Il y a 140 ans mourait le comte de Chambord : une certaine idée de la France

comte de chambord

Il y a cent quarante ans mourait et était inhumé le comte de Chambord, respectivement le 24 août et le 3 septembre 1883. Si le prince n’a jamais régné, son importance durant tout le XIXe siècle fut notable. Né « enfant du miracle » le 29 septembre 1820, quelques mois après l’assassinat de son père, le duc de Berry, il resta jusqu’à sa mort le recours de la royauté dans un siècle qui hésita longtemps sur la forme de ses institutions après la rupture de la Révolution. Reprendre la forme de la royauté était bel et bien une possibilité : les hommes politiques, qu’ils soient pour ou contre, ne pouvaient l'ignorer.

Le comte de Chambord était le recours royal

D’aucuns lui reprochent son manque de pugnacité en 1873, alors que la Restauration était à portée de main. La Chambre, majoritairement royaliste, allait le rappeler, elle attendait un signe, un geste de sa part. Il ne le fit pas ou, plus exactement, il ne fit pas celui que certains voulaient. D’autres firent capoter la Restauration sur le fallacieux prétexte du drapeau blanc. Celui qui aurait pu devenir roi fut l’objet d’un des premiers épisodes de dérision politique opposée à une question de principe. En 1873, le comte de Chambord a préféré, au mirage d’un pouvoir tronqué, défendre le principe de la royauté française dont la légitimité tient, justement, au respect de la tradition, sans arrangements conjoncturels. Pour lui, le roi doit être souverain.

Des premiers Capétiens qui ont conquis cette souveraineté face à l’empereur ou au pape, jusqu’à Louis XIV et son « l’État, c’est moi » ou encore à Louis XV récusant le pouvoir partagé avec les Parlements, il y a une constante de la royauté à la française. Le nier, c’est faire « autre chose », le pouvoir d’un seul, sans doute, mais pas la royauté française. Faire autre chose : pourquoi pas une république, alors, ou un empire ? Voilà ce dont le comte de Chambord ne voulait pas. Il n’a pas accepté l’exil durant des décennies pour abandonner dans la dernière ligne droite. Pas le pouvoir à n’importe quel prix, c’est-à-dire celui de l’honneur. Quand Louis XVI, qui avait essayé d’aller jusqu’au bout dans les concessions, l’a compris, il a signé son arrêt de mort. En opposant son veto, il est redevenu souverain à part entière. Dont acte. Cela, le comte de Chambord le savait de la propre fille du roi martyr, la prisonnière du Temple, sa tante, Madame Royale auprès de qui il avait longtemps vécu en exil. Si la royauté en France est harmonie et équilibre, c’est parce que le roi est « absolu ». Le roi doit demeurer l’arbitre et non être soumis à la souveraineté populaire. Son pouvoir, néanmoins, n’est pas arbitraire : il est limité par les lois fondamentales qui définissent les règles de succession et d’inaliénabilité du royaume et par la promesse du sacre qui met le Décalogue comme loi supérieure imposant la justice et l’équité vis-à-vis des hommes. Le roi ne peut être alors un tyran, mais son pouvoir est souverain. Pour le comte de Chambord, il y avait là un principe intangible au cœur même de l’essence de la royauté.

Après 140 ans, il est possible de se poser la question de savoir s’il a eu tort ou raison. Sur l’instant, il a fait bien des déçus, notamment parmi ceux qui, depuis des années, travaillaient à la Restauration. Le trône, le carrosse du sacre était déjà réalisés, les bustes pour les mairies, les timbres pour la poste, etc. L’exposition permanente du château de Chambord est parlante, sur ce point.

Avec le recul des années et mieux informés par les travaux de la recherche historique (bien illustrée, il y a quelques mois, par la parution de l’ouvrage Le Comte de Chambord et sa mission), il est plus aisé d’analyser et comprendre son action et sa pensée. Le comte de Chambord a toujours défendu une certaine idée de la France, héritière de la royauté. Il ne peut l’imaginer hors de ce cadre. « Les rois ont fait la France. La France se défait sans ses rois ! »

Comme il l’a dit ou écrit à plusieurs reprises, sa Restauration devait permettre de reprendre le dialogue brisé par la Révolution de 1789, entre les rois et la France, pour continuer l’œuvre capétienne. Le comte de Chambord le croyait intimement. La société avait été faussée par 1789. Les rapports entre le roi et les Français avaient été brisés par la règle du nombre « démocratique » qui remplace celle de la fidélité réciproque. La confiance étant rompue, l’autorité du roi et celle du peuple deviennent concurrentes dans une opposition dialectique de plus en plus délétère menant à une opposition contre nature, entre dominants et dominés. En 1873, il fallait remettre la société dans l’ordre naturel visant à l’harmonie sociale basée sur les corps intermédiaires et les libertés locales. Sinon, rien de durable n’était possible.

Le comte de Chambord a voulu maintenir les principes de la royauté française, le modèle français de la monarchie qui servira quand elle aura la volonté de redevenir une grande puissance. L’héritage du comte de Chambord est intact. C’est son ultime cadeau à la France. Il était bon de le rappeler à l’occasion du 140e anniversaire de sa mort.

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Philippe Montillet
Historien et juriste

Vos commentaires

12 commentaires

  1. Le Comte de Chambord comme son oncle Louis XVI fut victime du mythe de la monarchie absolue inventée par Louis XIV qui, se souvenant de la fronde a voulu mettre au pas les grands nobles en les fixant à Versailles. Erreur fatale pour son arrière-arrière-arrière petit fils Louis XVI , car les grands comtes ou ducs restés dans leurs domaines n’auraient jamais toléré la révolution française. Mais le comte de Chambord n’a tiré aucune leçon de l’échec de son grand-père Charles X arc-bouté sur l’absolutisme et qui y perdra sa couronne. De plus le contraste est flagrant entre le royaume de France qui érige en dogme la monarchie absolue et le Royaume Uni qui invente au même moment le parlementarisme… Qui prendra le dessus?

  2. Le coup du « drapeau blanc sinon rien » dénote un grave manque de sens politique. Son aïeul Henri IV était plus fin, disant « Paris vaut bien une messe ». Pour ce qui est de la monarchie aujourd’hui, autant elle marche chez les civilisés – Angleterre, etc – autant en France ce serait la course des copains réclamant des titres nobiliaires et toutes autres prébendes possibles (il suffit de regarder la course à la lèche pour la Légion d’Honneur). Le Français aime trop le piston, c’est un pays inadapté de par sa corruption interne à toute forme de royauté.

  3. Les historiens peuvent discuter tant qu’il veulent, mais aujourd’hui le fait est là : les pays européens à monarchies constitutionnelles sont plus apaisés que le nôtre. Ils ont un référent national qui symbolise le pays quand il y a des remous. Chez nous en cas de remous, c’est la vase qui remonte…

  4.  » les lois fondamentales qui définissent les règles de succession et d’inaliénabilité du royaume et par la promesse du sacre qui met le Décalogue comme loi supérieure imposant la justice et l’équité vis-à-vis des hommes.  » Vous « oubliez » le principal : le sacre signifie la transcendance de la royauté, qui devient ainsi l’œuvre de Dieu, échappant à celle des hommes. Une paille!

  5. Peut-être faut-il davantage mettre en lumière que c’est Charles X qui tint lieu de père au comte de Chambord et forma sa conscience politique.Or, Charles X incarnait l’intransigeance du principe absolutiste: « plutôt couper moi-même mon bois que régner à la manière du roi d’Angleterre » résume la grandeur solitaire de Charles X que partage Henri V . Et puis,n’oublions pas surtout qu’en 1873,le comte de Chambord savait qu’il n’aurait pas de descendance et qu’en fait sa restauration serait celle des Orléans Cela aussi n’était pas concevable au regard du double reniement de 1792 et de 1830 qui rendait illusoire toute restauration des principes de Saint Louis,même si le comte de Chambord avait aussi exploré cette possibilité, ce qui rend compte des déchirements qui n’ont pas manqué de le traverser.

  6. A vous lire, cette idée de la France monarchie absolue n’est pas morte !
    Le comte de Chambord apparaît en effet, comme vous l’écrivez ,particulièrement incapable d’arrangements. Il est sûrement bien heureux qu’il ne soit pas parvenu au pouvoir, car il est nécessaire dans la vie de faire des arrangements pour s’adapter aux changements des réalités du monde. Il faut de bons arrangements.
    La monarchie en France n’a pas longtemps été absolue et les rois ont dû faire beaucoup d’arrangements. Henri IV par exemple a fait l’édit de Nantes pour arranger protestants et catholiques.
    La royauté absolue de Louis XIV a révoqué en revanche cet arrangement. Les français de religion réformée ont été persécutés. Ils étaient parmi les français les plus cultivés et industrieux, ayant été particulièrement éclairés des lumières de la Renaissance. Ces français protestants ont dû émigrer. Ils ont enrichi nos voisins anglais et des Pays bas et la France a alors décliné. Louis XIV a fait bien brillé sa personne et ainsi une certaine vision de la France, mais il a ruiné le pays au nom de l’absence d’arrangement possible avec la religion.
    En 1789 ainsi la France allait bien mal. Pas à cause de Louis XVI, mais à cause de la politique de Louis XIV qui considérait que l’état c’était lui. Une vision tyrannique de l’état, qui rappelle celle de Mr Mélenchon. La France de 1873 n’avait pas besoin de nouvelle monarchie absolue pour rester la France.

    • C’est bien dit.
      Lorsque le souverain absolu n’a pas la « trempe » nécessaire pour gouverner, est la proie de coteries et ne sait pas s’entourer (voir Loui XVI), et ne sait pas conclure des compromis qui ne soient pas des compromissions, il est temps d’en changer, ce que la monarchie ne permet pas… sans révolution.

  7. Le comte de Chambord avait parfaitement compris ce qu’avait été la Révolution française : le rapt de la légitimité par les forces masquées. Et la légitimité c’est le gouvernement du Peuple qui s’énonce par ces deux versets de l’Évangile : Le Roi et ceux qui sont avec lui. (« Pierre et ceux qui sont avec lui. » Luc 9, 32 et Marc 1, 36) et qui se concrétise par la création d’Assemblées provinciales, issues du Peuple par les assemblées élémentaires, de la paroisse, du canton, du bailliage, et de la province de laquelle est issue l’Assemblée nationale d’où le Roi tire son gouvernement.
    C’est Louis XV qui le premier avait institué une Assemblée provinciale dans le nord. Louis XVI n’a fait que mette ses pas dans ses pas, mais ce sont les Notables de 1787 qui ayant comprit que la mainmise sur le gouvernement de la France allait leur échapper qui fomentèrent la révolte de 1789. C’est pour l’avoir bien compris que le comte de Chambord refusa le pouvoir en 1873. Il ne voulait pas devenir une baudruche aux ordres des forces masquées comme ses oncles de la Restauration : « Quand vous voudrez nous referons 1789 » Mais 1789 de Louis XVI qui par les États généraux chercha a redonné le pouvoir administratif à son Peuple. Aussi ce n’est pas un hasard si en juin 89 ses Gardes françaises passèrent à l’insurrection au moment exacte à les trois Ordres étaient réunis en Assemblée nationale et si au moment où ces trois Ordres faisaient front contre leurs meneurs secret, il y eu l’incompréhensible affaire de la Bastille. Malgré tout le Roi tiendra presque trois ans avant de succomber.
    Est-ce un hasard si le seul qui a voulu restaurer la légitimité, le Maréchal Pétain, a été lui aussi condamné à mort ?
    Baudouin

    • Pétain a voulu restaurer une légitimité qui ne convenait pas au peuple français lequel est acquis depuis belle lurette aux principes essentiels du républicanisme. Tous ceux qui envisageront de sortir de la seule légitimité républicaine, celle de la volonté populaire, connaîtront la même fin. De cela, le général de Gaulle par exemple, qui n’était pas un robespierriste, loin s’en faut, en était certain.

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