Interview de Poutine par Tucker Carlson : ce qu’il faut retenir

poutine carlson

Depuis que l’interview fleuve de Vladimir Poutine par le journaliste américain Tucker Carlson est sortie sur le réseau social X, tous les médias se livrent à une exégèse des propos du président russe à destination de l’Occident - puisque c’est bien le sens de cet entretien, le premier accordé à un journaliste occidental depuis l'attaque russe de février 2022 contre l’Ukraine. BV ne pouvait faire autrement que de livrer à son tour, à ses lecteurs, un compte rendu aussi objectif que possible de ces deux heures de « contre-propagande ».

Commençons par un constat : Carlson, pourtant ordinairement pugnace, ne s’est pas comporté en journaliste. C’est à moitié de sa faute : l’Américain partage de nombreuses idées avec Poutine et venait en ami. C’est à moitié grâce aux qualités d’officier traitant de l’ancien guébiste : en alternant politesse, pédagogie, humiliations calculées et monologues interminables, il a littéralement saturé les défenses cognitives de son interviewer. Un long rappel sur l’Histoire de la Russie, qui démarre avec la Rus’ de Kiev, a d’abord permis à Poutine, presque sans être interrompu, de dérouler sa communication stratégique. Il pouvait alors enchaîner sur un savant mélange de vrai et de faux, d’objectivité et de subjectivité, de poncifs et de révélations.

La plus importante révélation, puisque nous en parlons et sous réserve qu’elle soit vraie, est probablement celle-ci : au moment des négociations d’Istanbul, en mars 2022, Vladimir Poutine affirme que la Russie a fait retirer ses troupes de la région de Kiev à la demande des Occidentaux, pour prouver sa bonne foi et inciter les Ukrainiens à signer des accords de paix. Décidément sans foi ni loi (si cette histoire est avérée), les États-Unis et leurs vassaux (Poutine cite l’Allemagne et la France) auraient dissuadé les Ukrainiens de signer et les auraient encouragés à profiter de cette aubaine tactique. La conclusion logique est que, désormais, c’est la guerre qui dictera l’issue du conflit, et non des déclarations diplomatiques auxquelles Poutine ne croit pas. Il en profite pour tacler l’État profond américain en racontant les détails de ses négociations avec Clinton, Bush Jr. et Trump, à chaque fois sur le point de normaliser leurs relations avec lui, mais toujours dissuadés par leurs conseillers.

On pourra trouver certains propos lunaires : par exemple, la sortie du président russe sur la nécessaire dénazification de l’Ukraine semble complètement hors-sol, vue d’ici… mais c’est à condition d’ignorer que Bandera, le héros ukrainien, était bien un collabo et un supplétif du nazisme. On pourra en revanche constater, loin de ces affrontements idéologiques, que la stratégie américaine a lamentablement échoué, économiquement (le dollar est fragilisé et l’économie russe est florissante), diplomatiquement (le « Sud global », c’est-à-dire les deux tiers de la planète, ne veut plus de nos leçons de morale) et militairement (nous, les Occidentaux, soutenons l’Ukraine à bout de bras, au mépris de nos capacités propres et de nos lois de programmation, parce qu’il n’y a, dans notre discours, pas d’autre option).

On sort de ces deux heures (que l’on conseille de regarder en anglais et non dans des traductions françaises parfois approximatives) sonné, comme Carlson, mais pas tant par la logorrhée écrasante de Poutine : bien davantage, c’est le caractère désormais irréconciliable de la Russie et des États-Unis qui sidère. Discours historique contre discours messianique, autocratie militaire contre médiacratie libertaire. Et, puisque nous sommes liés, « par les liens de la décence sinon de l’affection » (comme le prince Salina, dans Le Guépard, vis-à-vis de la monarchie), au camp atlantiste, il semble qu’à courte vue, nous n’ayons pas d’autre choix que de marcher vers la fournaise. Poutine est un grand patriote, mais c’est un patriote russe. Les Américains sont les plus puissants des Occidentaux, mais ils ne sont pas français. Coincés que nous sommes entre les droitards russolâtres et les macronistes américanophiles, nous ferions bien de n’oublier ni l’un ni l’autre.

https://www.youtube.com/watch?v=fOCWBhuDdDo

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 11/02/2024 à 19:18.
Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

84 commentaires

  1. On reproche à Tucker Carlson d’avoir évité les questions qui fâchent. Mais vous avez vu Delahousse ou Chabot, et d’autres, poser des questions qui fâchent à Macron? Une interview ou une conférence de presse du président, c’est une à trois heures d’un insipide monologue dont chaque mot sue l’insincérité. Alors, s’il vous plaît, faites preuve de compréhension vis à vis de Tucker, qui a face à lui autre chose qu’un adulescent prétentieux.

  2. Merci pour la franchise de votre article !
    C’est tout à votre honneur de l’avoir regardé en Anglais et de nous avoir donné vos impressions.
    Pour ma part j’admire le courage d’un chef d’Etat qui n’hésite pas à dire NON aux USA et NON ! au lobby de la propagande LGTB dans ses écoles,
    Notre pays marche hélas sur la tête !
    Le seul espoir serait que les USA se ressaisissent avant de nous précipiter dans l’horreur de la troisième guerre mondiale sur notre sol !

  3. Si les négociation d’Istanbul en 2022 sont réelles, c’est bien l’Occident qui est responsable de ce désastre

  4. L’Occident s’est comporté en putassier sur l’affaire de l-Ukraine. Certains dirigeant hongrois ou biélorusse s’en sont aperçus. Les EU ont cru que c’était eux qui avaient provoqué la chute de l’URSS. C’est faux ! C’est le communisme et ses hérésies collectivistes qui ont provoqué sa chute. Quand un paysan ne possède pas sa terre et semble obligé de travailler « pour le peuple » sans en tirer profit lui-même, il a vite fait de se décourager et de se laisser aller. C’est ce qui nous attend avec l’Europe et sa débile politique agricole.

  5. Stepan Bandera était un nationaliste ukrainien, fils de pope. Il voulait l’indépendance de l’Ukraine, surtout à la suite de l’Holodomor.
    Il a d’abord soutenu les Allemands en espérant qu’ils le soutiendraient dans son projet.
    Mais, quand il a vu que les Allemands n’avaient d’autre projet que de coloniser l’Ukraine, il s’est révolté et s’est retrouvé pendant 2 ans et demi en camp de concentration!
    Pour un « nazi », c’est pas mal!
    On l’en a sorti à la fin de la guerre contre de vagues promesses!
    L’Allemagne avait besoin de « chair à canon »!

  6. Bien entendu, faire remarquer que, si l’on en juge par la répartition des bases militaires américaines et Russes dans le monde on peut se poser des questions, me fera passer pour un indécrottable « Poutinolâtre ». En attendant, de la scandinavie jusqu’à la Turquie, c’est un arc de cercle américain qui deployé devant les frontières ouest et sud de la Russie, que les USA voudraient renforcer en en implantant encore en Ukraine… La seule fois où la Russie à tenté de mettre des fusées dans un pays ami c’est en 1962, à Cuba qui l’avait appelé au secours face aux tentatives répétées d’envahissement des Americains (la dernière étant l’épopée de « la baie des cochons » dectriste memoire). Kennedy à failli déclencher une guerre atomique. Tout c’est arrêté quand le président Américain s’est engagé à ne plus rien tenter contre le régime de Fidel Castro… Depuis 60 ans, qui sont les meneurs de guerre dans le monde, du Vietnam à !’Irak, en passant par l’ex Yougoslavie, l’Afghanistan, le Koweït, la Lybie, et les interventions en sous main dans différents pays d’Amérique du Sud…? Bien sûr que Poutine n’est pas un grand démocrate, mais les américains déploient-ils des fusées autour de la Chine ou de la Corée du Nord (pour ne prendre que ces deux là ? En réalité, ils ont très peur d’un rapprochement : « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural » comme l’envisageait DeGaulle. Avec la puissance industrielle le l’Europe alliee aux ressources naturelles de la Russie (gaz, pétrole. Minerais…).

    • vous avez raison car si nous déplorons les effets terrible de cette guerre il ne faut pas en oublier la cause ! Poutine avait mainte fois prévenu qu’il ne supporterait pas l encerclement de son pays par l’OTAN , encore une fois l’entière responsabilité des USA

    • Mais vous n’y comprenez rien! Les Russes sont tellement bêtes qu’ils font sauter leurs propres gazoducs. Ben voyons!…

  7. La russophobie des Anglais et des Français est une vieille histoire. Déjà lors des guerres russo-ottomanes, il y en a eu onze, Anglais et Français ont bien souvent soutenu les troupes du sultan musulman combattant l’armée russe. Aujourd’hui on soutient les admirateurs du fasciste Bandera contre les Russes qui ont quand même perdu plus de vingt millions d’habitants dans leur combat contre le nazisme.

  8. J’ai lu cet interview (plusieurs traductions. J’en conviens, cela confirme que je suis définitivement une  » droitarde russolâtre ». Car je me dis = « ah, si seulement nous avions un président comme Poutine plutôt qu’une lavette dictatoriale »….. »la sortie du président russe sur la nécessaire dénazification de l’Ukraine semble complètement hors sol vue d’ici »–> Je pensais être comme vous, « d’ici ». Eh bien, je sais depuis longtemps que les nazis sont nombreux en Ukraine. L’une de mes amies juives, ukrainienne d’origine m’a dit : « que ceux qui disent qu’il n’y a aps de nazis en Ukraine viennent me le dire les yeux dans les yeux », elle dont la famille a du se réfugier en Russie (oui en Russie) pour éviter de se faire massacrer. … Enfin j’adore la conclusion de Vlad Poutine = « Pourquoi les autorités ukrainiennes s’acharnent-elles contre l’Église orthodoxe russe? Parce qu’elle unit non pas le territoire, mais l’âme, et que personne ne pourra la diviser »

    • Et, « l’Âme Russe », c’est quelque chose. Poutine ne veut pas sa Russie ressemble à l’occident d’aujourd’hui.

  9. Trump sera bientôt Président des U.S.A.: il lâchera l’U.E. et signera des accords politiques et économiques avec la Russie-les valets Britanniques, Allemands et Français apprécieront- l’Ukraine deviendra un état-croupion, ses riches régions du Dombass, Donetsk , la frange côtière comprenant Odessa étant rattachées à la Russie; l’ordre Mondial régnera enfin sur une planète pacifiée.

  10. « un compte-rendu aussi objectif que possible » sic autant que que BFM peut l’etre. Seule votre conclusion est intéressante il faut écouter cet interview.

  11. Pourquoi la France soutient -elle un pays gouverné par un président corrompu et cruel qui continue cette boucherie alors qu’ il a déjà perdu?

  12. N’ oublions pas que si les Russes ,qui étaient alors nos alliés ,n’ avaient pas gagné ,grâce au courage de millions de Russes qui y perdirent la vie,la bataille de Stalingrad ,nous serions sans doute sous le joug nazi!

  13. 1 -) C’est aux Russes à mettre Poutine « DEHORS ». 2 -) C’est aux Européens à assurer leur défense , d’ailleurs s’il est élu , Trump nous y obligera et ça sera très bien ainsi .

  14. Depuis la chute de l’URSS, la Russie n’a cessé de vouloir se rapprocher de l’occident. En réponse, nous l’avons méprisée pendant 30 ans et avons envoyé l’OTAN à ses frontières. Voilà le résultat aujourd’hui, logique.

  15. Quand on a lu « l’ami américain » d’Éric Branca, on comprend surtout que ce sont les américains qui sont toujours à l’origine des conflits afin de garder leur hégémonie mondiale, après avoir vassalisé l’europe (avec des bases militaires partout) et dans le but d’empêcher de faire l’europe de Brest à l’oural, chère à de Gaulle.
    De tous temps l’europe a été le terrain de jeu entre l’est et l’ouest et le résultat c’est une impuissance totale

    • Encore une fois , exact, l’OTAN est avant tout au service des américains et l’Ukraine dans l’OTAN n’est
      qu’ un client de plus pour l’achat des armes US.

      • Et tout ça pour le plus grand malheur de l’Europe … merci sarko d’avoir réintégré le commandement de l’OTAN sans se soucier des français. Malgré toutes nos mises à plat-ventre devant l’Allemagne pour nous faire croire au couple franco-allemand, nous avons toujours été cocus mais contents apparemment, puisque maintenant le locataire du palais aimerait bien partager avec nos amis d’outre Rhin notre droit de vote au conseil de sécurité des Nations Unies, sans oublier notre dissuasion nucléaire au niveau européen.

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