Général Bruno Clermont sur le conflit ukrainien : « Il est prématuré de dire que l’armée russe s’enlise » 1/4

Gal Bruno CLermont

Alors que les combats se poursuivent en Ukraine, le général de corps aérien (2S) Bruno Clermont, consultant défense de CNews, décrypte pour Boulevard Voltaire la situation politique et stratégique en Ukraine et révèle les clés du conflit. Nous publions cet entretien exceptionnel en quatre épisodes.

Marc Baudriller. Où en est Vladimir Poutine, dans ce conflit ? Comment analysez-vous le rapport de force en Ukraine ?

Général Bruno Clermont. Poutine a raté la première phase de la guerre. C’est un échec majeur dont la cause est à trouver dans l’analyse des « forces en présence ». C’est-à-dire le cœur du renseignement militaire, mais aussi la compréhension politique de ce qu’est devenue l’Ukraine au fil de l’Histoire : une nation qui ne veut pas mourir. Le président russe a sous-estimé l’armée ukrainienne et surestimé les capacités de son armée. En quelque sorte, il s’est comporté comme si la Russie était l’Union soviétique, mais sans l’armée de l’Union soviétique, car l’armée russe n’est pas celle de l’URSS. Le rapport de puissance est de l’ordre de 1 pour 10. Mais les Américains et les Occidentaux ont aussi découvert les limites de l’armée russe. Les généraux de Poutine ont fini par lui expliquer qu’il n’a pas la masse de soldats nécessaire pour réaliser cette « opération spéciale » qui devait se conclure en quelques jours. Il commence à le comprendre, mais ce n’est pas certain, car tout le monde lui ment. C’est le propre de ce type de régime. Tout le monde ment, par peur ou par servilité. C’est la réalité du rapport de force sur le terrain qui va décider de l’issue de cette guerre. Ce n’est pas encore le temps des négociations « sérieuses ».

M. B. Pourtant, l’armée russe a conquis des territoires.

Gal B. C. Elle a pris du terrain rapidement mais elle est partie sur un plan qui n’a pas fonctionné et que les Russes n’ont pas pu changer. Ils se sont obstinés « dans l’erreur » pendant trente jours. Aujourd’hui, ils changent de plan pour entrer dans une deuxième phase de la guerre. Ils ne vont pas attaquer sur trois axes différents. Ils vont suspendre les combats du coté de Kiev, qui n’est plus l’objectif prioritaire et qui devait « tomber » facilement, pour se concentrer sur le Donbass qui reste le cœur de la bataille. Leur deuxième priorité sera la continuité territoriale avec la Crimée. Tout cela constitue « l’Ukraine utile » du point de vue russe. Celle que Poutine pourrait annexer pour en faire une partie de la Fédération de Russie. D’un point de vue militaire, c’est là que se trouve la moitié de l’armée ukrainienne, la mieux formée par les Américains, celle qui défend le Donbass. Si la Russie arrive à battre et à isoler cette moitié de l’armée ukrainienne, elle prend un vrai avantage. Elle veut affronter le cœur de l’armée ukrainienne, essayer de l’encercler, de la diminuer et de la battre et ce n’est pas impossible qu’elle y parvienne. Ce serait alors le tournant de cette guerre. Le problème c’est que les Ukrainiens commencent à penser la même chose : battre et chasser les Russes d’Ukraine.

M. B. L’Occident est-il vraiment utile à l’armée ukrainienne, dans ce conflit ? Quel est son rôle ?

Gal B. C. Le flux continu de milliards de dollars d’armements qui arrivent en Ukraine constitue le « cordon ombilical » capacitaire qui joue un rôle très important : on livre aux Ukrainiens des dizaines de milliers de fusils d’assaut, lances missiles antiaériens et antichars. Des armes redoutables qui rétablissent l’équilibre des forces. Malheureusement pour les Russes, la frontière occidentale de l’Ukraine est totalement poreuse. Ces armes arrivent de Roumanie, de Pologne, par avions et par camions entiers, avec des hommes qui déchargent et chargent les armements et les amènent au front en quelques jours. Les Ukrainiens ne sont pas seuls. Pendant huit ans, la moitié de leur armée a été formée par des Américains, des Britanniques et des Canadiens. Ils combattent « à l’occidentale » contre une armée russe qui combat « à la soviétique ». Les troupes ukrainiennes sont motivées alors que la Russie déploie une armée hétéroclite, une partie moderne, l’autre pas, avec des appelés, des professionnels, des forces spéciales. Surtout, elle est mal commandée et mal organisée. C’est une armée chaotique et rigide qui rencontre de nombreuses difficultés dans tous les domaines : transmissions, commandement, logistique, coordination avec l’aviation, motivation…

M. B. On dit que l’armée russe s’enlise. Peut-on aboutir à une guerre du Vietnam pour les Russes ?

Gal B. C. La réalité opérationnelle surprend les militaires occidentaux qui ne s’attendaient pas à autant de difficultés de la part d’une armée russe en théorie parmi les plus puissantes du monde.
Mais il est prématuré de dire que l’armée russe « s’enlise ». Ce serait le cas si on en était là après six mois de guerre. Elle va chercher à s’adapter dans cette deuxième phase des combats dans laquelle les généraux russes ont décidé de se concentrer sur l’est et le sud du pays. À ce titre, les quatre prochaines semaines doivent être observées avec grande attention. Mais attention, ne nous y trompons pas : malgré des pertes humaines et matérielles considérables, l’armée russe conserve sa capacité de puissance et de destruction avec son aviation de bombardement, ses missiles, son artillerie, sa brutalité, sa violence : elle peut raser la moitié de l’Ukraine, voire l’Ukraine en totalité. Elle reste très dangereuse et efficace dans sa capacité de destruction aveugle. Le Pentagone estime qu’elle dispose encore de 85 % à 90 % de sa puissance militaire sur ce théâtre.

La suite de l'entretien exceptionnel avec le général Clermont demain dans BV...

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

29 commentaires

  1. Je ne partage pas la position du Général qui semble analyser la situation d’en haut. La manœuvre de l’armée russe au nord de l’Ukraine est une manoeuvre de diversion et d’intimidation laissant le temps aux Russes de reconstituer leur forces sur l’est et le sud.ce n’est pas de l’enlisement mais de la tactique, je pense.

  2. L’armée Russe, la France s’en souvient dans son vocabulaire : casaque (à la cosaque), bistrot (vite pour réclamer de l’alcool), taxi (plus pacifique). Que fait une armée en difficulté sinon se livrer à l’alcoolisme (en dévalisant des supermarchés abondamment garnis) ou au viol des populations (que l’on avait pensées accueillantes, mais qui ne le sont pas). On ne connait pas le traumatisme qu’a subi une population soumise au communisme pendant 70 ans que l’on a désarmée à coup de rations de vodka

  3. La désinformation va bon train, ici comme partout. Comment tous ces gens peuvent-ils se regarder dans une glace ? Comment espèrent-ils retrouver la confiance des Français après tout ce déballage de mensonges, où est le métier de journaliste ? ne doivent-ils pas vérifier leurs informations avant de le claironner ? J’ai honte pour la France. On le sait la macronie est spécialiste du mensonge. Mais on n’est pas obligé de suivre les bêtises de nos enfants qu’on a mis au pouvoir.

  4. Et si l’état-major russe ne raisonnait pas comme les occidentaux … ?
    Poutine a montré que Kiev était à sa portée. Il est allé détruire détruire ou neutraliser des installations, des labo.
    Maintenant, il rassemble ses forces pour libérer le Donbass…
    Donbass martyrisé par le gouvernement de Kiev … Plus 14 000 morts !
    Puisque l’on est dans un comptage macabre, où est le génocide ?
    Zelensky ne devrait il pas précéder Vladimir Poutine devant le tribunal international ?

  5. « l’armée ukrainienne, la mieux formée par les Américains, celle qui défend le Donbass. »

    J’ignorais que défendre un pays, c’était le bombarder tous les jours pendant au moins 8 ans….

    j’ai honte de ce genre de militaire, qui devrait faire honte aux français : il trouve normal que l’armée ukrainienne (et l’OTAN) s’assoie sur des traités internationaux???

  6. On n’aurait, parait-il, que les réserves de munitions pour 3 jours de guerre. Par contre on a des cohortes de généraux 2S qui s’occupent comme ils peuvent. C’est ça la France, des chefs de chantier mais pas d’ouvriers.

  7. « Ils vont suspendre les combats du coté de Kiev, qui n’est plus l’objectif prioritaire…»
    C’est le Donbass qui a toujours été l’objectif prioritaire, et une cause importante du déclenchement de l’opération …
    Visiblement, les Occidentaux cherchent à faire durer cette guerre, militairement et diplomatiquement. Cela n’aide pas à décrypter la stratégie des Russes.

  8. Analyse très sujette à cautions diverses. Pour y voir clair dans les responsabilités, il faut remonter à 1990 lors du tracé de la frontière commune et rappeler les sages accords de Minsk de 2004-15, non respectés par l’Ukraine sous la pression des États Unis qui ne veulent pas de La Russie en Europe. Quant à l’analyse militaire, elle est à côté de la plaque.

  9. Effectivement, les russes pourraient aller beaucoup plus vite qu’ils ne le font en travaillant « à l’américaine » c’est à dire en larguant des tapis de bombes sans considération aucune pour les civils. Mais les médias qui n’ont rien dit sur les méthodes américaines en feraient des tonnes si les russes en faisaient autant.

  10. « Consultant sur C-News » et « général de l’armée de l’air 2S) » : deux motifs pour se montrer très circonspect quant-à l’analyse occidentalo-centrée de ce brave retraité.

    • J’allais faire la même remarque. On retrouve les spécialistes des plateaux de télé, du même genre que ceux qui s’y sont bousculés à propos de la Covid. Il n’est pas certain qu’à ce niveau il dispose d’informations confidentielles ni stratégiques sur la situation réelle.

  11. L’accès garanti à la Méditerranée est si vital pour la Russie fait que plus Zelensky parle d’entrée dans l’UE (impossible) et dans l’Otan plus Poutine cogne. Tant que les Américains ne comprendront pas cela les Ukrainiens mouront

    • Normal : si l’OTAN, L’UE et Zelensky avaient respecté les traités internationaux et n’avaient pas tué de civils dans le Donbass pendant 8 ans, nous n’en serions as là.

      OTAN, UE et Zelensky sont les vrais criminels.

    • Les Américains n’ont jamais rien compris aux affaires étrangères (Irak, Afghanistan, Syrie, Lybie, Bosnie, Kosovo; la liste est très longue)

  12. Quant on lit la malheureuse histoire de l’Ukraine on découvre la très grande valeur militaire des descendants des Cosaques. En 44 ils ont battu plusieurs fois les SS puis jusqu’en 1953 ont résisté aux soviets staliniens. Oui les soldats Russes surclassés, démoralisés, tchechénisés et wagnérisés, découvrent que Poutine leur a menti. Tout peut arriver y compris à Moscou.

  13. Je ne suis pas spécialiste mais je me souviens d’un discours de Poutine où il expliquait, il ya quelques semaines, qu’il comptait fixer les décideurs et les réserves sur le Dniepr aux environs de Kiev et encercler le gros de l’armée ukrainienne qui – depuis plusieurs années – fait le siège des provinces russophones de l’est . C’est fait et il faudra bien que cette armée se rende faute de rapprovisionnement . 300 000 hommes sur un territoire grand comme la France ne peuvent occuper le terrain !

  14. Il reste clair que « sleeping Jo » chercher à faire durer cette guerre pour affaiblir la Russie , aussi fait-il livrer des armes à l’Ukraine par les occidentaux, soumis aux yankees. Notre seul ennemi n’est pas la Russie mais les USA qui veulent nous détruire, comme la Russie et la Chine. Les européens auraient été bien plus intelligents s’ils avaient fait entrer la Russie dans l’Europe. Cette guerre n’aurait jamais eu lieu, mais cela n’aurait pas convenu aux yankees.

    • Bonjour comme vous avez raison. Mon grand-père maternel m’a toujours dit qu’il y avait trois plaies sur terre : les Yankees, les Anglais et une certaine catégorie de journalistes. Quand aurons-nous le courage de dire m….à ces anglosaxons et d’avoir les coudées franches pour pouvoir décider du destin de notre belle nation française?

    • Il y a le « Bloc » asiatique avec la chine,puis le »bloc » oriental avec un peu éparpillé l’iran,et autres,puis le « bloc »européen,avec en deux parties l’Est et, l’Ouest dont les u.s veulent garder la main.Et donc comme jadis avec le Général,ils feront tout pour que cette usine a gaz qu’est l’europe perdure,si ce n’est par la culture débile qu’ils nous envoie avec ce wokisme,ou,par l’influence comme ils savent trés bien le faire,de puissances asujetties,par la guerre.Les allemands credits militaires.

  15. C’est drôle , je n’ai jamais vu ni entendu les Russes vouloir prendre Kiev .
    J’ai toujours vu et entendu les Russes vouloir encercler le gros de l’armée ukrainienne , massée près du Dombas , afin de la démolir , et pour y parvenir mettre en miettes toute l’infrastructure militaire du pays.
    La bataille s’annonce rude pour les deux parties , d’ailleurs .
    Jusqu’à présent les Russes ne font « que » la préparer .
    Mais je ne suis pas un général français , bien sûr :-)

    • Exactement, et avec 200 000 hommes côté russe contre 60 000 côté ukrainien. Le drame c’est cette livraison massive d’armes qui ne fera qu’augmenter l’ampleur du drame sans rien changer au résultat final : la Russie ne lâchera jamais plus le Donbass quoi qu’il puisse lui en coûter. Et quoi qu’il puisse désormais nous en coûter.

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