est en train de casser en ce moment. On ne voit pas qui irait se lancer en Ukraine dans une opération militaire pour contrer la Russie.

L’Occident va faire de grandes déclarations, va appliquer des sanctions et va livrer des armements, mais cela s’arrêtera là. C’est le calcul de Poutine. Il y a évidemment des incertitudes liées à la guerre. Si Poutine va trop loin, si des civils sont tués en masse et si éventuellement des coopérants américains, allemands ou anglais présents en ce moment en Ukraine sont tués, alors là, on franchira un nouveau palier, mais pour le moment je ne vois pas d’offensive terrestre générale de la Russie et je ne vois pas de riposte militaire directe de l’Amérique ou de l’Europe face à la Russie.

Marc Eynaud
Marc Eynaud
Journaliste à BV

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