Joseph Thouvenel : « Nous sommes dans une période un peu pré-1789 avec des jacqueries que sont les gilets jaunes ou les bonnets rouges »

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Blocages de raffineries, appel à la grève dans les transports et les écoles, la grogne monte en France. Analyse et réaction de Joseph Thouvenel pour les lecteurs de Boulevard Voltaire.

Marc Eynaud. La situation se tend sur le front des grèves. Ces grèves sont-elles légitimes ? Pourrait-on aller vers la grève générale ?

Joseph Thouvenel. Il n’y a pas de grève générale. Une grève générale, tout s’arrête. Certains secteurs stratégiques comme le pétrole, l’électricité avec les centrales nucléaires, sont atteints par des mouvements de grève importants qui démarrent. C’est très ciblé.

Tout d’abord, on peut se demander : comment se fait-il que le gouvernement ou le patronat, qui devraient être responsables, laissent dans des endroits stratégiques des organisations révolutionnaires prendre le pas sur les autres. Dans notre pays, ce fonctionnement est regrettable à deux points de vue : c’est un fonctionnement de lutte des classes qui veut imposer par la force ce qu’il estime être bon, même si l’ensemble de la communauté en subit des conséquences désastreuses. Ce marxisme de lutte des classes se partage entre certaines organisations de salariés mais aussi certaines organisations patronales. La deuxième chose est l’imprévision gouvernementale. Cela fait plusieurs semaines que des grèves ont commencé au niveau de l’approvisionnement en essence et, pendant plusieurs jours, le gouvernement nous a dit que tout allait bien. La France va mal, il y a une inquiétude économique, sociale, sociétale, mais aussi une inquiétude sur la sécurité. L’ambiance générale de notre pays n’est pas bonne.

M. E. La mobilisation de rue initiée par la gauche est en réalité très peu suivie…

J. T. Il y a à la fois un très fort mécontentement et une très forte inquiétude sur des raisons qu’on reconnaît objectivement. Mais les acteurs d’un appel à une grève générale, à un blocage, sont en grande partie décrédibilisés. On voit très bien que le pays ne suit pas M. Mélenchon ou la CGT et SUD. Cela ne signifie pas que, demain matin, nous ne serons pas à la merci d’un mouvement de type gilet jaune ou bonnet rouge, car les problèmes sont graves et on n’a pas l’impression que le gouvernement s’engage vraiment à les régler. Ils font beaucoup de communication et cela n’a qu’un temps. Il y a un troisième acteur, c’est l’acteur patronal qui montre un désintérêt pour les choses sociales, en tout cas dans les grandes entreprises, et une certaine immaturité. Quand je vois le patron de Total communiquer sur sa rémunération car il était vexé qu’on dise qu’il s’était augmenté de 52 %... Quelle immaturité ! Son premier travail est, normalement, de régler d’abord les problèmes au sein de son entreprise pour que le travail reprenne et que l’essence arrive jusqu’aux pompes. Sa petite vexation personnelle passe largement après.

M. E. On a l’impression que notre pays est dans une période de bascule, de période révolutionnaire…

J. T. Mon impression personnelle est que nous sommes dans une période un peu pré-1789 avec des jacqueries que sont les gilets jaunes ou les bonnets rouges. Demain, ce sera sans doute autre chose car il y a un vrai mécontentement et les corps intermédiaires, qui peuvent réguler les choses et les organiser, ont quasiment disparu du paysage. Quand on met des personnes quasiment seules face à l’État, l’État peut tout imposer jusqu’au moment où ça explose. L’explosion n’est jamais bonne, car c’est la loi du plus fort et non la loi du plus juste. 1789 nous a bien amenés 1793.

Marc Eynaud
Marc Eynaud
Journaliste à BV

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