Gaz européen : entre hypocrisie et naïveté

gaz gazinière énergie IA Grok

En 2012, François Hollande nous avertissait : « Moi Président, il n’y aura pas d’exploration de gaz de schiste en France. » Dans la foulée, Ségolène Royal, ministre de la Transition écologique de l’époque, s’était opposée à ce qu’un méthanier américain de GNL (gaz naturel liquéfié) affrété par Engie puisse accoster à Dunkerque. Pied de nez à l’Histoire, une décennie plus tard, la France est devenue le premier importateur de GNL… de schiste américain.

À la suite de l’embargo sur le gaz russe décrété après le début du conflit russo-ukrainien, l’Europe devait trouver du gaz ailleurs. La liaison par gazoduc nous reliant au nouvel ennemi russe, la seule solution était d’accroître nos importations de GNL. Très généreusement, les Américains proposèrent leurs services : fournir en priorité à l’Europe leur GNL (de schiste) qui, à l’époque, transitait plutôt vers l’Extrême-Orient via un canal de Panama transformé pour accueillir les plus gros méthaniers du monde. Mais tout service a un prix : ce diable de gaz de schiste que les Américains payent chez eux 10 €/MWh est vendu... cinq fois plus cher sur le Vieux Continent ! Dix euros, c’était aussi le prix auquel nous achetions le gaz aux Russes avant qu’ils n’envahissent l’Ukraine, prix négocié dans le cadre de contrats long terme.

Tout augmente... et tout se complique

En 2022, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire « bombait le torse », déclarant sur les antennes : « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe », notamment en coupant le robinet du gaz. Sabotage des deux Nord Stream puis, récemment, fermeture de l’historique Brotherhood (gazoduc de la fraternité) transitant par l’Ukraine, les livraisons russes par gazoduc ont effectivement été réduites à néant. Mais - et c'est le second pied de nez à l’Histoire - ce défaut d’approvisionnement a en partie été compensé par des importations massives de GNL... russe, provenant du méga plan gazier de Yamal LNG que le russe Novatek a construit en collaboration avec le Français TotalEnergies. Avec une croissance de ses importations de plus de 80 % entre 2023 et 2024, la France est ainsi devenue le premier importateur de GNL russe. Avec, à nouveau, une légère différence par rapport au passé : au lieu des dix euros le mégawattheure réglé aux Russes avant le confit, ce GNL est maintenant payé au prix du marché spot, soit… 50 €/MWh.

Importations françaises ne veut pas dire pour autant consommation française. Malgré une baisse de consommation de gaz depuis trois ans, la demande européenne reste soutenue, notamment en Allemagne. À la suite du lancement du suicidaire Energiewende en 2010, l’Allemagne décida d’abandonner unilatéralement sa génération électrique nucléaire au profit du gaz russe. Ainsi fut-il décidé, outre-Rhin, de doubler le Nord Stream 1 pour éviter la route traditionnelle ukrainienne devenue dangereuse. Une stratégie adoubée par de nombreux acteurs obscurs, dont l’ancien chancelier socialiste allemand Gerhard Schröder, ami intime de Vladimir Poutine, mais aussi par plusieurs ONG allemandes financées par Gazprom en échange d’un lobby antinucléaire. Parallèlement, ces mêmes ONG refusèrent, pour des raisons idéologiques, que l’Allemagne construise sur la mer Baltique des terminaux de regazéification nécessaires à l’importation de GNL. Coincée, l’Allemagne est donc aujourd’hui obligée de quémander du GNL américain et russe importé en Europe via les deux terminaux français de Dunkerque et Montoir en Bretagne. Le parcours des molécules de gaz s’est donc inversé, mais son prix a été multiplié par cinq. Naïveté ou hypocrisie, à chacun de choisir !

La Chine en vue

Légitimement focalisées sur la paix, les discussions bilatérales Trump-Poutine dont les Européens sont exclus ne pourront échapper à la géopolitique du gaz. Si le nouveau locataire de la Maison-Blanche et le maître du Kremlin ne sont pas prêts d’abandonner la « vache à lait européenne », leurs yeux sont aussi rivés vers la Chine, dont les besoins en gaz seront titanesques, au cours des prochaines décennies. Reconstruire le marché gazier russo-européen en remettant en service les gazoducs (une opération simple et rapide) permettrait à Trump de rerouter son GNL vers la Chine, dont la dépendance énergétique (à la fois pétrolière et gazière) est le principal talon d’Achille. Ce n’est pas un hasard si le nouveau président américain veut avoir la main sur le canal de Panama. Un débat passionnant qui risque de faire couler beaucoup d’encre dans les mois à venir.

Picture of Philippe Charlez
Philippe Charlez
Ingénieur des Mines de l'École polytechnique de Mons (Belgique), docteur en physique de l'Institut de physique du globe de Paris, enseignant, membre du bureau politique de Identité-Libertés.

Vos commentaires

6 commentaires

  1. Tous ceux qui actuellement se chauffent au gaz en savent quelque chose. Les tarifs n’ont cessé d’augmenter. Dans certaines régions de France notamment l’Est et le Nord-Est les hivers sont froids voire rigoureux. Et si certains en ruralité peuvent encore se chauffer au bois beaucoup sont tributaires de l’énergie gazière. Qui dit ruralité, dit souvent bas salaires. L’appauvrissement des Français n’est pas qu’un simple sentiment, il est la dure réalité. Et ceux qui nous dirigent n’ont pas fini de nous en faire baver.

  2. Pendant ce temps, les français ont froid et il n’y a jamais eu autant d’incendie et de morts à cause de chauffages d’appoint, quand dans les palais de la république et les administrations territoriales, il fait largement plus de 20°, financés par nos impôts. Il devient temps de mettre de l’ordre dans tout cela

  3. Le jours où nos politiques seront tenus pour responsables sur leurs deniers de leurs erreurs dans l’exercice de leurs fonctions, nous aurons certainement un budget équilibré tandis qu’ils iront casser du caillou comme à la vieille époque.

Laisser un commentaire

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

Est-ce que les Français ont le droit de donner leur avis sur l’immigration ?
Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois