Guillaume Bernard : « La proportionnelle serait beaucoup plus juste mais pas idéale »

g Bernard 2

Politologue, Guillaume Bernard revient sur le premier tour des élections législatives qui a vu le RN arriver à 19% des voix mais qui risque d'être sous-représenté malgré les 42% de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle. Pour corriger cela, de nombreuses voix s'élèvent pour réclamer des députés élus à la proportionnelle. Pour Guillaume Bernard, si ce système serait plus juste, il est pour autant loin d'être parfait.

 

Marc Eynaud : Malgré le fait qu’il soit le parti qui ait le plus progressé lors du premier tour de l’élection législative, malgré le fait que Marine Le Pen soit arrivée au second tour avec 42 %, on a l’impression qu’il n’existe que la majorité présidentielle et que la seule opposition réelle, soit Jean-Luc Mélenchon et la Nupes. Est-ce étrange de voir à quel point le RN n’est plus représentatif, alors même que Marine Le Pen soit arrivée en seconde position à l’élection présidentielle ?

Guillaume Bernard : C’est assez étonnant de voir que les médias sont obnubilés par la réussite de Jean-Luc Mélenchon, une réussite qu’il faut totalement relativiser. Si on regarde l’addition des différents partis qui composent la Nupes au premier taux de la présidentielle et le score obtenu par cette alliance électorale au premier tour des législatives, on voit qu’il y a une diminution. 30 % au premier tour de la présidentielle, 26 % au premier tour des législatives avec 25 points en moins de participation. Cela signifie qu’il y a une baisse du nombre de voix obtenues. Par conséquent, c’est une victoire à la Pyrrhus, d’autant que la Nupes n’a pas véritablement de réserve de voix. En revanche, le cartel macroniste, lui, peut espérer avoir des reports de voix pour essayer d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale. Encore que cela n’est pas gagné. Il est quasiment certain que la Nupes n’aura pas la majorité absolue. En revanche, il est possible que Macron ne bénéficie pas du phénomène majoritaire et n’obtienne pas une majorité absolue. Ce qui lui nécessitera d’avoir recours à des supplétifs du côté de quelques rescapés du parti socialiste indépendant ou du côté de LR.

M.E : Concrètement, le Rassemblement national a des candidats dans 200 seconds tours. Le nombre de députés potentiels a été revu à la hausse par les sondages. Néanmoins, à la fin, le maximum qu’il pourrait espérer serait une cinquantaine de députés en étant extrêmement large. Est-ce étrange dans la mesure où se présenter face à deux cartels est finalement le parti le plus important de France ?

G.B : Absolument. Il est certain que c’est un très bon résultat pour le Rassemblement national. D’habitude entre la présidentielle et les législatives qui suivent, il perd un tiers en termes de pourcentage. Là, il a perdu moins d’un quart et il s’est très bien maintenu. C’est le signe que ce parti s’enracine malgré une campagne assez atone, mais qui a été peut-être tout simplement une campagne de terrain comme la campagne de Marine Le Pen pour la présidentielle. Ils ont su mobiliser une assez grande partie de leurs électeurs. Beaucoup d’abstentionnistes font partie de ceux qui ont voté pour Marine Le Pen au premier tour.

La victoire de Mélenchon est d’avoir réussi une alliance électorale, qui par le jeu du mode de scrutin majoritaire à deux tours va démultiplier les élus, alors qu’il ne pèse pas plus que ce que représentait la gauche. La droite reste majoritaire dans le pays. Lorsqu’on interroge en aveugle les Français sur un certain nombre de mesures, il est clair que la droite est majoritaire. En revanche, il y a un continuum idéologique entre LREM et la Nupes qui fait que, va encore jouer le front républicain, cette hypocrisie qui veut que l’extrême gauche serait plus fréquentable que le camp national. Ce qui explique que le Rassemblement national, malgré de très bons résultats au premier tour, aura moins d’élus. Cela tient au mode de scrutin qui fait qu’au deuxième tour, il ne peut compter que sur ses propres forces et non pas sur des ralliements ou des reports de voix venant d’autres camps politiques.

M.E : Pourquoi l’Assemblée nationale ne se constituerait pas à la proportionnelle ?

G.B : Ce serait juridiquement parfaitement possible. Ce n’est pas tout à fait dans l’esprit de la Ve République qui voulait rompre avec l’instabilité gouvernementale des IIIe et IVe Républiques. La proportionnelle serait aujourd’hui beaucoup plus juste étant donné l’état de l’opinion que le mode de scrutin majoritaire à deux tours. On nous dit souvent que la proportionnelle provoque inéluctablement l’instabilité, mais c’est faux. On peut avoir de l’instabilité, il y en a eu sous la IIIe République malgré le scrutin majoritaire. On peut parfaitement empêcher l’instabilité gouvernementale avec de la proportionnelle, par le biais de ce que les Allemands appellent la défiance constructive. Plus précisément, pour pouvoir renverser un gouvernement, il faut être en capacité d’en nommer un autre. Autrement dit, des opposants qui ne sont pas capables de gouverner ensemble ne pourraient pas renverser un gouvernement. Par conséquent, il n’y a pas d’obstacles autres que des intérêts électoraux, à mettre la proportionnelle.

Cela dit, je dois le dire très sincèrement aux auditeurs de Boulevard Voltaire, pour ma part, je suis plutôt favorable à un autre système qui est le mode de scrutin majoritaire à un tour. Il présente un énorme avantage. Il oblige les forces politiques qui sont proches à s’entendre parce qu’au mode de scrutin majoritaire à un tour il faut arriver en tête au soir du premier tour pour être élu. S’il y avait eu ce mode de scrutin, le RN, DLF et Reconquête auraient été obligés de trouver un accord pour pouvoir espérer avoir des élus. La proportionnelle présente un énorme inconvénient à mes yeux. Il donne tous pouvoirs aux partis politiques pour désigner les candidats. Plus la circonscription est grande moins il peut y avoir de candidats indépendants ayant les moyens financiers de faire campagne, plus la désignation des candidats appartient aux appareils politiques, plus les appareils politiques peuvent faire des coalitions après les élections et non pas avant. Alors qu’avec le scrutin majoritaire à un tour, les partis sont obligés de se mettre d’accord pour présenter un candidat dans une circonscription. Cette alliance-là se fait devant les électeurs avant les élections. Je pense que l’on pourrait obtenir un résultat meilleur qu’avec le scrutin à deux tours avec la proportionnelle ou encore mieux, avec la majorité à un tour.

Marc Eynaud
Marc Eynaud
Journaliste à BV

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

Un vert manteau de mosquées

Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois