Influenceurgate : Retailleau paie des dizaines d’années d’aveuglement

(Photo by Loic VENANCE / AFP)
(Photo by Loic VENANCE / AFP)

Connaissez vous l’expression « faire le canard ? ». Elle est apparue, il y a quelques années, chez les moins de 25 ans, pour désigner l’amoureux transi qui suit sa dulcinée partout sans moufter, même si celle-ci, acariâtre, ne rate pas une occasion de le rudoyer, et même si il en bave des ronds de chapeau toute la sainte journée. Dès qu’il peut, il la couvre de petits mots sucrés. Il est, de tout le monde, la risée.

Dans les recueils d’expressions françaises, il y a toujours un exemple. Il est ici tout trouvé : la France fait le canard avec l’Algérie. Le dernier épisode en date est, bien sûr, le sketch du retour à la case départ de l’influenceur expulsé.

Notez que les autres significations populaires fonctionnent aussi  : « faire canard », c’est à dire « se taire », ou encore « faire un canard », c’est à dire tremper un sucre dans le café, et constater que le doux se délite dans le fort.

Flagornerie 

La flagornerie à l’endroit de l’État algérien a commencé avant même qu’il existe - alors qu’il n’était encore que projet dans la tête du FLN - avec de Gaulle et sa fameuse « paix des braves ». Les dits braves avaient quand même déjà massacré un bon paquet de Pieds-Noirs, sans parler des Algériens fidèles à la France, et le mot fit mal aux futurs rapatriés. Qu’importe. Ce n’était pas eux que l’on cherchait à amadouer.

Cette stratégie ne s’est pas démentie depuis, mais touche ses limites aujourd’hui, sous la présidence Macron : « Par notre passé commun, par notre présent partagé et par tous les défis futurs, l’Algérie est un pays essentiel pour la France », « Renforcer et renouveler notre partenariat, nous le devons à la jeunesse de France, à la jeunesse d’Algérie », « Il y a un pont vivant entre la France et l’Algérie : celui que forment les millions de personnes qui vivent entre nos deux pays »…

Avec ses déclarations énamourées non-payées de retour, c’est le moins que l’on puisse dire, il ressemble à son homonyme largué dans la chanson de Renaud : « Eh Manu rentre chez toi, elle est plus amoureuse ». En l’occurrence, elle ne l’a d’ailleurs jamais été.

Même quand il veut morigéner l’Algérie sur Boualem Sansal, il commence par lui passer une grande couche de pommade : « L'Algérie que nous aimons tant et avec laquelle nous partageons tant d'enfants et tant d'histoires entre dans une histoire qui la déshonore, à empêcher un homme gravement malade de se soigner. Ce n'est pas à la hauteur de ce qu'elle est ».

Comme dans tous les couples toxiques, c’est le conjoint soumis, celui qui fait les courses, le ménage, et alimente le compte en banque qui demande pardon en pensant que le profil bas aplanira un moment les choses. Ainsi, Emmanuel Macron a-t-il fait repentance et avoué des crimes au nom de la France. Darmanin a même déposé une gerbe devant les « martyrs » du FLN à Alger, et ouvert, tout récemment, deux consulats supplémentaires en France, portant leur nombre à 20 quand il n’en existe que trois français en Algérie.

Carpette

La politique de la carpette fonctionne un temps, mais à long terme c’est désastreux, tous les psychologues le disent. Puisque le gouvernement offre désormais une consultation dans ce domaine à tous les Français, il devrait peut-être commencer par lui-même.

Les Français, puisqu'on en parle, commencent à en avoir leur claque. Un sondage publié le 8 janvier montre que pour 66 % d'entre eux, il faut cesser immédiatement toute immigration en provenance de l’Algérie. Ils ne souhaitent pas la multiplication des CRA (Centres de rétention administrative) - « saturés par des Algériens qui ne partent pas », selon les mots d’un préfet au Figaro - au coût exorbitant pour les Français et sécuritaire pour les riverains, et qui finit toujours par relâcher l’intéressé - mais celle des expulsions. Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie, a énuméré tous les leviers : revoir les 300.000 visas Algériens. Révoquer les accords de 1968, mais aussi l'échange de lettres de 2007 exonérant les détenteurs de passeports diplomatiques algériens de visas et leur permettant de se faire soigner comme ils le veulent en France. (En 2018, la dette cumulée des Algériens  dans les hôpitaux français était de 29 millions d'euros.) Xavier Driencourt préconise aussi de surveiller les « circuits financiers de la Mosquée de Paris », comme « les biens immobiliers et affaires financières des Algériens en France ». Sans parler de l’aide publique au développement et des transferts d’argent qui pourraient être bloqués.

Bruno Retailleau, en visite à Nantes, a bien évoqué quelques-uns de ces points, mais on aurait imaginé un ton plus cinglant. Que craint-il au juste ?

Les lunettes noires qu’il porte sur le nez, en raison explique-t-il aux journalistes, d’une opération oculaire récente, illustrent malgré lui, car on ne peut, en toute honnêteté, lui en imputer la responsabilité, l’aveuglement des gouvernements successifs français, qui n’ont pas voulu voir, comme l’a rappelé Maître Gilles-William Goldnadel sur Europe 1, que l’Algérie s’était construite sur la haine de la France. Si le gouvernement français est si pusillanime avec l’Algérie, ce n’est pas seulement, comme l’extrême-gauche, par bienveillance idéologique, mais par peur des agents dormants dans la place, qu’on a laissé tranquillement s’installer avec la masse et dont le réveil pourrait être tragique. Le canard dont nous parlions au début est en plus un canard sans tête.

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Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

Un commentaire

  1. Mais ne faire qu’embêter le régime avec des sanctions ciblées en servira à rien: il aura beau jeu d’attiser la haine de la France. Il faut au contraire gêner fortement le peuple algérien, avec des mesures qui le touchent directement, afin de le désolidariser, afin qu’il demande des comptes à ses dirigeants. Sinon c’est perdu. Sinon c’est de la poudre aux yeux, et je crains que Bayrou sache en user.

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