Irlande : des drapeaux palestiniens pour la Saint-Patrick !

Scènes étranges, en ce week-end de la Saint-Patrick - la fête nationale irlandaise. À Dublin, le célèbre pont Ha'Penny, habituellement couvert de drapeaux irlandais et de banderoles vertes parsemées de trèfles, a partagé les lieux avec une multitude de drapeaux palestiniens. Même ambiance à Toronto, pour la parade traditionnelle organisée par la très importante communauté irlandaise.
Le week-end de la Saint-Patrick, les Irlandais ont hissé des drapeaux palestiniens sur le pont Ha'Penny à Dublin. pic.twitter.com/EgIegd3M9X
— Monica φ ❤️ (@MANOUCHKYA) March 16, 2025
« Effet Gaza »
L’Irlande, depuis longtemps, témoignait une solidarité appuyée pour la « cause palestinienne », mais le faisait dans une relative discrétion. Du moins jusqu’à récemment, plus précisément, depuis qu’a été déclenchée l’opération militaire israélienne dans la bande de Gaza qui a suivi l’attaque du Hamas, un certain 7 octobre 2023. L’an dernier, déjà, la Saint-Patrick avait donné lieu à un incident diplomatique d’envergure aux États-Unis, où vit la plus grande communauté d’exilés irlandais. Alors que le président américain d’alors, Joe Biden, avait la sympathie de nombre d’entre eux du fait de ses origines irlandaises, un appel a été lancé au boycott des cérémonies de la Saint-Patrick qui ont lieu chaque année à la Maison-Blanche afin de protester contre le soutien américain aux opérations menées par Tsahal, l’armée israélienne, contre les combattants du Hamas à Gaza. Scandant « pas de trèfles pour Joe le génocidaire ! », des centaines de manifestants sont venus troubler le défilé, arborant des drapeaux palestiniens et des trèfles peints en noir sur les joues.
Réaction en chaîne
Les relations entre la République d’Irlande et l’État d’Israël se sont, depuis, fortement dégradées. Le 22 mai 2024, l’Irlande, ainsi que l’Espagne et la Norvège, mais aussi la Slovénie quelques jours auparavant, ont décidé de reconnaître officiellement l’État de Palestine, rejoignant 143 autres pays membres de l’ONU, dont neuf États européens. Dans la foulée, l’Irlande a apporté son soutien à l’Afrique du Sud, qui a déposé un recours par-devant la Cour internationale de justice (CIJ) contre les opérations militaires israéliennes à Gaza, les qualifiant de « génocide ».
Le 15 décembre dernier, Israël a répliqué en fermant son ambassade à Dublin. Le 26 décembre à New York, plusieurs centaines de militants pro-palestiniens se sont rassemblés devant la cathédrale Saint-Patrick de Manhattan, pendant la messe de Noël, pour dénoncer le « génocide » de Gaza et le soutien américain à Israël. Pris en étau entre sa volonté de calmer le jeu et l’obligation de tenir compte du soutien important recueilli par les Palestiniens en Irlande, Simon Harris, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères irlandais, a cherché un improbable juste milieu dans une déclaration, le 20 février 2025, critiquant, d’une part, le terrorisme du Hamas et déplorant, de l’autre, le bombardement, à Gaza, de « civils innocents ». Et il y a quelques jours, la dirigeante du Sinn Féin (ancienne branche politique de l’IRA, Armée républicaine irlandaise, devenue le principal parti de gauche opposant à la coalition Verts/centre droit au pouvoir), Mary Lou McDonald, a déclaré à Dublin qu’il lui était impossible de se rendre à Washington pour les festivités de la Saint-Patrick, « alors qu’une menace d’expulsion massive pesait sur le peuple palestinien ».
Un traumatisme multiséculaire
Pourquoi l’Irlande montre-t-elle une si grande solidarité envers la « cause palestinienne » ? Même si les vannes d’une immigration (avant tout économique) se sont récemment ouvertes en Irlande, il n’y a pas, comme en France, une forte communauté arabo-musulmane encouragée par des mouvements islamo-gauchistes locaux. Il y a cependant, depuis le début du XXe siècle chez les Irlandais, une recherche d’identification à des peuples et à leurs combats ayant des causes communes avec les malheurs qui les frappent. Comme l’expliquent plusieurs Irlandais interrogés par Le Monde, une majorité d'entre eux montrent une sympathie spontanée pour les Palestiniens. Un sondage de l’institut Ireland Thinks indique que, pour 79 % des Irlandais, « les actions militaires d’Israël à Gaza constituent un génocide ». Il faut remonter loin dans l’Histoire pour comprendre. L’Histoire irlandaise est en effet marquée, depuis le XIIe siècle, par des raids successifs des armées anglaises, avec pour conséquences une occupation militaire de l’île et l’installation de colons anglais accaparant des terres et y faisant travailler à leur profit les paysans locaux. Au XIXe siècle, la grande famine a provoqué plus d’un million de morts, en Irlande, et suscité un exode massif, principalement vers l’Amérique du Nord.
Solidarité des « occupés opprimés »
Même si elle peut paraître abusive, la comparaison de leur situation avec celle des Palestiniens au Proche-Orient vient assez facilement à l’esprit, chez les Irlandais. En Irlande, l’indépendantisme irlandais s’est toujours réclamé de son catholicisme contre l’occupant protestant. Sur le plan politique, il revendique son républicanisme contre le royal occupant anglais, oubliant au passage que l’Irlande a longtemps été soutenue par les rois de France. Mais la force du symbole prime sur la recherche d’une cohérence et la « cause palestinienne » présente de l’intérêt à plusieurs titres, pour le militant nationaliste irlandais. L’Irlande a en effet été, des siècles durant, jusqu’à sa partition et son indépendance en 1949, une colonie anglaise et, de fait, la plus ancienne. Comme l’indique Jane Ohlmeyer, historienne au Trinity College de Dublin, le « Royaume-Uni administra la Palestine entre 1920 et 1948, avec pour mandat d’appliquer la déclaration de Balfour de 1917, dans laquelle le gouvernement britannique promettait un "foyer national" pour le peuple juif en Palestine qui ne "portera pas préjudice" aux populations non juives. Le Royaume-Uni se retira de Palestine en 1948 sans avoir pu tenir cette promesse. » Pour la plupart des Irlandais, les Palestiniens ont donc été occupés par les Anglais, comme eux. Ils ont été maltraités, comme eux. Et aujourd’hui encore, le Royaume-Uni, comme les États-Unis, soutient et finance Israël contre la Palestine.

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Un commentaire
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