Hommage perpétuel à Jacqueline de Romilly

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Ce 26 mars, je relis Petites Leçons sur le grec ancien. Jour anniversaire, je le vois, de la naissance, en 1913, de cette grande helléniste que fut Jacqueline de Romilly, académicienne et citoyenne d’honneur de la Grèce.

Le ciel est bleu. Remontent en moi des souvenirs : l’amour de la Provence, du grec et des humanités. L’avouerai-je ? Je la trouve un peu oubliée, celle dont son éditeur de Fallois disait : « Elle désarmait par son autorité naturelle, elle avait ce mélange de sérieux et de gaité des grands professeurs. » Qu’il soit permis d’honorer ici celle à qui on doit tant de livres sur l’élan démocratique à Athènes et la grandeur de l’homme.

"Avoir été juive sous l’Occupation, finir seule, presque aveugle, sans enfants et sans famille, est-ce vraiment sensationnel ? Mais ma vie de professeur a été d’un bout à l’autre celle que je souhaitais." Elle est « la première femme à… » être lauréate de version latine et grecque, normalienne, professeur au Collège de France, académicienne. Fille d’un professeur agrégé de philosophie, mort pour la France, en 1914, dans la Somme, élève au lycée Molière puis en khâgne à Louis-le-Grand, elle reçoit, à 20 ans, des mains de sa mère une édition rare de celui qui sera "son amour pour la vie : Thucy", plus connu sous le nom de Thucydide.

Juive, elle se voit refuser d’enseigner sous Vichy. À la Libération, elle commence une longue carrière couronnée de lauriers en même temps qu’elle s’engage avec ferveur dans un combat jamais démenti pour la défense des humanités : son nom de guerre n’est-il pas « Lance » ? En 68, elle dit du pégagogisme ambiant : "Nos ennemis ne sont pas à l’extérieur mais à l’intérieur de l’institution." C’est encore elle qui contribuera au reboisement des forêts grecques ravagées par le feu en 2007.

Il y a quelque jours, monsieur Blanquer a inauguré le « Festival européen du latin et du grec » : cheval de Troie, joutes oratoires, lecture mondiale de l’Odyssée. Rempart contre "l’hubris" qui guette l’homme technologique et lumière contre l’obscurantisme, l’humanisme est la fabrique des héros. Avec l’âge classique, en effet, les dieux n’ont plus des têtes d’animaux ni des milliers de bras. Ulysse, l’homme aux mille tours, préfère le retour dans sa patrie à l’immortalité que lui offre la belle Calypso. De ce "miracle grec", né il y a plus de 2.400 ans, qui « inventa » la littérature, la philosophie et l’idée de « démocratie » (la forme de la nôtre fût-elle différente), Jacqueline de Romilly a témoigné inlassablement, en parole et en acte, jusqu’à l’âge de 95 ans.

C’est l’hellénisme qui permit la latinité, rappela le ministre : « Un pont entre les peuples. » Pourquoi faire du grec ? Pour saisir, à sa source, l’élan créateur de la pensée et des idées. Et pourquoi du latin ? Pour connaître notre langue. Comme le latin, en effet, le français est une langue qui grandit avec la littérature. Langue non point morte mais vivante. « Sans le grec et le latin », dit le ministre, "nous sommes perdus. » Bienheureuse perdition si nous la ressentons !

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Marie-Hélène Verdier
Agrégée de Lettres Classiques

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