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C’est devenu une habitude : comme chaque année, les avocats sont en grève. Le 22 novembre, les barreaux de France ont organisé une journée « Justice morte » à grand renfort de discours, de banderoles, de manifestations et, surtout, ont systématiquement sollicité le renvoi des affaires appelées devant les tribunaux. Une grève qui s’effectue, comme à chaque fois, au détriment de leurs clients, dont certains attendent parfois des années avant que leur affaire soit audiencée, et qui se trouvent pris en otages de revendications qui ne les concernent nullement.

Pas de pleurnicheries à propos du montant de l’aide juridictionnelle, cette fois-ci. Ce sera pour la prochaine journée d’inaction. Ce mouvement a sa source dans une insoluble contradiction : le projet du gouvernement de rationaliser la Justice au risque de la privatiser, ce même gouvernement pour lequel l’immense majorité de la profession a voté en 2017… Comme si la volonté de nos dirigeants de privatiser le plus possible les activités régaliennes n’était pas affirmée avant même leur élection.

Parce que c’est bien dans la droite ligne des directives de l’Union européenne qui tendent à tout déréglementer – parfois à juste titre, d’ailleurs, personne ne regrette les factures des PTT des années 80 - que nos gouvernements, depuis vingt ans, détricotent méthodiquement le système judiciaire. Certaines réformes étaient justifiées : réduire le nombre de tribunaux n’est pas absurde lorsqu’on se déplace plus facilement qu’en 1950, rationaliser leur fonctionnement ne l’est pas non plus. D’autres sont contestables : au risque de tenir un propos corporatif, supprimer l’intervention obligatoire de l’avocat dans certaines matières civiles est une aberration, compte tenu de la complexité du droit. Et se profile surtout à l’horizon une spécialisation des tribunaux et des cours d’appel par types de contentieux et, plus grave, la possibilité pour les juristes d’entreprise de plaider pour leur employeur. Ce ne sont pas seulement les avocats qui y perdront, mais aussi la qualité des débats.

Mais il n’est pas possible de déplorer les effets dont on chérit les causes ! Il n’est pas possible de hurler au populisme et de donner sa voix à des libéraux pur jus, puis de pleurer ensuite lorsqu’ils mettent leur programme en action. Il n’est pas possible de laisser entrer dans la profession tout et n’importe qui et de se plaindre ensuite de l’encombrement des juridictions, étouffées par des contentieux artificiels. Il n’est pas possible de déplorer que les caisses d’allocations familiales fixent les pensions alimentaires alors qu’une partie importante du barreau en a fait une industrie à la charge du contribuable par l’intermédiaire de l’aide juridictionnelle.

Il n’est pas possible, enfin, de croire qu’on contestera utilement les projets du pouvoir en organisant des grèves qui ne gênent personne, sauf les justiciables. Aucun gouvernement n’a jamais reculé devant ce genre de manifestations qui ont surtout pour effet d’accroître la défiance de la population envers une profession mal-aimée.

La profession d’avocat, contrairement aux notaires, n’a jamais su négocier et défendre ses intérêts. Elle se contente de manifester et se comporte comme n’importe quel syndicaliste. Alors qu’elle devrait faire le ménage dans ses rangs, exiger un haut niveau de compétence et réduire ses effectifs, elle revendique et se gargarise de motions dont elle est la seule à ne pas rire.

À tout prendre, les « gilets jaunes » sont bien plus sympathiques. Et sans doute plus efficaces.

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