Jean-Paul Brighelli : « Je dis que c’est un bordel voulu »

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En ce jour de rentrée scolaire, sans filtre, l'auteur de La Fabrique du crétin : vers l'apocalypse scolaire (L'archipel) dénonce les crises au sein de l'Éducation nationale et en appelle à « changer de logiciel ».

 

Marc Eynaud : C’est la rentrée scolaire. Cette année, des professeurs ont été embauchés au lance-pierre pour pallier les sous-effectifs. Qu’en pensez-vous ?

Jean-Paul Brighelli : Il n’y a pas plus de crise cette année que l’année précédente. Nous sommes dans la lancée de ce qui a commencé vers la fin des années 70 et qui s’est développé d’étape en étape pour donner l’énorme bordel actuel. Dans mon dernier livre, je dis que c’est un bordel voulu. Quelques chiffres : il y a 12 millions d’élèves, cela concerne un Français sur cinq, plus leurs parents ; ça fait du monde. Au sujet des profs manquants, officiellement, il en manque environ 4.000. Rapporté au chiffre de 860.000 enseignants, ce n’est pas grand-chose. Quant à l’embauche à la va-vite, elle existe depuis les années 70. À l’époque, on appelait cela les maîtres auxiliaires. Ils étaient récupérés en fac, sur la foi d’une licence d’une matière enseignée à l’école primaire ou secondaire. Actuellement, c’est n’importe quelle licence. Vous n’imaginez pas, pour les futurs instituteurs, le nombre de diplômés de psycho, socio et autres qui se présentent. Leur qualification n’a aucune importance, ce qui compte pour le ministre, c’est qu’il y ait un adulte devant chaque classe. Pour lui, comme pour les syndicats, le seul problème est quantitatif. Plus personne ne s’occupe de la question qualitative. S’il y a tellement de trous dans les effectifs, c’est que les jurys de concours n’ont pas pourvu plusieurs milliers de postes, simplement parce que les candidats étaient très mauvais. Dans un premier temps, le ministre a suggéré d’intégrer ceux qui sont en liste supplémentaire sur les concours, c’est-à-dire ceux qui ont été refusés par des jurys.

M. E. : Le ministre qui lui-même a mis ses enfants à l’école alsacienne…

J.-P. B. : Un ministre, c’est « Faites ce que je vous dis et faites comme je fais », c’est-à-dire « Mettez vos enfants dans de bonnes écoles ». Le ministre s’adresse à des gens qui sont au courant. En revanche, les gens qui ne baignent pas dans la culture, qui sont parfois de langue étrangère, qui habitent des quartiers totalement défavorisés, ne comprennent rien à ce qui se passe. Ils sont déjà rejetés par le système et le seront encore plus. Ce n’est pas grave, il y aura des écoles islamistes pour les former…

M. E. : Vous faites un constat assez noir. A-t-on pris conscience du problème ?

J.-P. B. : Je viens de sortir La Fabrique du crétin, vers l’apocalypse scolaire, qui est la deuxième époque. La première époque était La Fabrique du crétin, la mort programmée de l’école, publié en 2005. Il y a 17 ans, personne n’a voulu entendre Cassandre. Elle dit la vérité mais personne ne veut la croire. Depuis, ça s’est accentué. Par exemple, on dit que le manque d’attractivité du métier est dû, entre autres, à la très faible rémunération. On va parler chiffre. Un enseignant débutant commence à 1.600 € par mois, il est recruté après cinq ans d’études avec un M2. Au début des années 80, un prof débutant gagnait 2,2 fois le SMIC. Actuellement, c’est 1,2 fois le SMIC. Il faudrait un SMIC complet de plus d’augmentation immédiate pour rattraper. Le ministre veut monter tout le monde à 2.000 €. Il a été au lycée Lakanal, au lycée Henri-IV, et sait ce que coûte un loyer parisien. Quand vous gagnez 2.000 € par mois, expliquez-moi où vous vous logez à Paris. Quel bailleur vous loue 9 m² pour 700 € par mois, alors que vous ne gagnez pas trois fois cette somme ? Il faut revenir sur Terre et se demander si les gouvernants sont bien au courant. Dans son discours de rentrée, Macron a avoué qu’il ignorait certaines choses ; ça ne fait que cinq ans qu’il est président de la République !

M. E. : Quelles seraient les solutions ?

J.-P. B. : La solution est d’en finir avec le jacobinisme qui n’a de sens que si, à la tête, il y a des aigles. Actuellement, on n’a ni des aigles ni des faucons, mais des vrais ! Il faut régionaliser et laisser les établissements recruter qui ils veulent sur un profil prédéterminé. Pas en fonction, forcément, d’un seul chef d’établissement mais peut-être d’un triumvirat et, ensuite, on laisse les parents choisir, en leur expliquant les méthodes choisies dans telle ou telle école. Cela signifie que les concours seraient également régionalisés, cela réglerait la question des mutations qui est une pierre d’achoppement épouvantable. Vous habitez le Midi et vous êtes nommé pour quinze ans en Seine-Saint-Denis. On comprend les démissions.

On pourrait faire également des variations de salaire en fonction des projets, de l’investissement des uns et des autres, mettre les établissements et les enseignants en concurrence. Sur les 4.000 qui vont être embauchés, il est tout à fait possible que certains soient compétents. En revanche, un certain nombre de profs en place sont parfaitement incompétents. Il n’est pas normal que ces gens soient protégés à vie par le syndicat et par leur statut de la fonction publique. La gauche s’est voulue libérale sous Mitterrand et sous Hollande. Si vous voulez du libéralisme, on va vous en donner. C’est la seule solution envisageable à court terme. Aucune réforme de l’Éducation nationale ne fera effet au bout d’un an, mais que nos auditeurs ne désespèrent pas ! Des choses peuvent se faire, mais pas dans le cadre des institutions actuelles, il faut changer de logiciel.

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Marc Eynaud
Journaliste à BV

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