[L’ÉTÉ BV] Il y a 50 ans, Soljenitsyne terrassait le communisme

©Bert Verhoeff-Wikimedia
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Tout l'été, BV vous propose de relire certains articles de l'année écoulée. Ici, des nouvelles de notre civilisation.

C’était en 1973. L’année se terminait par un saisissant coup de froid venu de Sibérie. Un homme, à lui seul, Alexandre Soljenitsyne, rescapé de la grande épreuve, révélait au monde l’existence d’un continent inconnu, insoupçonné, caché : L’Archipel du Goulag.

Un monde de morts-vivants où errait, le corps décharné et l’œil hagard, un peuple de prisonniers politiques enfermés comme des bêtes par le régime communiste qui l’avait décrété « ennemi du peuple ». Il ne suffisait pas d’être juif, rom ou chrétien pour rejoindre le camp de concentration. Non, ici, plus à l’est, là où le socialisme n’était pas national mais international et soviétique, il suffisait, dans son propre pays, de porter des lunettes, de parler une autre langue, d’avoir indisposé un voisin jaloux, bien placé au parti, de ne pas avoir adhéré avec enthousiasme à la liberté promise par le grand Staline, petit père des peuples, alors qu’il demandait seulement qu’on veuille bien lui sacrifier tous ses biens et tout son être.

Isolés les uns des autres, quoique unis dans leur destin

Alexandre Soljenitsyne s’était ainsi retrouvé expéditivement condamné et déporté en Sibérie, au cœur de cet enfer concentrationnaire des camps, des travaux forcés, des stalags, des matricules, de la mort quotidienne, des tortures, de l’absurde, de la pègre dictant sa loi, de la faim qui tiraille et rend fou, de la déshumanisation la plus complète. Un monde dans lequel le sort le meilleur est de mourir vite, au risque de se dévorer les uns les autres, devenant ainsi complice - suprême supplice - du bourreau et du système qui vous maltraitent.

Un archipel du goulag, parce qu’il est immense, parce que ses îlots sont savamment isolés les uns des autres, quoique unis dans leur destin, parce qu’ils n’ont pas de contour, pas de limite, pas d’explication raisonnable et parce qu’enfin, il a quelque chose d’intangible et d’immatériel qui en fait, plus que la réalité crue d’un régime, d’une terre et d’une époque, la matrice du totalitarisme, cet hydre infernale qui se forme, se déforme et ne dort jamais que d’un œil.

Il fallait donc pour le terrasser quelqu’un qui se lève, un esprit libre qui refuse de devenir esclave, qui renonce à ce que le mensonge passe par lui, qui se tienne en éveil constant pour observer, retenir, mémoriser puis raconter. Une puissance intellectuelle, mémorielle, physique et morale qui ne s’identifie pas à un héros, mais simplement à un témoin chargé de survivre pour témoigner et parler au nom de ceux qui n’auront pas survécu et ne pourront plus parler.

De ce pays sans mémoire et sans écriture, à la seule force de ses souvenirs, Alexandre Soljenitsyne a déployé par devoir l’esprit de résistance et de dissidence ; il a trouvé dans ce combat le combat de sa vie : dresser l’enquête minutieuse, la description précise et la liste authentique d’un lieu qui n’apparaissait nulle part sur les cartes physiques mais fait désormais figure de haut lieu sur la carte métaphysique du monde.

L'aventure homérique de la parution

Car derrière ce travail acharné, dont la parution patiente, cachée sous le manteau, aboutissait à sa parution à Paris le 28 décembre 1973, il y a exactement 50 ans (voir le passionnant reportage sur LCP), il y a plus que le témoignage d’une époque. Il y a un message universel pour la vérité qui rend libre.

Un anniversaire qui valait bien une exposition, celle que propose la Vendée, avec l’appui de Stéphane Courtois. Une exposition qui se souvient que ce géant du XXe siècle avait foulé, de retour d’exil, la terre de Vendée à l’invitation de Philippe de Villiers, marquant ainsi la parenté des révolutions et de leurs victimes.

Un message pour notre temps et pour tous les temps. Utile à Saint-Germain-des-Prés pour la gauche intellectuelle et morale qui, à l’époque de la parution, embrassait encore, cheveux au vent et poing levé, le paradis communiste, tous ses petits livres rouges et son amour de l’humanité.

Utile, aussi, pour les libéraux de l’époque, dont Soljenitsyne prophétisait l’effondrement moral, le « déclin du courage », le confort matériel, terreau de tous les affaissements.

Utile, enfin, pour nous, aujourd’hui et chaque jour, à qui ce message universel s’adresse : « Le monde, aujourd’hui, est à la veille d’un tournant de l’Histoire : ce tournant exigera de nous une flamme spirituelle, une montée vers une nouvelle hauteur de vues, vers un nouveau mode de vie où ne sera plus foulée aux pieds notre nature spirituelle. »

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 23/07/2024 à 10:15.

Iris Bridier
Iris Bridier
Journaliste à BV

Vos commentaires

21 commentaires

  1. Soljenitsyne fut le premier à révéler au monde la réalité du communisme, dont le socialisme-national (en clair, le nazisme) n’en est que la version raciale et raciste…

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