[Grand entretien] Michel Onfray : « Macron est une éponge »

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À l'occasion du 30e anniversaire du « oui » à Maastricht, Michel Onfray revient sur ce qu'il définit comme « le suicide souverain de la souveraineté ». Dans le contexte d'une Europe qu'il qualifie de « consumériste illibérale », il évoque la destruction de la France, la nécessité du Frexit face à l'extension de l'empire maastrichtien et évoque, à travers Macron, « l'avènement d'un genre d'antéchrist politique ». Conversation choc pour le premier de nos Grands Entretiens du week-end.

Gabrielle Cluzel : Michel Onfray, vous êtes philosophe, essayiste, créateur de l’Université populaire de Caen et de la revue Front populaire. À la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, le Président Emmanuel Macron a accusé la Russie d’avoir provoqué, pas son invasion de l’Ukraine, un « retour des impérialismes » en Europe. Vous avez annoncé ce retour bien avant lui puisque vous parlez depuis longtemps d'« empire maastrichtien »…

Michel Onfray : Je crois que Macron est une éponge qu'on peut imbiber simultanément ou successivement de tous les liquides... Ce peut être miel et fiel en même temps, c'est de toute façon toujours tout et son contraire dans le verbe, mais une seule et même ligne directrice dans les faits, les gestes, les actes : la destruction de la France, sa banalisation, sa prolétarisation, son ensauvagement au bénéfice de l'État maastrichtien. Il a besoin d'un pays rasé comme après une explosion atomique pour y reconstruire son projet civilisationnel basé sur la réification. Le XXIe siècle sera celui de la réification radicale : de l'utérus des femmes (il faut désormais préciser !) aux enfants, il faut tout transformer en objet vendable, louable, achetable. C'est le projet de cette Europe consumériste illibérale : un immense marché planétaire où tout peut faire l'objet de transactions, donc de bénéfices sonnants et trébuchants.

Il existe en effet une confusion intellectuelle et sémantique avec des mots comme l'État, la Patrie, la Nation, l'Empire. Maastricht est un État illibéral qui travaille contre la Nation française au profit d'un Empire que je nomme en effet maastrichtien depuis des années. L'Empire est une Nation qui revendique l'extension de son espace vital.

Qui dira que l'Europe maastrichtienne ne se trouve pas dans cette configuration ? C'est d'ailleurs ce qui explique le sens de la guerre de Poutine qui oppose la vieille Russie chrétienne orthodoxe à l’Ukraine maastrichtienne soutenue par les États-Unis. C'est un conflit qui illustre à la perfection la thèse de Huntington sur le choc des civilisations.

G. C.: Nous « fêtions », le 20 septembre dernier, l’anniversaire du « oui » au référendum de Maastricht. Le souverainiste que vous êtes y voit-il l’origine de tous nos malheurs ?

M. O. : Oui, car, quand on ne dispose plus du gouvernail de son bateau, c'est mentir de dire qu’on va conduire le navire dans le sens d'une politique volontariste. Le traité de Maastricht procède d'un suicide souverain de la souveraineté : c'est la dernière fois que le peuple a décidé souverainement, après l'incroyable propagande de l'État mitterrandien, d'en finir avec sa souveraineté ! La Commission européenne, qui n'est pas élue, a retiré le pouvoir des mains du peuple, ce qui acte la destruction de toute démocratie, qui était, rappelons-le, le pouvoir du peuple, sur le peuple, par le peuple. Ce bateau est piloté par Maastricht, le président de la République est à la barre, mais c'est pour rire : il inaugure les chrysanthèmes ou les parcs éoliens décidés à Bruxelles par la Commission...

G. C. : En 2011, Jacques Attali, très impliqué dans la campagne pro-Maastricht, avait avoué, lors d’une intervention à l'université participative de Ségolène Royal, que « l'on [avait] soigneusement oublié d’écrire l’article qui permettait de sortir [du traité] ». Et de rajouter que « ce n’était pas très démocratique… », mais idéal pour « nous forcer à avancer ». Selon vous, un retour en arrière est-il de ce fait impossible pour la France ?

M. O. : Le problème n'est pas que ça n'est « pas très démocratique », c'est qu'il s'agit franchement d'un coup d'État qui recourt aux textes et non pas aux armes mais pour un même résultat : abolir la démocratie au profit d'un régime oligarchique.

Bernard-Henri Lévy le dit régulièrement, il vient de le répéter en Italie : le peuple peut se tromper ! Dès lors, pour éviter qu’il se trompe, cessons de lui demander son avis et agissons pour son bien - qui est évidemment son mal ! C'est le logiciel de ces anciens gauchistes - BHL en fut ! - que de célébrer la dictature au nom de la démocratie et de prétendre agir pour le peuple en en faisant l'économie. C'est pour le bien du peuple qu’ils aimeraient, comme Marat, qu’il n'ait qu'une seule tête pour pouvoir le bien décapiter.

Ce qui est possible, c'est le Frexit dont l'État maastrichtien nous dit qu'il est impossible, impensable, infaisable, irréalisable, déraisonnable. Si c'est cet État qui le dit, c'est très précisément la preuve que c'est possible, pensable, faisable, réalisable et raisonnable. Quand ils parlent du cercle de la raison, il faut entendre le cercle de la déraison. À Front populaire, nous avons travaillé à restaurer théoriquement la question souverainiste, nous allons faire de même avec la question du Frexit avant d'envisager la suite concrètement.

G. C. : Un pays - qui a pourtant quitté l’Europe avec fracas - a fait, durant une dizaine de jours, une belle démonstration de civilisation européenne. Que vous inspire l’engouement pour la reine d’Angleterre ? Pensez-vous, à l’instar de Marine Le Pen, que « notre peuple a tué son roi » et « qu’il se le reproche peut-être de temps en temps » ?

M. O. : La reine a incarné, au sens étymologique, elle a donné corps et âme à un peuple qui a conservé sa monarchie. Il n'est pas question de restaurer la monarchie en France mais un pouvoir qui retrouverait le sens du sacré. Le roi est moins le problème que le souverain en son sens premier, qui est le peuple. La France ne se reproche pas d'avoir tué son roi, elle déplore qu'avec la mort du général de Gaulle, elle ait perdu le sens du sacré que devrait avoir l'homme investi du pouvoir, le souverain, par l'élection au suffrage universel direct. Macron qui pose enlacé avec de jeunes garçons torses nus qui font un doigt d'honneur, c'est non seulement l'image de la mort du sacré, mais aussi et surtout l'avènement d'un genre d'antéchrist politique.

Cela dit, le roi Charles III a déjà failli à sa mission d'incarner le sacré en parlant de sa chère maman, de son cher papa, de ses fifils, de sa femme chérie, en se faisant tripoter et embrasser par la foule, mais aussi en montrant son énervement à deux reprises avec un encrier mal placé sur son bureau et un stylo-plume qui fuit. Il témoigne ainsi de l’épuisement et de l’extinction de la monarchie anglaise. C'est le triomphe de Meghan Markle [l'épouse du prince Harry, NDLR].

G. C. : La rentrée a été marquée par l’université d’été de Front populaire. Vous y avez annoncé votre volonté de vous lancer dans le combat des européennes de 2024. L’expérience Zemmour n’a-t-elle pas montré les difficultés d’un engagement politique pour un intellectuel. Le potentiel électoral souverainiste n’est-il pas monopolisé actuellement par le RN ?

Nous n'avons que faire des partis politiques et de leurs appareils qui constituent des tumeurs dans le corps social. J'ai fait savoir que je ne voulais pas du pouvoir mais, si d'aucuns souhaitent mener ce combat, je serai à leurs côtés. Si je devais être en position d'éligibilité puis élu, mon premier geste, une fois investi du pouvoir, serait de démissionner : je me bats pour des idées, le retour du peuple, donc du souverain, au premier plan, pas pour des postes, des salaires mirobolants et des sinécures qui permettent de vivre en sybarite sur le dos du peuple.

L'expérience Zemmour, comme vous dites, était vouée à l'échec dès qu’elle s'est proposée de rassembler les droites sur le principe de leur sujétion à l'homme providentiel. C'est le score de Reconquête qui a été providentiel, alors que son objectif était un horizon de niche !

Nous n'avons pas le désir d'appeler à un ralliement de type bonapartiste vers un parti de niche mais de rassembler les Français pour la France qui est le pays providentiel. Je n'ai pas le culte de l'homme providentiel quand il suppose avec la Providence une relation personnellement intéressée. C'est le peuple qui est providentiel, et la France avec lui.

G. C. : Parmi les points qui vous différencient d’Éric Zemmour et de Jordan Bardella, il y a le voile islamique. « L’important est ce que l’on a dans la tête et non sur la tête », disiez-vous dans une vidéo publiée en octobre 2019 sur votre site. Aujourd’hui, pourtant, des femmes se lèvent en Iran pour brûler leur hijab. Dans le même temps, l’Union européenne le promeut dans ses campagnes publicitaires. Peut-on nier que ce voile islamique est un enjeu ?

 M. O. : C'est effectivement un enjeu, mais on ne saurait essentialiser le voile qui ne signifie pas la même chose en Afghanistan ou à Sarcelles. Il peut être une revendication identitaire dans un pays comme la France dans lequel les dirigeants depuis Maastricht ont fait de toute revendication identitaire française une signature fasciste.

Ces femmes voilées prennent au mot tous ceux qui, de Mitterrand à Macron, en passant par Chirac, Sarkozy et Hollande, n'ont cessé de vendre la France au détail en criminalisant tout amour du pays présenté comme fasciste, nazi, vichyste, pétainiste, antisémite, maréchaliste, colonialiste, raciste, misogyne, homophobe, etc. Cette génération qui se voile prend tous ces chefs d'État au mot en leur disant : « Vous avez raison, la France est détestable, comme vous ne cessez de le proclamer, c’est pourquoi on la déteste et c'est ainsi qu’on vous le signifie. » Ils ne sont forts que de la faiblesse de la France. J'en veux moins à celles qui se voilent qu'à ceux qui les ont contraintes à ce geste de désaffiliation nationale. Il n'est pas question que je regarde le doigt quand la Lune est si visible...

G. C. : On vous sait volontiers pessimiste dans vos analyses, quant à l’avenir de la France. Si vous décidez de vous lancer en politique, c'est que vous considérez donc que « tout n’est pas foutu » ? Quelles sont vos raisons d’espérer ? 

M. O. : L'élégance : il faut mourir en Romain...

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

43 commentaires

  1. M.O. Veut se présenter aux élections européennes ! S’il est élu, il démissionnerait aussitôt ! Alors pourquoi se présenter ?

  2. C’est un beau résumé de la situation. Encore un homme qui sort de la « cours de recréation de la gauche » pour revenir à la réalité. Que signifie cette arrivée des tous ces journalistes-essayistes-écrivains-philosophes dans la sphère politique ?

  3. Kundera avait très bien analysé ce qui caractérise le socialisme: « Le socialisme c’est le mouvement, un mouvement perpétuel. » Si on s’arrête ,on est mort.

  4. « Moi, c’est moralement que j’ai mes élégances », disait Cyrano. Avoir la suprême élégance de vivre en Français, dans l’Empire maastrichien…

  5. Quand allez vous cesser d’admirer et de regretter le Général de Gaulle ? Certes il avait une honnêteté que n’ont plus nos présidents d’aujourd’hui, il payait ses factures d’eau et d’électricité etc. OK. Mais, comme tout homme, il n’a pas fait que des bonnes choses. La guerre d’Algérie par exemple, sa façon de « remercier » les harkis et leurs familles par exemple, encore relatée hier sur BV et s’il y avait « que » ça…

    • Je suis d’accord avec vous, il faut lui reconnaître ses qualités : scrupuleusement désintéressé, représentant la France avec beaucoup de dignité (je l’imagine faire les petites sauteries de Macron à l’Elysée), mais pour l’Algérie, il a été lamentable et nous avons pu voir à cette occasion qu’il pouvait être très dur, sans compassion aucune et presqu’aussi menteur que Macron (l’Algérie Française de Dunkerque à Tamanrasset ) alors qu’il savait dès 58 et même avant qu’il abandonnerait l’Algérie.

    • L’homme parfait n’existe pas (bien heureusement)
      Cela étant, les successeurs du général sont dans le peloton de tête dans la veulerie…

    • Cessez de croire « qu’il payait ses factures…. » Pour qui connait le fonctionnement des « logements de fonction » de l’époque, c’était comptablement impossible !

    • Personne n’est parfait !… Reste que, vue la médiocrité, voire la corruption ou pire la traîtrise, des présidents de la république depuis De Gaulle, ce dernier reste un exemple de chef digne de ce mot. Outre qu’il a fait des choix judicieux à long terme, pour notre pays, il s’est retiré très démocratiquement. Par ailleurs, il ne s’est pas « servi » ni n’a enrichi de tribus de « copains », comme on a pu le constater depuis !…

    • Je suis d’accord avec vous sur le fait que de Gaulle a semblé vouloir se débarrasser de la question algérienne , après une guerre d’Algérie qui semblait s’éterniser et pour laquelle on ne trouvait pas de solution viable . Mais il faut rappeler qu’une fois de plus de Gaulle n’ a fait que respecter ce qu’il s’était imposé , c’est à dire le recours au référendum qui a donné une large majorité pour l’arrêt des hostilités en Algérie. Sept ans après il a été éconduit de ses fonctions par les mêmes voies référendaires . Donc , on peut dire que c’est quelqu’un d’intègre et respectueux de ses engagements. La 5ème République a perduré jusqu’à aujourd’hui, mais elle n’a pas été servie par les mêmes personnes . C’est cela qui fait toute la différence !

  6. Très intéressant et dans la lignée de ce que MIchel Onfray proclame depuis longtemps. Il affirme clairement la nécessité d’un frexit alors que la quasi-totalité des politiques a abandonné cette option.
    Quant à « mourir en Romain », j’espère que Michel Onfray en s’opposant à Macron ne finira pas comme Cicéron s’opposant à Marc Antoine …

  7. Difficile d’imaginer que l’auteur du traité d’athéologie dise « le voile ne signifie pas la même chose à Sarcelles ou en Afghanistan ». Si, justement, il signifie exactement la même chose: La femme n’est pas l’égale de l’homme. On comprend bien que pour passer dans les médias il faut garder une bonne part de bienpensance, mais ne pas se rendre compte que l’islam est un gros problème en France, ou ne pas vouloir en parler, c’est quand même un peu dérangeant. Zemmour a évidemment raison et Onfray a tort. Même si on faisait un frexit, et si on ne réglait pas les problèmes d’immigration, la situation serait en gros la même.
    Quant au côté décliniste, ce n’est qu’une question de volonté et de moyens. La France peut très bien avoir une population réduite (une population adaptée à son marché du travail actuel), mais tant que les français voudront rester français, et qu’ils auront les moyens politiques et militaires de résister aux invasions, elle restera la France. Si ce n’était pas le cas, l’état d’Israel (9 millions de personnes, dont 70% de juifs) aurait déjà largement été envahie par les quelques 1.4 milliards de musulmans, or ce n’est pas le cas.

    • Je suis d’accord avec vous sur le fait que le voile ostentatoire à la vue de tout le monde comme un marqueur de leur religion, n’est pas supportable pour ceux des français à qui ils imposent cette vision quotidienne de la soumission à un dieu . Alors que nos valeurs françaises communes disent tout le contraire ! Mais il est vrai que notre ethno masochisme n’est pas non plus étranger à ce phénomène ! Je suis totalement d’accord avec vous que nous nous suffisons à nous-mêmes en tant que français et qu’il ne faut pas prolonger plus encore cet mauvaise expérience qu’a été l’accueil de l’autre, comme si cela faisait nécessairement société .Mais c’est paradoxalement le voile qui a fait réfléchir plus d’un sur la nécessité d’arrêter justement cette folie migratoire .

  8. « avec la mort du général de Gaulle, elle ait perdu le sens du sacré que devrait avoir l’homme investi du pouvoir, le souverain, par l’élection au suffrage universel direct …[ ]… Macron qui pose enlacé avec de jeunes garçons torses nus qui font un doigt d’honneur, …  » C’est bien pour cela que, personnellement, si je respecte la fonction, je ne respecte pas l’homme qui a endossé un costume plus grand que lui.

  9. « Il faut mourir en romain »… Il y a un côté dandy chez Onfray : non, il ne faut pas mourir ( en romain ou autrement!) ! Il faut sauver ce qui peut l’être.

    • En effet , se souvenir qu’on va mourir bien qu’inéluctable n’empêche pas de garder espoir pour « sauver les meubles »

  10. Je n’ai jamais entendu une personne de Front Populaire dans une émission dire qu’elle était pour la sortie de l’union européenne.

    Il ne faut pas de différences entre ce qui est écrit sur le site Front Populaire et les interventions dans les émissions.

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