Jean Sarrus nous a quittés : Les Charlots sont en deuil…

Capture d'écran
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Il avait 79 ans et son nom ne disait plus grand-chose à plus grand monde. Et pourtant, Jean Sarrus était l’un des derniers Charlots survivants, avec Jean-Guy Fechner (le frère du célèbre producteur Christian Fechner, lui aussi disparu) et Luis Rego. Toute une époque qui s’en va.

L’un des premiers à saluer la mémoire du défunt n’est autre que Philippe Manœuvre, l’historien du rock qu’on sait : « Jean était un ami de longue date. Son fils Dorian m’a annoncé son décès ce matin. Jean était l’un des Charlots, mais aussi un bassiste renommé. Il a accompagné Ronnie Bird, puis Dick Rivers. Il avait fait partie des Problèmes [groupe qui a accompagné le chanteur Antoine, NDLR], avant de participer aux fameux Charlots… C’était un immense fan de country et un garçon adorable. »

En effet, on l’oublie trop souvent, mais Les Charlots ne fut pas son premier groupe : avant, il y eut Les Tarés, donnés alors pour les « concurrents des Beatles », à en croire un publiciste ayant manifestement perdu tout sens commun, et Les Rebelles, une « formation dynamique » dont l’un des titres de gloire fut d’avoir participé à un grand « bal twist contre tango ». Et ces fameux Problèmes, donc. Après avoir accompagné Dick Rivers et Ronnie Bird, cette petite formation dont font déjà partie trois futurs Charlots - Gérard Filippelli, Gérard Rinaldi et Luis Rego - devient le groupe d’un certain Antoine, que le producteur Christian Fechner plus haut évoqué tient alors pour une sorte de Bob Dylan français. Il est vrai que ses Élucubrations seront l’une des premières protest songs hexagonales.

Le groupe n’est d’ailleurs pas mauvais ; à tel point qu’il ouvre le spectacle pour les Rolling Stones, lors de leur première tournée française, en 1966. Seulement voilà, tout cela n’enrichit pas son homme. Christian Fechner, qui a visiblement une idée derrière la tête, leur fait enregistrer une parodie d’un des tubes d’Antoine, Je dis ce que je pense et je vis comme je veux, façon baloche et accordéon, le tout bramé avec un invraisemblable accent berrichon. Et ce qui n’est à l’origine qu’un simple gag se retrouve bientôt gravé dans la cire. Comme il faut bien trouver un autre nom que Les Problèmes, ce sera donc Les Charlots. Le succès est immédiat, même s’il présente un goût amer.

Car si le folk élégant, mâtiné de rock et de blues, des Problèmes se vend correctement, c’est par wagons entiers que les disques des Charlots vont bientôt s’écouler. Sans oublier les films qui vont suivre, évidemment produits par Christian Fechner qui fera fortune avec ses poulains, avant de produire des œuvres plus « exigeantes », dont Les Enfants du marais de Jean Becker, en 1999. En tout, il y aura donc quinze films des Charlots, étalés de 1970 à 1992. Même si le succès ira déclinant au fil des années, ces pochades attireront néanmoins plus de quarante millions de spectateurs ; des chiffres qui laissent rêveurs.

La plus populaire d’entre elles ? Les Bidasses en folie, de Claude Zidi, leur deuxième incursion dans le septième art, en 1971, est plébiscitée par 7.460.011 spectateurs ! Non content de dynamiter le box-office, cette aimable farce – dont l’humour a un peu vieilli, on peut l’admettre, même du bout des lèvres – crée un genre cinématographique à part entière : ces films de bidasses qui firent se gondoler la France entière pour la décennie à venir. Il est vrai qu’à époque, le service militaire est une institution, que ce soit pour ceux qui rêvaient de le faire et les autres, prêts à tout pour y échapper. Pour résumer, c’était avant la Journée défense et citoyenneté, sorte de conscription express, sachant que douze heures, douche comprise, demeurent un laps de temps assez court pour former un soldat digne de ce nom.
Mais, tandis que les films fonctionnent de moins en moins, les chansons des Charlots, elles, marchent de mieux en mieux. Et là, une fois de plus, les chiffres sont vertigineux : 16 albums, 3 albums en public, 54 45-tours et 18 compilations… Au final, des dizaines de chansons demeurées dans les mémoires : Paulette, la reine des paupiettes (1968), Sur la route de Pen’zac (1968), Merci patron (1971), Chagrin d’labour (1982) ou encore L’Apérobic (1983).

Bon, d’accord, ce n’était pas toujours du Georges Brassens ; mais juste de la chanson de noces et banquets - une vieille tradition française, soit dit en passant. Amateur éclairé de musique country, Jean Sarrus ne prétendait pas autre chose. La preuve par un entretien accordé à l’INA, le 16 janvier 2020, à l’occasion duquel il admettait, rigolard, avoir même fait des animations de supermarché pour gagner sa croûte dans ses années creuses.

Sans prendre grand risque de se tromper, on admettra que nous sommes là loin, très loin, très très loin d’une (ou d’un) Christine and the Queens (Héloïse Adélaïde Letissier, de son vrai nom) issue d’une famille nantaise et huppée qui, selon sa perception de genre, exige des journalistes qu’on lui donne du « monsieur » ou du « madame ».

Jean Sarrus, dont nous honorons aujourd’hui la mémoire, était un homme un brin moins compliqué. Et peut-être autrement plus talentueux. Quant à son genre « ressenti », ses moustaches à la Gérard Jugnot et son franc-parler ne laissaient pas le moindre doute sur la question. Allez, une dernière petite tournée de paupiettes ? Merci qui ? Merci patron !

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

3 commentaires

  1. Il est dommage que notre ami Nico n’ait pas fait allusion à la période « hard » des Charlots, mais on peut facilement trouver sur Youtube quelques-unes de leurs créations épicées en tapant  » Les Charlots les interdits ». D’autant que c’est bien interprété et enregistré.

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