Il y a 100 ans, la Turquie viole le traité de Sèvres : une cause des drames actuels en Orient et en Occident

kemal

De septembre à décembre 1920, la Turquie, violant le traité de Sèvres signé par elle un mois auparavant, attaque l'Arménie, génocidée de 1915 à 1918. Ce petit pays chrétien verra son territoire, brièvement retrouvé, à nouveau réduit alors qu'il était sous la protection de la France (armistice de Moudros), et devra accepter la soviétisation pour survivre.

Seuls les grands historiens savent lire, aux racines de l'Histoire, les causes des drames postérieurs. Bainville fut de ceux-là. Extrêmement critique sur les conséquences du traité de Versailles - alors que Keynes se trompa lourdement -, il anticipa les répliques historiques à venir du séisme de 14-18 et des traités subséquents. Parmi ces derniers, le traité de Sèvres du 10 août 1920 était censé en finir avec un des trois empires belliqueux, l'Empire ottoman, colonialiste et brutal. Les circonstances militaires étaient favorables : la Turquie et ses alliés (les empires germaniques) étaient militairement défaits et la valeureuse armée grecque enchaînait les victoires contre les restes de l'armée turque, du moins jusqu'en août 1921 (deuxième guerre gréco-turque). Dès mai 1919, 20.000 soldats grecs débarquaient - soutenus par une flotte franco-britannique - sur la rive asiatique à Smyrne (Izmir), peuplée de Grecs, prenant ainsi le contrôle de la ville et de sa région. Il existait à cette opération une justification humanitaire (pogroms) et juridique (armistice de Moudros et traité de Sèvres en cours). Auparavant, les Grecs avaient déjà récupéré la Thrace, jusqu'aux portes de Constantinople. L'offensive grecque en pleine Anatolie dura jusqu'à la victoire contre les Turcs en juin/juillet 1921 à Dorylée (désormais Eskişehir, où Raymond de Rouergue avait, jadis, écrasé les Turcs, en 1097) : les Grecs s'ouvraient la route d'Ankara. Mais les politiciens français et italiens effectuèrent alors un véritable revirement d'alliance avec les Jeunes Turcs, trahissant les Grecs, le traité de Sèvres, et surtout créant une mine à retardement pour l'Occident et pour les nations.

En effet, le traité de Sèvres ramenait les Turcs à des proportions les empêchant à jamais de nuire. Ce peuple venu des steppes d'Asie centrale, à l'origine nomade, avait peu à peu terrorisé et conquis les zones civilisées : Moyen-Orient, Perse, Anatolie, Machrek, Maghreb, Moldavie, Valachie, Bulgarie, Balkans, Hongrie, jusqu'aux faubourgs de Vienne, Constantinople et la Grèce. Ce terrible renversement d'alliance avait pour but de contrer le gouvernement royal grec, désormais supposé client de la Grande-Bretagne. Les Italiens, depuis leur base d'Antalya, fournirent aux révolutionnaires turcs des renseignements sur les troupes hellènes. Ceci permit à Kemal, d'abord de résister aux Grecs, puis d'écraser l'Arménie. L'armée grecque subit alors un revers (batailles d'Inönü, mars 1921) ) car la France avait déjà commencé à livrer gratuitement à l'armée turque 10.000 uniformes, 10.000 fusils Mauser, 2.000 chevaux, 10 avions Bréguet, le centre télégraphique d'Adana et les ports de Méditerranée qu'elle contrôlait. Puis elle construisit une usine de munitions à Adana pour fournir l'armée ottomane.

En octobre 1921, un accord fut signé entre Kemal Atatürk et le « pacifiste » Briand, mettant fin à la présence militaire française en Cilicie alors que les massacres des populations civiles continuaient. Les Occidentaux avaient pourtant eu des idées de libération des peuples écrasés par les Ottomans. Il s'agissait parfois de communautés ethniques ou religieuses disséminées, mais surtout de nations dotées d'une histoire continue, d'une typicité ethnolinguistique, d'un territoire cohérent et de démographies significatives : Arméniens, Grecs, Kurdes, Arabes. L'impérialisme ottoman aurait été, dès lors, bridé à jamais.

Jadis, Thucydide chercha à comprendre les mécanismes cachés de l'Histoire : leurs causes et leurs conséquences. Aristide Briand, dans sa jeunesse avait appris, mais pas compris, le grec et l'histoire. En 1926, il reçut le prix Nobel de la paix, partagé avec Stresemann, pour son action en faveur de la « réconciliation entre la France et l'Allemagne » (!), elle est toujours turcophile.

« L'histoire est un perpétuel recommencement […] Il faut voir clair dans les événements passés et dans ceux qui, à l'avenir, du fait qu'ils mettront en jeu eux aussi des hommes, présenteront des similitudes ou des analogies » (Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse - Ve s. av. J.-C.)

Henri Temple
Henri Temple
Henri Temple est universitaire, juriste, théoricien de la Nation (auteur de :  Essai sur le concept de ‘’Nationisme’’, Sphairôs, 2024)

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