Hommage : Guy Marchand (1937-2023), l’honnête homme

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Il était né à Belleville et fils de ferrailleur. Il aurait pu rester toute sa vie dans le coin et s'en satisfaire. Mais, parce qu'il avait tous les talents et parce que l'époque se prêtait aux belles histoires, Guy Marchand, après avoir joué de la clarinette dans les clubs de jazz dès le lycée, partit à l'aventure. Et en grand, hein, bien sûr. Au lieu de faire son service militaire comme deuxième pompe dans une quelconque caserne, il fit les EOR et en sortit lieutenant dans un régiment du train parachutiste. Pendant la guerre d'Algérie, il est officier de liaison auprès du 3e régiment étranger d'infanterie.

Et puis, tout en étant consultant (parce que para) sur le tournage du Jour le plus long, et parce que la scène est une maîtresse insatiable et que son parfum est capiteux, il ne peut s'y soustraire longtemps. Il chante alors des tangos, puis du jazz, styles dans lesquels sa voix de crooner fait merveille. On se souvient de la Passionata, évidemment, et puis, plus tard (1982), du langoureux Destinée (musique de Cosma), utilisé pour Les Sous-doués mais aussi pour le célébrissime slow du Père Noël est une ordure, entre Thierry Lhermitte (en permanent de SOS Amitié très mal à l'aise) et Christian Clavier (en travesti entreprenant). Arrivé au soir de sa vie, en 2020 exactement, il enregistra un bel album assez émouvant, Né à Belleville. Il était par ailleurs, en plus de la clarinette, saxophoniste et pianiste de jazz.

Comme acteur ? C'est pareil, il est très bon. César du meilleur second rôle pour Garde à vue (avec Ventura et Serrault), éternel Nestor Burma de télévision, revisité à l'époque moderne, il donne la réplique à Noiret dans Coup de torchon et Noyade interdite, notamment. Il a successivement joué les play-boys de plage, en Aldo Maccione mince, puis les salauds violents. L'âge avait fini par lui donner, ces dernières années, un regard touchant de vieux monsieur sans artifices. Et puis, les joueurs de courses s'en souviennent aussi en tant que visage de la publicité PMU.

Il s'en foutait bien, d'être ringard : le PMU, les slows de camping, les rôles de pourriture, c'était pour le boulot. Il avait trop d'autodérision pour être vaniteux. Ses jardins secrets étaient bien plus chics : la boxe, le polo, la course automobile, les vieux cabriolets et... l'élégance vestimentaire.

Guy Marchand pensait ne rien laisser, à part Destinée et la pub du PMU. Il laisse au contraire un vide dans le paysage culturel français, avec ce regard asymétrique, un œil qui toise et un qui s'étonne, et cette gouaille nasillarde qu'on n'entend plus beaucoup.

Le jazz, le service de son pays, les sports de gentilhomme, la sape, l'humour et une conscience aiguë du ridicule des choses pour éviter de se prendre au tragique : décidément, un honnête homme s'en va. Laissons-le disparaître, dans la brume d'un quelconque polar français, son fedora brun sur la tête, un air de saxophone alto en fond sonore...

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

48 commentaires

  1. Un certain chic et de l’élégance : Guy Marchand s’en est allé et ils sont en voie de disparition…

  2. Un grand Monsieur vient de nous quitter. Sincères condoléances à la famille de Guy Marchand. Osons seulement espérer que les chaînes de télévisions publiques sauront lui rendre hommage.

  3. Un très beau texte qui sied bien à la personnalité de cet homme aux multiples talents. Merci au chroniqueur qui a su croquer en peu de mots tout ce qui était authentique chez Guy Marchand. De l’authenticité qui reste aujourd’hui, malheureusement, une perle rare. Bravo !

  4. Un homme , un vrai , de la Passionata des années 60 ( » je travaille chez Renooooo » ) à Burma et ses matins blêmes….A+ l ‘artiste !

  5. C’est drôle tout le monde aimait bien Guy Marchand… Il faut dire aussi qu’il ne s’est jamais distingué dans le mauvais sens.

  6. Admirable artiste qui est parti rejoindre bien d’autre, je ne connaissais que ses œuvres comme la majorité pas sa vie personnel qui ne me regarde pas.

  7. Merci pour cet hommage si juste , si réel et sans trémolos . Guy Marchand faisait partie des derniers «  éléphants « du 5e Art , un contemporain des Ventura , Blier ou Serrault . Merci Mr Marchand pour ce que vous nous avez apporté, merci pour votre générosité , votre professionnalisme . Et puis ne dit on pas qu’un Parachutiste ne va pas au ciel , il y retourne

  8. Né de rien, comme dirait Macron, mais attiré par la noblesse des arts et des sports individuels et tout ce qui est « classe », il faisait un peu « tâche » dans le mondes dépravé du Cinoche . Le Paradis doit jubiler de le recevoir .

  9. Pour moi, en plus d’être mon contemporain, il était un des marqueurs d’une époque révolue, belle à de nombreux niveaux, et un de ces seconds plans bien meilleurs que la majorité des « stars » d’aujourd’hui.

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