Hier, c’était la journée internationale du « merci »…

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Avez-vous remarqué quelque chose dans l'air, hier ? Comme une légère brise de bienveillance ? N'y avait-il pas quelques sourires devinés sous les masques, quelques gestes de gratitude et de politesse, le surgissement, pour un bref instant, de cette « civilité puérile et honnête » que le monde, jadis, nous envia ?

N'avez-vous pas vu, hier, davantage de poignées de main, de messages de remerciement ou de paroles positives?

Non. Bien sûr que non.

Le monde est resté gris et laid, les gens de la rame de métro font toujours la gueule et, pour peu que vous ayez osé l'incorrect (mais aimable) « bon appétit » à table, on vous a peut-être même répondu « qu'est-ce que ça peut te f..., c'est toi qui payes ? »

Pourtant, sachez-le toutes et tous, c'était, hier 11 janvier, la journée internationale du « merci ». Une bien belle initiative dont les origines se perdent dans la nuit du Web.

Des journées internationales, il y en a pour tout. Il y en a même davantage que de jours dans le calendrier. C'est bien pratique. Ça permet, dans un souci de pragmatisme tellement adapté à notre monde taylorisé, de ne consacrer qu'une journée à cocher la case, avant de s'en retourner à de plus rentables, de plus utiles occupations.

La journée du merci est, à l'instar de la journée de la femme (8 mars), qui permet de s'émouvoir du manque de parité dans les conseils d'administration, tout en fermant les yeux sur les excisions, les agressions, les viols et les mariages forcés qui ont lieu, chaque jour, à quelques arrêts de bus de nos métropoles compassionnelles. Elle est du même tonneau que la Saint-Valentin, qui coche la case de « l'amour » avec pétales en papier et dîner aux chandelles à 39,95 €, et dont on tolère encore l'origine catholique, sans doute parce que c'est une excuse pour acheter en ligne sextoys à moteur et menottes en fourrure.

Elle ressemble à la journée de lutte contre les discriminations, aux applaudissements moutonniers qu'il fallait, l'an dernier, réserver aux soignants tous les jours à 20 h (quart d'heure de gratitude obligatoire comme il existait, dans 1984, les deux minutes de la haine) ; elle est la sœur de tous les mouvements de foule téléguidés, de toutes les injonctions maternantes pour citoyens libres en démocratie : « mangez des fruits et des légumes »; « assurez-vous de n'avoir rien oublié à bord » ; « je mets un masque qui couvre la bouche et le nez » ; « attention, ne mets pas tes doigts dans la porte, tu risques de te faire pincer très fort » ; « ce n'est pas une opinion, c'est un délit » ; « toutes les deux heures, la pause s'impose » ; « gardez les pieds à plat »... et, donc, « dites merci »...

Quelle pitié.

En revanche, cette journée autoproclamée peut peut-être, a contrario, nous rappeler les joies simples de la gratitude silencieuse (sans « merci, pareillement ») pour ce qui est donné chaque jour, à qui sait le voir et le saisir, sans espoir de remerciement : coucher de soleil sur les champs ; lever de soleil en montagne ; murmure d'une source en forêt ; rire d'un enfant élevé sans télévision ; sourire d'un beau visage émerveillé (spectacle que Bernanos considérait comme le chef-d'œuvre de la nature) ; plaisir de la fraternité spirituelle et esthétique avec des œuvres d'art admirables ; paysages et monuments sublimes, façonnés par des hommes qui avaient des convictions, pas des opinions (« On ne bâtit pas une cathédrale avec des opinions », disait Heinrich Heine) ; exemples et légendes de notre grande et longue histoire, qui claquent comme des bannières et nous obligent à nous tenir droits.

En somme, rien qui n'ait été jugé digne d'être retenu pour une journée internationale. Et c'est tant mieux.

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

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