La chaîne russe RT France fermée sans procès : une décision qui fait peur

RT

« Cette chaîne n’est pas disponible dans votre pays. » Le message s’affiche désormais en blanc sur fond de bandeau rouge sur le site de RT France, la déclinaison française de la chaîne russe Russia Today. Après Facebook et Instagram, lundi soir, YouTube a à son tour bloqué mardi le flux vidéo des médias russes Russia Today (RT France) et Sputnik. Une décision « avec effet immédiat » justifiée par YouTube auprès de l’AFP par « la guerre en cours en Ukraine ». Selon Russia Today, contactée par Boulevard Voltaire ce 1er mars, vers 16 h 45, la chaîne fonctionnait toujours sur Twitter et continuait à émettre sur Free, CanalSat et Molotov.

Dimanche après-midi, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait annoncé dans un discours que la Commission allait interdire les deux médias propriété de l’État russe. « Nous interdirons au sein de l'Union européenne la machine médiatique du Kremlin : le média d'État Russia Today et Sputnik ainsi que leurs filiales ne seront plus autorisés à répandre leurs mensonges pour justifier la guerre de Poutine et semer la division au sein de l’Union », a-t-elle dit. Ce n’est pas tout. « Nous développerons des outils pour interdire cette désinformation toxique et l’éloigner de l’Europe. ». La chaîne RT et l’agence de presse Sputnik disposent d’un budget annuel de 430 millions d’euros… en Europe et emploient en France « 176 salariés dont plus de 100 journalistes », selon la patronne de RT France Xenia Fedorova.

À titre de comparaison, France Télévisions emploie près de 10.000 journalistes et « pèse » près de 3 milliards d’euros de budget annuel. Qu’on apprécie ou non sa ligne, qu’on condamne le plus sévèrement ou non la politique russe en Ukraine, RT France, dont l’audience télé est très faible, est un nain de l’information en France et en Europe. Pourquoi s’acharner sur ce canal d'État très peu suivi alors que les États-Unis, par exemple, ont à ce jour laissé RT libre de diffuser ? Chez RT France, on précise que les équipes n’auraient reçu, à ce jour, aucun document, aucune justification de l’ARCOM, qui a remplacé le CSA français. « Ils ne nous répondent pas », explique RT. La patronne de RT France Xena Fedorova annonce, par ailleurs, qu’elle compte porter plainte : elle accuse le pouvoir de censure. Le procès n’est pas perdu d’avance.

Car une chose est de condamner une invasion brutale, ce que Boulevard Voltaire fait sans hésiter. Une autre de couper l’antenne d’un média, même lié à une puissance étrangère. La Chine, qui n’est pas un modèle de démocratie, diffuse ainsi plusieurs chaînes sur les bouquets français, de même que le Qatar (Al Jazeera, BeIN Sports) et bien d’autres Etats pas vraiment démocrates.

Notre pays a adopté des lois qui garantissent cette liberté fondamentale, la liberté de la presse. La loi de 1881 stipule, dans son article 1, que « l’imprimerie et la librairie sont libres », soit la diffusion d’information. Ces lois organisent la possibilité d’un recours juridique a posteriori contre tel ou tel propos exprimé qui contreviendrait à la législation. En aucun cas le pouvoir exécutif français, encore moins l’Europe, n’ont le droit d’interdire en France un propos a priori, avant publication. Impossible de fermer d’autorité un média, fût-il lié à un État, sans se donner la peine d’évoquer une décision judiciaire et d’incriminer tel ou tel propos au regard de la loi. En 2004, une procédure d’urgence auprès du Conseil d’État avait ainsi abouti à l’arrêt de la diffusion de la chaîne libanaise Al-Manar pour diffusion de propos antisémites. La convention de la chaîne avait été résiliée. Dans cette procédure rarissime, il s’agissait, comme le prévoit la loi, d’une action a posteriori pour des propos précis.

Ce n’est pas la première fois que l’État, sous la présidence d’Emmanuel Macron, s’en prend à la liberté de l’information, toujours sous le couvert d’une bonne conscience proclamée, la marque du macronisme. Sa loi contre les « fake news » en 2018 a été très contestée. Son conseil de déontologie journalistique (2019) aussi. La loi Avia contre la haine en ligne, en avril 2020, était si liberticide qu’elle fut censurée par le Conseil constitutionnel. Dans la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, le 4 novembre 2020, on a vu revenir la lutte contre la haine en ligne assortie d’une interdiction de diffuser des images des forces de l’ordre en exercice. Là aussi, ce point a fait polémique.

Le pouvoir macroniste a encore installé une commission, la Commission Bronner (2021), entre autres chargée de la lutte contre les « diffuseurs de haine » et de la désinformation. Sous des objectifs consensuels, une fois de plus, le pouvoir joue avec la liberté d’expression comme jamais dans l’histoire de la Ve République. Ni Mitterrand ni Chirac ni François Hollande n’ont, à ce point, cherché à rogner cette liberté chère au cœur des Français et indispensable à toute vraie démocratie. Macron et von der Leyen, eux, n’hésitent pas.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/09/2024 à 16:03.
Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

75 commentaires

  1. Sera-t-on définitivement condamné à s’informer au travers des médias aseptisés et soporifiques officiellement reconnus comme bon pour le petit peuple ! Je pense en particulier à France info, BFM TV ,LCI… suintant la bien pensance et l’insipidité et complètement inféodés par notre gouvernement fantoche !

  2. La propagande Russe, la désinformation et les fake news doivent être interdite.
    La Russie a envahie un pays, fait des dizaines de morts, ça c’est acceptable ?
    Mais interdire RT et Sputnik, alors là, mais c’est l’horreur.
    Nous n’avons pas les mêmes valeurs.

  3. L’Occident s’est soumis à la dictature mondialiste des « Grands de Davos »… L’Europe se soumet à l’invasion migratoire et la France à la vaccination non-obligatoire mais obligée… La bien-pensance médiatique obligatoire ayant éteint les cerveaux, pourquoi voudriez-vous que Vladimir ne profite pas de cette situation ?

  4. Si l´UE interdit RT il faudrait pour etre cohérent interdire aussi Al Djazzira qui est une chaine de propagande islamiste, financée par un Etat étranger: le Quatar ( grand ami de Sarkozy ceci dit en passant ).
    Faisons une pétition pour demander l´interdiction d´Al Djazzirah … histoire de voir .

  5. Von der Leyen-Macron : même combat ; sans aucune retenue ni scrupule , ils imposent leur censure au grand mépris du peuple ;
    X.Fedorova résume parfaitement cette odieuse situation et a tout à fait raison de porter plainte .

  6. J’aimais bien la liberté de ton. Je note que Le Drian avait tonné contre la suppression d’une chaîne en Algérie. Ah l’équité!

  7. Peut-être faudrait-il fermer également les chaînes françaises pour véhiculer une idéologie en contradiction avec le devoir d’informer – sans juger cela va de soi.

  8. « Sous des objectifs consensuels, une fois de plus, le pouvoir joue avec la liberté d’expression comme jamais dans l’histoire de la Ve République. »
    Bienvenue en pays communiste, retour d’une réalité nommée « progressisme ».

  9. macron et son gouvernement ont peur de l’objectivité de l’information sur RT. Le moment venu il faudra que le chef de l’ARCOM s’explique et rende des comptes ! Après le « pass vaccinal », la police politique de la pensée à frappé comme au bon vieux temps de l’URSS !
    Il serait temps que les français se réveillent et disent non à cette « infantilisation » par cette classe politique totalitaire

    Liberté de l’information, liberté !

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