Imaginons un Trump dans nos débats présidentiels…

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Le premier débat entre Donald Trump et Joe Biden a été considéré comme le pire débat présidentiel aux États-Unis, au point que même l'instance chargée de réguler ces joutes a envisagé de fixer des limites et d'envisager des modifications.

C'est dire à quel point les échanges n'ont pas volé haut et qu'ils sont tombés dans une violence et une grossièreté, un langage totalement relâché dont certains extraits ont été regardés et écoutés avec une sorte de fascination outrée. Comment était-il possible que des adversaires s'adressent ainsi l'un à l'autre ?

La France démocratique s'est rengorgée et s'est félicitée de n'avoir jamais connu de telles dérives, se rappelant sinon la qualité du moins la courtoisie des débats présidentiels avant le second tour.

Pour s'amuser, on pourrait en effet les imaginer dans notre pays sur le mode de Donald Trump face à Joe Biden et de celui-ci sans cesse interrompu et enjoignant à son contradicteur de « la fermer ».

Notre politesse républicaine apparente est telle qu'on se souvient des quelques moments qui ont semblé dépasser l'antagonisme en quelque sorte normal et qui relèveraient pourtant, au regard des USA, presque d'une forme de mollesse. Hors campagne présidentielle, on n'a vraiment eu à se mettre sous la dent que le « roquet » assené par Jacques Chirac à Laurent Fabius et, en 2017, les pitreries gestuelles de Marine Le Pen face à Emmanuel Macron.

Si celui-ci avait été Donald Trump, il est facile de prévoir comme il l'aurait insultée.

Continuons. Tous ces adversaires qui ne s'aimaient pas mais usaient d'un langage à peu près policé pour s'affronter, que serait-il advenu de leur tenue s'ils avaient été Trump ?

Si Jacques Chirac n'avait pas fui le débat avec Jean-Marie Le Pen sans la moindre considération républicaine, j'entends déjà ce que le second aurait déversé sur le premier qui aurait réagi en laissant s'exprimer le bretteur vulgaire qu'il portait aussi en lui.

En 2007, Nicolas Sarkozy, qui s'était composé un personnage serein et à contre-emploi - tactiquement opportun - aurait eu le droit d'aller au bout de ses appréciations sur Ségolène Royal. Il se serait laissé déborder par la verdeur de son langage, qui l'aurait pulvérisée.

Croit-on que le mépris de François Mitterrand ou de Lionel Jospin face à Jacques Chirac n'aurait pas trouvé une expression plus violente, des mots plus offensants ?

Je suis persuadé qu'en 1974 et en 1981 - avec des formules restées dans nos mémoires -, François Mitterrand et Valéry Giscard d'Estaing, animés par une haine vigilante, auraient su tomber, même eux, dans une bataille de chiffonniers si Trump les avait investis.

Et sans doute Charles de Gaulle, dans son entretien avec Michel Droit, n'aurait-il pas hésité à évoquer la Francisque de François Mitterrand !

On n'a pas tort de vanter, en général, la correction de nos affrontements, qui constitue notre démocratie, tant bien que mal, comme un régime du surmoi qui joue le rôle de juge, de censeur face aux pulsions, aux désirs et aux instincts.

Nos hommes politiques à rebours de Donald Trump donc. La meilleure preuve en est que Nicolas Sarkozy, moqué pour son absence de surmoi, apparaît d'une urbanité impeccable, comparé aux jaillissements sans filtre du président américain.

Il ne faudrait toutefois pas jeter aux chiens l'apport positif qui pourrait résulter, dans notre vie politique, d'une spontanéité et d'une sincérité qui seraient moins par intermittences. On me rapporte des épisodes anciens ou plus récents où des personnalité de tous bords expriment officiellement, médiatiquement, le contraire de ce qu'elles ont révélé dans les coulisses. On n'est plus dans l'obligation d'un certain surmoi mais, plus gravement, dans la fausseté d'un univers qui s'accepte superficialité, comédie et mensonge.

On en revient toujours à la base de ce qui représente, où qu'on soit, quelque fonction qu'on exerce, quelque pouvoir qu'on ait, une humanité à peu près respectable : être soi, ne pas user d'une vérité à éclipses mais sans souiller l'autre. Juste le confondre avec les pensées et les propos qu'on discute, qu'on récuse.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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