Gabriel Matzneff, écrivain

byron

Réagissant à l’agression d’extrémistes des deux rives, lors d’un débat dans un café littéraire, l’écrivain Jean Ristat qualifiait Gabriel Matzneff d’homme de la liberté mais aussi d’homme de l’amour. « Je suis et reste à ses côtés, lui le “garde blanc” comme le surnommait Elsa Triolet et à qui Aragon n’hésitait pas à donner la une des Lettres françaises. »

Bernanos nous avait prévenus : « Les ratés ne vous rateront pas. » Quand j’ai appris que notre falot ministre de la Culture voulait taper au portefeuille de l’écrivain, franchement, bien qu’ardent défenseur de la réduction des dépenses publiques, je me suis dit que jamais je n’aurais imaginé demander des comptes au Centre national du livre concernant une allocation versée à certains écrivains pour compenser les difficultés financières liées au grand âge ou à la maladie, dont Matzneff serait bénéficiaire. Rappelons que l’écrivain est aujourd’hui âgé de 83 ans même s’il porte beau. Il faut dire qu’il parlait de diététique bien avant la mode et qu’il se fendit, en 1984, d’une Diététique de lord Byron. Un Byron certes matznévien, précisait l'écrivain et critique littéraire Grégoire Dubreuil. « L'amour entre un adolescent rebelle et l'œuvre d'un aîné (“Byron fut le dieu de mon adolescence”),l'estime et la gratitude d'un écrivain à un pair (“Il demeure mon maître, mon complice”), l'affection entre deux hommes qui ne se seront connus et rejoints dans l'éternité que par ces étranges messagers que sont leurs livres. »

Pour le jeune provincial que j’étais, Saint-Germain-des-Prés avait une aura particulière pour qui aimait la littérature, et la vie littéraire semblait s’y être réfugiée, ainsi que les salles de cinéma Art et Essai. Tout ça a bien changé. Parmi mes Maîtres et Complices, Balzac, Dumas, Stendhal, Dostoïevski, Wilde, Montherlant ou Nabokov, j’avais aussi Fitzgerald, ainsi que le bien-vivant Matzneff. Un point de vue, une façon de dire les choses, de les vivre, un style. Non seulement je n’ai plus vu le jardin du même œil après avoir lu Nous n’irons plus au Luxembourg, mais j’ai relu Tintin, Les Trois Mousquetaires et enfin lu Bossuet avec un plaisir décomplexé. Ivre du vin perdu fut sans doute mon préféré, même si j’ai adoré retrouver toute la fine équipe dans Harrison Plaza. Sans Matzneff, qui connaîtrait encore lord Byron ? Qui situerait l’Église orthodoxe russe — où j’ai retrouvé ma foi de catholique, rue Daru ? Qui d’autre que Matzneff pour s’enchanter de l’humour froid de Jésus répondant au futur traître Judas qui feignait de se soucier des dépenses de Marie-Madeleine : « Les pauvres, vous les aurez toujours parmi vous ; mais moi, vous ne m'aurez pas toujours » (Jean, XII, 1-8.) ?

On avait oublié ce ministricule au point qu’on a du mal à retenir son nom. Il est sûr que ce n’est pas Malraux. Il s’est juste fait connaître pour avoir trahi sa famille politique de droite en rejoignant la gauche, pourtant réélu député sous l’étiquette LR, donc fort des voix d’électeurs de droite qui, déjà, s’opposait à l’hégémonie de la gauche sous sa nouvelle forme macronienne.

Vanessa Springora, aujourd’hui éditeur, raconte, dans Consentement, comment, adolescente, elle a été séduite par le presque quinquagénaire au milieu des années 1980 et le poids de cette histoire sur sa vie. Mais ce n’était ni Dutroux, ni Gilles de Rais. Quant à ceux qui ont lu Nabokov, ils savent qu’au fond la vraie victime ce n’est pas Lolita mais Humbert Humbert. Mais au ministère de la Culture, ouh là là !, ce n’est pas comme ça qu’on voit les choses.

Thierry Martin
Thierry Martin
Auteur, dirigeant d’entreprise, sociologue de formation

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