[L’ÉTÉ BV] Gainsbourg, Depardieu… : est-on vraiment obligé de les défendre ?
Tout l'été, BV vous propose de relire certains articles de l'année écoulée. Ici, des nouvelles de notre civilisation.
« Les ennemis de mes ennemis sont mes amis. » Cette sentence, inculquée en classe de 5e par de nombreux profs de maths afin que leur élèves n'oublient jamais que « moins par moins fait plus », est un moyen mnémotechnique formidable. Sauf qu'il ne devrait jamais quitter l'enceinte du collège.
Ainsi, sur les réseaux sociaux ou dans les médias, une bonne partie de la droite est entrée en croisade contre une pétition. Lancée sur le site change.org le 26 novembre dernier, l'objet en est simple : les signataires (ils sont déjà plus de 3.400) ne veulent pas que l’une des six nouvelles stations du prolongement de la ligne 11 du métro soit nommée « Serge Gainsbourg », « un homme violent, misogyne notoire et chantre de l’inceste », peut-on y lire notamment.
Aussitôt a été reconnue la marque du féminisme MeToo. Et comme par un réflexe pavlovien, des ténors de la droite fustigent la cancel culture, le wokisme, qui voudraient déboulonner nos figures tutélaires légendaires. Serge Gainsbourg est soudain enveloppé du nimbe de Saint Louis. On savait qu’il descendait les bouteilles, un peu moins qu’il guérissait les écrouelles.
Non. Les ennemis des ennemis ne sont pas nécessairement des amis. Et d’ailleurs, si l’on suivait cette règle simpliste, on commencerait par se méfier d’une suggestion sortie du cerveau, en 2013, du cacique socialiste Daniel Guiraud, à l'époque maire des Lilas, aujourd'hui vice-président de la métropole du Grand Paris et père de l’ineffable David du même nom.
Depardieu, Polanski, etc. Pourquoi faudrait-il se sentir obligé de défendre bec et ongles de vieilles gloires portées au pinacle par la gauche libertaire d’hier, celle de Mai 68, au motif qu’elles sont attaquées dans un violent retour de balancier - assez mérité - par la gauche puritaine (un puritanisme sélectif, j’en conviens), la gauche féministe d'aujourd'hui ? Ils se dévorent entre eux, grand bien leur fasse, c’est leur problème. On voudra bien me dispenser, le jour venu, je l’espère, de me faire l’avocate de Daniel Cohn-Bendit ?
Je connais tous les arguments, les officiels et les officieux. Sur BFM TV, la journaliste et essayiste Anna Cabana, excédée par tant d'obscurantisme, parle d’un « politiquement correct et d’une cancel culture sans limite », accable de son mépris les fronts bas qui critiqueraient le clip et les paroles de la chanson à (grand succès) Lemon Incest. Elle décrit Serge Gainsbourg « en chemise » (en fait torse nu, en pantalon) et sa fille Charlotte, 13 ans, « en sous-vêtements » dans un lit mais pour elle, bien sûr, « on est dans le second degré, voire le 18e degré ». Pourquoi pas le 42e ? «< On ne peut pas renoncer à l’ironie », explique-t-elle. D’ailleurs, renchérissent certains sur les réseaux sociaux, les paroles de la fameuse chanson, si on les lit bien, iraient plutôt dans le sens du combat contre l’inceste et la pédophilie : il évoque précisément « l’amour qu’ils ne feront pas ensemble ». Mais bien sûr. Les esprits supérieurs, qui repèrent parfaitement le 2supm>e degré, ne voient pas, en revanche, de prétérition ni d’antiphrase. Cet homme était un tel modèle de droiture morale, comment lui prêter de telles intentions (attention, antiphrase) ? D’ailleurs, sa fille elle-même, dans Télérama (média de confiance s’il en est), ne témoignait-elle pas, en février 2021 : « Lemon Incest est une déclaration d’amour pure et innocente pour sa fille » ? N’est-ce pas merveilleux ? On en déduit que si, d’aventure, une fillette vient voir un jour ces braves gens et leur montre, sur son téléphone, une mise en scène scabreuse avec son père, aucun d’entre eux ne pensera à mal. Tout au plus concluront-ils que ce papa est très engagé dans le combat contre l’inceste - puisqu'il le dit ! - et que la petite a bien de la chance d'être sa fille. Je me suis toujours demandé comment feu Jane Birkin - paix à son âme - avait pu autoriser cela.
Oui, je sais. Il est toujours plus agréable d’être du côté des intellectuels éclairés, fins esthètes qui savent faire la part entre l’homme et son œuvre. Pour une fois qu’à droite, on a prétexte à paraître ouvert d’esprit et détendu, on ne va pas le lâcher. Ce n’est pas très rock'n’roll d’être la mère la vertu, obscurantiste et boutonnée jusqu’en haut. Pas grave, je veux bien endosser ce rôle ingrat, le cortège de moqueries et de leçons de morale qui ne manqueront pas.
Je suis de la génération Charlotte Gainsbourg (et Camille Kouchner), je sais le mal que cette génération 68 a collectivement - il y a bien sûr, et heureusement, de nombreuses exceptions - fait à la mienne, celle de ses enfants. Je bénis mes parents de s’en être tenus à l’écart, mais on ne peut pas protéger complètement sa progéniture : je me souviens très bien de la sortie de Lemon Incest et de l’effet atroce de cette vidéo sur l’enfant que j’étais.
Il avait un tel talent ! Il a chanté de si belles choses ! Et puis, Le Poinçonneur des Lilas, c’est de lui, n'est-ce pas ? Alors, pour la ligne qui y va, c'est tout indiqué… Certes. Mais ce n'est pas une obligation. Il n'y a pas, non plus, de station Charles-Trenet, que je sache, à Ménilmontant. Si cette règle était impérative, ce ne serait plus le métro parisien mais Radio Nostalgie.
Écoutez Gainsbourg toute la sainte journée, si ça vous plaît. Mais ne comptez pas sur moi pour sauver votre martyrologe boiteux, votre légende dédorée, votre cortège affreux de dieux déchus libidineux en exil, à l’auréole écaillée et de guingois qui, cherchant un refuge, toquent à droite car on y a l’habitude des réprouvés. Attendez donc prudemment pour les canoniser que tout l’inventaire soit décanté, cela peut prendre du temps. Ils n’ont peut-être que ce qu’ils méritent. Cela s’appelle la justice immanente. MeToo, c’est leur Frankenstein. Le monstre qu’ils ont créé et qui leur a échappé. Il y a assez de héros oubliés - de vrais héros, en mesure de servir d'exemple aux générations futures - dans nos cartons pour rebaptiser tout le métro français. Pourquoi s'imposer ceux-là ?
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68 commentaires
J’avoue avoir été surprise et déçue du soutien à Gainsbourg apporté avant-hier par l’équipe de Face à l’info. Certes, la pétition est rédigée en écriture inclusive (ce qui me fait encore hésiter à la signer), mais je suis d’accord sur le fond. Gainsbourg me paraît un assez sale type que je n’ai pas très envie de voir donné en exemple. Qu’on écoute sa musique si on est amateur, pourquoi pas, mais c’est autre chose de donner son nom à une station de métro, une rue, etc.
Une bêtise cette idée de donner le nom d’un artiste à une station de métro ! Pourquoi pas Aznavour, Bécaud, Barbara ou encore Jean Gabin, J.J. Goldman ? Il serait plus louable d’avoir une station Berlioz ou Ravel, Debussy qui ont un autre rayonnement. Pareillement pour Delacroix, Monet, Manet et autres Utrillo. Non, décidément, la culture passe sous les rails du modèle de vie !
Les choix de vie et les obsessions des acteurs de leurs intimités de leur jeunesse deviennent transgressives lors de la vieillesse je ne les plaindrai pas car ils méritent ce retour de bâton des biens pensants . Ces frénésies sexuelles sont indécentes arrivé à certain âge ces monstres ( pas du tout sacré) non rien compris à l’amour véritable qui suscite l’émoi quand bien même on arrive au crépuscule d’une vie.
Parfait Mme Cluzel. Merci
J’abonde totalement dans votre sens ! Bravo !
Quelle génération que celle qui fît 68 ! On y trouve toutes les saloperies du moment, les Matzneff, les Cohn-Bendit, les Gainsbourg et tant d’autres qui se sont vantés de leurs turpitudes ! N’est-ce pas la Désolation évoquée par Jérémie ?
Olivier Duhamel aussi grand moraliste et donneur de leçons et toute la clique de la familia grande.
Bien envoyé, bravo !
je n’ ai pas apprécié quand il a brulé un billet de banque devant la télévision , et encore moins qu’ il ne fut pas poursuivi .
En dehors d’ un comportement immoral ,je lui reconnaissais un certain talent musical .
Et très bientôt , ce sera Picasso , que cette gauche bobo , a quasiment déifié et qu’elle va à nouveau encenser ! Picasso , cet ignoble individu , violent , misogyne , manipulateur , vénal !
Autant j’aime certaines de ses chansons ou poésies mises en musique, autant je ne déborde pas de sympathie pour l’homme, provocateur par nature, accroc au tabac et à l’alcool (aux drogues plus dures sans doute aussi) qui lui faisait dire cette formule aussi belle qu’inexacte que « la fumée conserve la viande et l’alcool conserve les fruits… »
Il est certainement appuyé par les fabricants de cigarettes. Bon, je ne l’aime pas, mais ce n’est pas le sujet, le sujet c’est le nom que l’on donne à un lieu. Ce qu’il faut absolument éviter, c’est le nom d’une personne vivante. Imaginez une place Emmanuel Macron au rond-point des Champs- Elysées ! Aussi un nom qui ne fait pas l’unanimité, difficile en plus, mais il faut un nom que tout le monde peut situer, Les- Lilas-Gainsbourg, pourquoi pas? Même moi, je situe….
J’espère que la RATP ne cèdera pas aux féminises qui ne s’émeuvent pas des atrocité perpétrées en Israël le 7 octobre
Enfin une réponse sensée Merci !!!
…une place, une station… Et ça continue avec une statue, de plus en plus grande, et ça finit par une statue, comme à la gloire de Stallne… qu’on déboulonnera un jour avec rage!
Les lilas, les roses, les peupliers, tout ça me va bien pour m’y retrouver dans une ville si grande soit-elle, et ne risque pas de changer, c’est intemporel, et surtout… éternel!
On commence par renommer une sente, une impasse, puis une avenue, une plune station
Madame Cluzel , j’aime bien votre article qui remet l’église au milieu du village , Merci
Cette gauche bobo a tendance à confondre le vrai art ( celle de l’écriture ou de l’acteur qui se contente de jouer , , certes plus ou moins bien ) avec le » HEROS » qui lui s’efface derrière les murs pour cacher sa timidité et ne recherche aucun honneur car pour lui pas de course à la gloire , pas de course à l’argent , son action est venue naturellement et sans préparation !