Jane Birkin (1946-2023), ex-fan des sixties

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C'est son aide-soignante qui a annoncé la nouvelle de son décès, ce 16 juillet. Plate et cruelle dépêche de circonstance. La Jane Birkin qui séduisit le grand public avait déjà cessé de vivre depuis longtemps. Avec la mort de Gainsbourg, « le seul génie qui ressemble à une poubelle » selon Desproges, sa veuve - l'une de ses veuves, la plus célèbre à défaut d'être la première ou la dernière - avait basculé dans l'exploitation commerciale de l'héritage gainsbourien, avec concerts, rétrospectives et documentaires. Elle avait également sacrifié aux idoles de l'heure, à base de concerts des Enfoirés, mobilisation contre le SIDA et tutti quanti. On ne sait pas ce qu'aurait pensé Serge Gainsbourg de ces engagements premier degré et de cela. Pas du bien, probablement.

Jane Birkin, fille d'officier de marine, élevée en pension, se maria plutôt jeune avec le grand compositeur John Barry (qui signa, entre mille autres choses, les BO de plusieurs James Bond et le planant « Fun City » au générique de Macadam Cowboy). Avec un pedigree pareil, elle aurait pu être gentiment non conventionnelle, comme tant de jeunes Anglaises huppées. Elle préféra aller un peu plus loin que ça, portée par le contexte de l'époque. Rapidement, son allure androgyne et son goût pour la provocation (on la voit se faire déshabiller de force dans Blow-Up, Palme d'or 1967) en firent un symbole tout trouvé du Swinging London des années 60 et de son esthétique. Cinq ans plus tôt, Bill Evans sortait l'album Moon Beams, avec l'osseuse Nikko (future chanteuse du Velvet Underground) posant sur la pochette : Jane surfa élégamment sur des années faites pour elle.

Son histoire avec Gainsbourg fut probablement sa chance autant que sa malédiction. L'homme à tête de chou en fit, lui aussi, une icône. En 1971, BB venait de le plaquer : c'était l'occasion pour lui de faire réenregistrer, par cette jeune fille à la fois ingénue et brûlante, le sulfureux « Je t'aime moi non plus ». Mais bon : est-on plus sexy que Bardot? Jane passa le test, en tous les cas, dans un style bien différent (et le cinéma la réconcilia, si l'on veut, avec Bardot, dans une scène saphique de Don Juan 73). Tous ses albums, jusqu'en 1990, étaient des compositions (ou des reprises) de Gainsbarre, qui lui écrivit des textes magnifiques… Oui, elle lui devait tout, mais le Pygmalion de Jane buvait ferme et lui flanquait des tartes : à bout de patience, elle le quitta en 1980. Ensuite, eh bien, elle eut d'autres amants, un autre enfant, mais, à la mort de Serge, elle devint à tout jamais, dans les yeux du public, son exécutrice testamentaire.

Que reste-t-il de Birkin, à l'exception d'une certaine esthétique de fraîcheur et de perversion, très anglaise en cela, et à laquelle elle-même renonça dès les années 1980 ? « À flâner sur les berges/Venez voir/On dirait Jane et Serge/Sur le pont des Arts », chante Alain Souchon dans « Rive gauche à Paris » : c'est ce mélange un peu cliché, entre parisianisme, élégance nonchalante, couple phare qui s'aime-moi-non-plus et pour qui « la traversée/Durera toute une année », qui a créé la légende de Jane Birkin (bien plus, au passage, que le sac éponyme d'un célèbre maroquinier, lequel est davantage une manière de constater que le commerce salit décidément tout). De Jane, la vraie, celle qui vécut avant et après les années 1967-1980, on ne sait en somme pas grand-chose. Tout ce que l'on sait, c'est qu'entre la fausse ingénue perverse de bonne famille et la vestale de la rue de Verneuil, il y eut un moment qui lui correspondait parfaitement et qui nous la restitue aujourd'hui, familière et juvénile, les pommettes rougies et les yeux mi-clos, charmante dans son imperfection et adorable dans sa gaucherie, avant qu'elle ne fasse de ce maniérisme anglais et maladroit, en le surjouant, un parfait exemple de « mauvaise foi » sartrienne.

Imaginons donc que, « de son lit, par le hublot, elle regarde la côte »… et que Dieu la bénisse, bien après soixante-dix !

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

Vos commentaires

26 commentaires

  1. On ne peut pas dire que ce soit un exemple pour la jeunesse et il ne faut pas oublier ses propos de plus gauche des bobos que l’on puisse faire.

    Hormis le fait qu’elle a sévit dans une période bénie, rien ne me la fera regretter.

  2. Qu’on apprécie ou non Birkin, elle reste le symbole d’années de liberté, de joie et de créativité.
    Des années où nous n’étions pas pollués par le politiquement correct et où le langage et l’école n’étaient pas encore en perdition

  3. Je ne pouvais pas imaginer que son décès provoquerait de telles réactions positives. Pour moi, elle était moche, planche à pain et une exécrable chanteuse. Certes, très souriante. Sans Gainsbourg et son « je t’aime moi non plus » on n’en aurait probablement jamais entendu parler.

  4. Jane Birkin a incarné cette période de la fin des années 60 à 70 façonnée qu’elle a été par son pygmalion Gainsbourg. D’autre avant elle avaient déjà pu s’essayer au répertoire du grand Serge avec bonheur comme Anna Karina , Juliette Greco ou Régine , mais Jane Birkin est tombée à point avec son air ingénu , et sa silhouette frêle qui allait si bien avec la période concernée . C’est ce que Gainsbourg a su parfaitement exploiter en lui créant un répertoire à sa mesure . J’ai bien aimé cette période de liberté et de légereté dont Jane Birkin et ses chansons ont été des marqueurs . Par contre comme vous , j’ai moins aimé la suite dans les années 80 où elle s’est sentie obigée d’adopter la posture obligée de gaucho de salon . Quelle était la part de sincérité et de compromission ? En tout cas j’ai peu apprécié le fait qu’elle ait défilé en tête de cortège en 2002 contre  » la bête immonde  » qu’une certaine gauche s’était créée pour mieux se faire peur . Je préfère me souvenir d’elle là où elle a été la plus marquante sans trop en rajouter . A la croisée de plusieurs périodes, john Barry , les idoles des sixties et le jazz . Par contre je ne savais pas que Nikko avait fait un disque avec le pianiste de jazz Bill Evans !

  5. La chanteuse Jane Birkin! Un filet de voix plutôt ténu, rehaussé par un accent british -initialement-authentique mais surjoué par la suite. Sa chance a été de de croiser la route du génial Gainsbourg qui a su tirer parti de son côté « baby doll » pour la mettre en valeur. Même en tant qu’actrice, elle ne laissera pas une trace inoubliable. Ceci dit, je pense que la femme était sans doute plus intéressante que la chanteuse ou l’actrice. Bienveillante et généreuse, elle a su rester ouverte aux autres malgré les épreuves douloureuses qui l’ont frappée intimement. Paix à son âme!

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