Guerre en Ukraine : de Napoléon à Poutine, la stratégie d’attrition russe

©https://commons.wikimedia.org/wiki/User:Mathiasrex
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À l’été 1812, attiré toujours plus loin vers l’est par une armée russe qui ne cessait de se dérober à lui, Napoléon hésitait. Fallait-il « planter ses aigles » à Vitebsk et laisser passer l’hiver ? Ou bien fallait-il abandonner la prudence pour l’audace et s’engager dans les profondeurs d’un territoire immense afin de rattraper par le col les généraux du tsar et leurs insaisissables soldats ?

L’hésitation fut de courte durée. Il n’était pas dans le tempérament de l’Empereur de se morfondre plusieurs mois durant dans une isba. Quant à la Grande Armée, il le disait lui-même, elle n’était pas faite pour les batailles défensives. « Une défense stationnaire et prolongée n’est pas dans le génie français », affirmait-il.

Ce serait donc la course-poursuite, l’esprit d’offensive et la quête d’une victoire décisive. On connaît la suite : l’hiver recouvrant d’un linceul blanc la Grande Armée et Napoléon fuyant vers Paris, laissant derrière lui Moscou en flammes, ses rêves de victoire et, bientôt, son empire.

La stratégie défensive de la retraite et de la « terre brûlée » avait permis aux Russes d’accomplir, avec une remarquable efficacité, le précepte du grand stratège chinois Sun Tzu, d’après lequel « les troupes victorieuses sont des troupes qui ont vaincu avant d’engager le combat ».

En poussant Napoléon à s’enfoncer dans les profondeurs d’un territoire hostile, les Russes savaient que le froid, la maladie ou la famine désagrégeraient chaque jour un peu plus la Grande Armée. Ainsi, lorsque les Français passeraient à l’offensive, leur ennemi serait déjà défait. Une autre manière de faire la guerre. Sans tambour ni trompette, ni charges héroïques. Une guerre d’usure, silencieuse, sournoise, implacable.

Des espoirs déçus

Deux siècles plus tard, il semble que la Russie soit à nouveau parvenue à surprendre ses adversaires. Durant les premiers mois du conflit en Ukraine, il était, en effet, de bon ton de se gausser d’une armée russe dont les reculades étaient analysées comme le signe d’un effondrement à venir. Passée à l’offensive en septembre 2022, l’armée ukrainienne avait réussi à reconquérir des milliers de kilomètres carrés. Un tournant pour les analystes militaires dont certains annonçaient déjà d’autres offensives à venir, et notamment une attaque coupant en deux l’armée russe au sud pour isoler la Crimée.

En réalité, dès cette époque, se mettait en place du côté occidental une grille d’analyse du conflit qui allait profondément en fausser la compréhension, avec trois réflexes. Premièrement, juger des perspectives de succès à l’aune des territoires perdus ou reconquis. Deuxièmement, comme Napoléon, se persuader qu’une victoire décisive finirait par amener les Russes à abandonner le combat et réclamer la paix. Troisièmement, sous-estimer le potentiel militaire, industriel et technologique de Moscou.

Et, de fait, un an plus tard, à l’automne 2023, le constat s’imposait pour les alliés de Kiev que rien ne s’était passé comme prévu. La contre-offensive avait échoué. Signe d’un revirement de situation, au mois de novembre, le commandant en chef de l’armée ukrainienne reconnaissait faire face à une situation d’impasse. « Il n’y aura probablement pas de percée belle et profonde », déplorait-il.

Le mois suivant, le Washington Post publiait une très longue enquête intitulée : « Impasse : la contre-offensive ratée de l’Ukraine ». Sur la base d’entretiens avec des responsables ukrainiens, américains et européens, le quotidien s’efforçait de comprendre ce qui n’avait pas marché. Or, un des éléments majeurs qui ressortait était les divergences d’analyses entre les Ukrainiens et leurs alliés.

Un haut responsable militaire ukrainien expliquait, en effet, que ses soldats menaient une guerre différente de tout ce que les forces de l'OTAN avaient connu auparavant. Évoquant les exercices de simulation élaborés avec des responsables militaires américains et britanniques début 2023, il témoignait de son amertume. « Toutes ces méthodes… vous pouvez soigneusement les prendre et les jeter, vous savez ? », déclarait-il. Comme Napoléon deux siècles auparavant, les Occidentaux s’étaient-ils trompés de guerre ?

L’art de la guerre d’attrition

Alors que les Russes sont, à leur tour, passés à l’offensive et qu’ils grignotent quotidiennement à l’est un front que l’on croyait figé, c’est à un ancien militaire américain, Alex Verchinine, écrivant pour le Royal United Services Institute fondé par le duc de Wellington, que l’on doit une étude des plus éclairantes pour tenter de comprendre ce qui se passe actuellement.

Son analyse intitulée « L’art de la guerre par attrition : leçons de la guerre russe contre l’Ukraine » a le mérite de ne pas faire dans la basse propagande. Que dit l’ancien lieutenant-colonel ? Que les Occidentaux et les Russes ne font pas la même guerre. Là où les premiers privilégient l’offensive et la guerre de manœuvre, les seconds pratiquent en Ukraine une guerre d’usure qui répond aux caractéristiques suivantes : « Au lieu d'une bataille décisive obtenue grâce à des manœuvres rapides, la guerre d'usure se concentre sur la destruction des forces ennemies et de leur capacité à régénérer leur puissance de combat, tout en préservant la sienne. »

Dans une telle guerre, tenir des territoires n’est pas un objectif prioritaire. Mieux vaut battre en retraite si nécessaire et préserver ses forces. C’est ce que les Russes ont fait, deux siècles auparavant, face à la Grande Armée ; c’est ce qu’ils ont fait en Ukraine à l’automne 2022. Autre élément : plus le conflit se prolonge, plus la guerre est gagnée par les capacités industrielles, c’est-à-dire par la capacité à compenser ses pertes.

La stratégie d’attrition, note Alex Verchinine, se déploie en deux phases. Une première assez statique au cours de laquelle l’accent est mis sur l’affaiblissement du potentiel de l’ennemi et le renforcement du sien. Les combats prennent ici la forme d’échanges de tirs plutôt que de manœuvres. L’objectif étant d’encourager l’ennemi à dépenser le maximum de matériel et de réserves dans des opérations de peu de valeur.

Lorsque les réserves stratégiques de l’ennemi sont épuisées, qu’une supériorité de tir est acquise, que le secteur industriel adverse est dégradé et que ses propres forces nouvellement mobilisées ont achevé leur formation, il devient possible de passer à une deuxième phase. Les opérations offensives commencent, lancées sur un large front, en cherchant à étirer les réserves ennemies afin de provoquer un effondrement qui permettra ensuite de s’engager plus en profondeur.

Pour Alex Verchinine, si les Occidentaux envisagent sérieusement d’affronter la Russie, il leur faut comprendre que celui qui l’emportera sera celui qui dispose de la capacité industrielle, de la doctrine et de la structure militaire les mieux adaptées à cette forme de guerre. Autrement, on le comprend, notre monarque républicain et ses alliés pourraient faire face à une nouvelle... Bérézina.

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Frédéric Martin-Lassez
Chroniqueur à BV, juriste

Vos commentaires

38 commentaires

  1. Un engagement des troupes françaises en Ukraine signifierait a terme un engagement total de nos armées laissant le pays sans défenses face aux hordes barbares venues du sud. Bravo la stratégie macronienne.

    • Nous avons affaire à un gouvernement de gamins, de néophytes incapables de penser, ignares en matière de géo-politique !

    • Mais non, ce que dit notre « pitre » ce n’est que de la mauvaise com. car s’il s’engage dans ce sens ce serait l’anéantissement pur et simple non seulement de nos armées mais aussi de notre pays.

  2. Il manque un mot à votre conclusion, monarque républicain  » de théâtre  » . Très bonne analyse.

  3. Si mussolini n’avait pas tenté d’envahir la yougoslavie, les armées allemandes auraient eu le temps d’occuper les camps pétroliers. Surtout que Staline dirigeait à ce moment-là. Les américains ont soutenu les russes jusqu’à ce que leur industrie soit capable de produire en masse. Le front de l’Est a absorbé 80% des effectifs de l’armée allemande principalement par le nombre de russes qui épuisaient les munitions des allemands. Dans ma jeunesse, j’ai entendu des récits de volontaires occidentaux revenus par miracle du front de l’Est qui disaient que les russes avaient un fusil pour 5 mais ils consommaient leurs munitions. Il y avait plus de soviétiques que de munitions. Et Macron ne veut pas que Poutine soit vainqueur. Laissez moi rire… jaune

    • Prêt à tout, dites-vous ? Donnez-nous ne serait-ce qu’un seul exemple. Les Russes, eux, se sont toujours battus et ont gagné contre leurs envahisseurs, Suédois, Français et Allemands, contrairement aux Français dont nombre d’entre eux composent et collaborent souvent.

  4. Et cette chaîne LCI où l’on entend toujours les mêmes âneries pour ne pas employer un autre terme plus trivial… Avec les mêmes radoteurs ânonnant toujours les mêmes stupidités : les Tenzer, les Fenwick, les Richoux. Les Américains, après avoir bien mis la pagaille et ruiné l’économie allemande, vont laisser tomber les pauvres Ukrainiens. Tans pis pour eux, ils ont parié sur le mauvais cheval… La Russie sortira plus forte de ce conflit, avec des troupes aguerries, du matériel solide et adapté. C’est tout ce qu’auront gagné la bande de guignols, qui pour l’instant encore, tiennent nos destinées entre leurs mains…

  5. Notre président n’a même pas effectué son Service Militaire. Comment peut-il concevoir une bataille, une Guerre ? Il n’a jamais eu à régler des conflits avec des militaires. Cela s’appelle de la tragi-comédie. Le dénouement sera heureux pour l’Ukraine et la Russie en signant la PAIX.

  6. La tactique des Russes est de laisser les troupes ukrainiennes (ou ce qu’il en reste) venir se casser les dents sur leurs lignes. Et cette tactique réussit de mieux en mieux. Malgré cela des écervelés continuent de prétendre que les troupes russes sont en état de faiblesse parce qu’elles tiennent des positions sans progresser à l’intérieur de l’Ukraine. Au bout de 2 ans, ces écervelés n’ont toujours pas compris que les Russes n’ont jamais voulu envahir toute l’Ukraine, et que leur seul but est tenir le Donbass, ce qu’ils font à merveille.

  7. Napoléon, Hitler, et les mêmes erreurs sont reconduites. Bof , un pays en perdition, des moujiks commandant d’autres moujiks, plus les sanctions pour affamer ces sous-alimentés, cette guerre ne durerait pas longtemps et la Russie viendrait à Canossa…péroraient les stratèges de tous ordres…

  8. C’est d’autant plus vrai que les Russes n’ont jamais eu de considération pour la vie humaine……y compris celle des leurs.

  9. C’ est amusant ,l’ autre jour je disais à un ami :Napoléon a perdu la baraka qui avait caractérisé sa carrière militaire jusqu’à la Bérésina parce qu’il n’ avait pas anticipé combien l’ hiver russe était précoce et rigoureux!
    Aujourd’hui ,vous en parlez !

  10. Monsieur Frédéric Martin-Lassez a peut-être raison, je ne suis pas expert pour en juger. Sauf sur un point : la bataille de la Bérézina ne fut pas une défaite, contrairement à ce que l’on en dit courramment et ce qu’il laisse entendre dans sa conclusion, mais une victoire de Napoléon. À grand prix, certes, mais une victoire quand même.

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