[Histoire] Juin-juillet 1984 : le peuple de droite fait reculer Mitterrand

Capture d'écran INA
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Que se passait-il, il y a quarante ans, en France, au tournant juin-juillet 1984 ? Fin de l'année scolaire ? Tranquille glissade vers la plage et l'insouciance ? Que nenni ! L'École, en tout cas l'École libre, loin d'être en vacances, est puissamment mobilisée contre le projet socialiste de création d'un grand service public unifié de l'Éducation nationale qui mettrait fin à sa spécificité, garantie par la loi Debré. Une mobilisation soutenue par une droite alors en pleine ascension.

17 juin : des élections européennes triomphales pour la droite

Le gouvernement socialiste de Pierre Mauroy, après avoir appliqué sans succès son programme économique, est contraint au tournant de la rigueur en 1983. Pour donner satisfaction à l'électorat de Mitterrand, il souhaite appliquer l'une de ses 110 propositions : la création d'un « grand service public unifié et laïc de l'Éducation nationale ». Dès le début de l'année 1984, le projet du ministre de l'Éducation Alain Savary suscite contre lui plusieurs manifestations en province, notamment à Versailles, le 4 mars (plus de 500.000 personnes, selon la police). Ce mécontentement supplémentaire profite à l'opposition de droite, qui remporte les élections européennes du 17 juin : la liste RPR-UDF menée par Simone Veil totalise 43 %, plus du double du score de la liste PS de Lionel Jospin; le PC est laminé à 11 % et le Front national de Jean-Marie Le Pen fait irruption, pour la première fois, à une élection nationale avec un score à deux chiffres : 10,95 %. Parmi les éléments qui expliquent ce succès, le réveil des catholiques, certainement. Autre signe de perméabilité entre le mouvement catholique et l'opposition de droite : la liste de Simone Veil a pour titre « Union de l’opposition pour l’Europe et la défense des libertés ».

24 juin 1984 : une manifestation monstre

Après l'adoption du projet de loi par l'Assemblée en première lecture, les responsables catholiques du mouvement contre la loi Savary préparent une grande manifestation nationale à Paris. La manifestation rassemble deux millions de personnes, selon les organisateurs, et au moins 850.000, selon la police. Le JT d'Antenne 2 (cf. l'archive INA) rend compte de l'événement : une manifestation sans débordement, des évêques mobilisés (dont Jean-Marie Lustiger et Jean Vilnet, président de la Conférence des évêques de France) et de très nombreuses personnalités politiques de l'opposition présentes : Simone Veil, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Chirac mais aussi Michel Debré, Jean-Marie Le Pen et Jacques Chaban-Delmas. Pour la droite, c'est comme un second tour amplificateur.

14 juillet 1984 : Mitterrand annonce le retrait du projet

Le 12 juillet, lors d'une allocution solennelle, le Président annonce la tenue d'un référendum pour réviser la Constitution et élargir le champ de consultation prévu à l'article 11 aux libertés publiques. Un référendum sur le référendum, en quelque sorte. Cette manœuvre destinée à reprendre la main n'aboutira pas.

Finalement, le 14 juillet 1984, sur TF1, le président de la République François Mitterrand, annonce le retrait du projet de loi Savary et le justifie ainsi : « Je m'inquiète aussi de ce que pensent ceux qui ne pensent pas comme moi. Et j'en tiens compte. » Désavoué, Alain Savary démissionne le 17 juillet, suivi par le Premier ministre lui-même Pierre Mauroy, remplacé par Laurent Fabius.

Un événement fondateur

Cette séquence de mobilisation aux conséquences politiques constitue un événement politique sur plusieurs plans. Pour le système scolaire, c'est la fin du fantasme d'une uniformisation publique et un tournant qui met au cœur du débat des questions toujours actuelles (éducation civique, choix du meilleur établissement, etc.). Pour les catholiques, c'est la preuve qu'ils peuvent encore peser sur le cours de l'Histoire. Pour la gauche, c'est la fin bien sonnée des illusions de 1981. Pour la droite, c'est la prise de conscience qu'elle peut gagner dans les urnes et dans la rue. Pour le Président Mitterrand, c'est l'adoption d'une position moins partisane, au moins tactiquement, et la construction d'un profil susceptible de permettre une cohabitation, qui interviendra moins de deux ans plus tard, en 1986, et une réélection, en 1988. Les vainqueurs de l'épisode sont donc multiples.

Frédéric Sirgant
Frédéric Sirgant
Chroniqueur à BV, professeur d'Histoire

Vos commentaires

13 commentaires

  1. C’est bien le traitre CHIRAC qui avait en 81 demandé aux républicains ses plus proches de trahir VGE (un de nos meilleurs Présidents) en votant MITTERRAND. Il a recommencé une deuxième fois en trahissant SARKOZY en demandant à ses troupes de voter HOLLANDE.
    Je n’ai jamais pardonné à ce traitre et je suis rentré chez LR sous SARKO.

    • « Le traitre chirac , vous avez employé le mot juste . Je pense exactement la même chose ! N’est il pas aussi responsable de la mise en oeuvre du regroupement familial dont on ne peut aujourd’hui que constater les dégâts .

  2. Si Mitterand a pu se maintenir au pouvoir, c’est cramponné son fauteuil, en louvoyant, en mettant une sourdine à ses ambitions pour la France et en faisant faire, avec Fabius, un virage à 180° à sa politique… Ça montre aussi la faillite de la gauche, qui a su se démonétiser en 3 ans (tout comme le Front Populaire en 1939) et amener à une cohabitation dont « Tonton » a fort bien su s’accommoder… Ça a aussi été le début de la « Beresina » économique du pays. Rappelons qu’à son arrivé au pouvoi en 1981, la dette de la France etait quasi inexistante…

  3. Les désillusions, la paupérisation et, pour finir, la faillite générale sont les seuls faits auxquels aboutissent les courants de gauche, néanmoins, c’est à la droite, à ces renoncements, à ces compromissions avec le centre-gauche, et pour finir à ces trahisons comme en ce 29 mai 2005 et les 54,87 % pour le non à laquelle j’en veux.

    • Je pense qu’ils n’ont pas eu besoin de tomber dans le piège tendu par Mitterrand comme on nous répéter trop souvent. Ils s’y sont glissaient de plein leurs pleins grès par simple calcul électoral, en s’alliant avec le centre de Bayrou et surtout pour les beaux yeux des progressistes européens, ils ont n’y plus n’y moins fait que du populisme sociale ce qui les a conduit au « bacio della morte » ou baise de la mort pratiqué par les parrains mafieux.

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