Gilets jaunes, Nuit debout et… foulards rouges : une fronde à fragmentations
Le peuple, combien de divisions ? Le détournement de cette fameuse expression attribuée à Staline lorsqu’il interrogeait les schismes et autres scissions internes à l’Église, jaillit spontanément à l’évocation du mouvement des gilets jaunes.
Récemment, dans ces colonnes, le philosophe Alain de Benoist prévenait : « Avec les gilets jaunes, la France se trouve déjà en état pré-insurrectionnel. S’ils se radicalisent encore, ce sera tant mieux. Sinon, l’avertissement aura été majeur. Il aura valeur de répétition. » Voire, serait-on tenté de dire… Mais attendre et voir aussi, car bien malin, aujourd’hui, celui qui saurait prédire l’issue de cette « jacquerie » énergétique et fiscale, lors même que les « gilets jaunes » font face aux énergiques rebuffades du pouvoir en place.
Le caractère inédit de ces manifestations qui jonchent les périphéries et confins exhérédés du territoire défient et vouent à l’échec toute tentative d’analyse logique et de prospective. Si, comme on le dit, 75 à 80 % des personnes interrogées affirment soutenir les gilets jaunes, les observateurs et commentateurs de la chose politique sont bien en peine de cerner précisément le profil type des manifestants, sauf à les caricaturer et à les dénoncer ouvertement – à l’instar de ce que fit Le Parisien se vantant d’avoir « épluché les profils Facebook des porte-parole des gilets jaunes » (28 novembre) ; comme de juste, le canard perfusé à l’aide publique d’État et à la publicité s’est évertué à décrire son échantillonnage « représentatif » comme des franchouillards lepénistes à front de gnou et un tantinet complotistes, par-dessus le marché !
Les médias et le gouvernement montrent leur vrai visage de soutien inconditionnel à l’Établissement, désormais unique source de leur fragile légitimité. Mais le reste de la France n’est pas non plus à l’unisson des « gilets jaunes » et des presque 80 % de leurs soutiens populaires.
C’est ainsi que le député La France insoumise François Ruffin s’est ému, ce jeudi soir, place de la République à Paris, de ne pas voir les « bobos » parisiens embrayer le pas de cette fronde des gilets jaunes, Français oubliés et méprisés, ces fameux « grands perdants de la mondialisation » décrits par le géographe Christophe Guilluy. Il constate, à son grand désarroi, que la fracture entre les métropoles mondialisées et la France périphérique, n’est guère le fruit d’un fantasme extrême-droitier à la Zemmour ou à la Patrick Buisson, mais bien une irréductible et déplaisante réalité.
Aussi, après avoir été un des artisans de Nuit debout (contestation soixante-huitarde qui finit en Nuit de bobos), s’est-il offert « de servir de passerelle, [pour] éviter le mépris réciproque, le mépris de Paris pour les provinciaux, qui pourraient se faire traiter de beaufs, de fachos, d'anti-écolos ».
Pas sûr, là encore, qu’il soit entendu par les immigrés, les cadres, les retraités propriétaires avenue de la Grande-Armée, les start-upers, les born-ubers disruptifs, les designers gay du Marais et autres urbains festifs sans-permis et assistés, choyés de la Ville-providence, tous constituant la grande majorité sociodémographique de la capitale.
Et que penser également de ces improbables foulards rouges, groupe Facebook ayant éclos dans le Vaucluse – et auxquels, malgré leur timide petit millier, la caste journalistique subventionnée, Le Parisien en tête (30 novembre), donne une publicité aussi singulière que disproportionnée – et qui se donne pour mission de fédérer "ceux qui en ont marre des méthodes anarchistes des gilets jaunes, qui s'en foutent de priver de liberté les autres citoyens, qui s'en fichent de mettre à mal l'économie des petites entreprises fragiles", ce – évidemment – de façon – inexplicablement – pacifique ?
Rendu de plus en plus inhomogène, le peuple se fragmente en communautés égotistes multiples.
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