Jérôme Rodrigues, le blessé de trop
La grave blessure à l’œil de Jérôme Rodrigues, survenue à l’occasion de l’acte XI des gilets jaunes ce samedi à Paris, est-elle celle de trop ? Il est vrai qu’au fil des manifestations qui se succèdent depuis maintenant plusieurs semaines, le nombre des blessés graves, notamment ceux qui risquent de demeurer, d’une façon ou d’une autre, handicapés à vie, ne cesse d’augmenter. Et cette situation ne peut plus durer. Le tribut payé par nos concitoyens, au sein duquel il faut inclure les blessés parmi les forces de l’ordre, est en voie de devenir exorbitant et, en tout cas, largement disproportionné au regard des enjeux portés par un mouvement dont on sent bien, aujourd’hui, qu’il perd tout sens de la mesure.
Parti sur les bases de revendications citoyennes légitimes, le mouvement des gilets jaunes a d’abord reçu, dans la population, un large soutien. Nombreux étaient les Français qui, dans leur for intérieur, s’identifiaient à cette frange de la population qui n’en peut plus de travailler pour des salaires de misère. À ces retraités qui, ayant cotisé toute leur vie, voient leurs retraites fondre comme neige au soleil. À ces petits commerçants, artisans, agriculteurs qui n’arrivent pas à faire vivre leurs entreprises ou leurs exploitations et qui, pour beaucoup d’entre eux, n’arrivent pas à dégager un salaire décent de leur travail.
Et puis, comme il fallait s’y attendre lorsqu’un conflit social s’enracine, est venu le temps de la violence. Chaque samedi qui passait a vu les manifestations parisiennes ou provinciales se durcir. Les affrontements entre forces de l’ordre et manifestants dégénérer et provoquer de plus en plus de dégâts et de victimes. Bientôt, des dommages irréversibles pour le petit commerce se sont fait sentir et la solidarité populaire n’a pas manqué de se distendre. Le gouvernement et le président de la République en tête, en répondant a minima aux revendications des gilets jaunes et en instaurant un grand débat de façade, n’ont pas manqué d’aggraver une situation déjà d’une exceptionnelle gravité.
Plusieurs semaines après le début des manifestations, la situation semble donc bloquée. Macron et Philippe sont partis en campagne, tentant par quelques tours de passe-passe oratoires dont ils sont friands de recoller les morceaux d’une majorité partie en quenouille. Et les gilets jaunes, pris par leurs contradictions internes, sont en train de se diviser et de se déchirer pour savoir quels bénéfices chacun pourra tirer du désordre qui s’est emparé de notre pays depuis le 17 novembre dernier. Cela donne, pour certains d’entre eux, une liste putative aux prochaines élections européennes et, pour d’autres, la poursuite d’un mouvement contestataire qui entend faire de la rue le seul argument qui vaille. Dans ce contexte pour le moins délétère et porteur de tous les dangers, la Justice, par la voix des magistrats du tribunal administratif de Paris, vient de rendre une décision importante. En refusant de statuer, pour des raisons de fond et de forme peu contestables il est vrai, sur la suspension de l’utilisation du LBD 40 lors des manifestations, la justice administrative ne manquera pas de conforter de nombreux Français dans l’idée qu’ils se font d’un pouvoir corrompu qui n’est désormais plus soutenu que par des institutions judiciaires et policières aux ordres. À cela est venu s’ajouter l’appel au soulèvement d’un Éric Drouet.
Tous les ingrédients idéologiques et stratégiques sont maintenant réunis pour que notre pays sombre dans le chaos. La crise des gilets jaunes, simple mouvement social et populaire à l’origine, pourrait donc bien devenir l’élément déclencheur de ce Grand Soir attendu par beaucoup.
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