La commémoration de l’assassinat de Samuel Paty risque d’en occulter les véritables causes

Samuel Paty

On commémorera, le 15 octobre, dans tous les établissements scolaires, l'assassinat de Samuel Paty. Des ressources pédagogiques ont été mises en ligne sur le site du ministère pour aider les professeurs à organiser, ce jour-là, une séquence adaptée à leurs élèves. Cette commémoration sera « l'occasion d'un temps de réflexion et d'échanges avec les élèves ». Elle pourra « prendre la forme [...] d’une séquence spécifique sur la construction de l’esprit critique, ainsi que sur le métier de professeur, son rôle et sa légitimité ». Il convient de rappeler cet acte odieux, mais n'en occultera-t-on pas les causes véritables ?

Seize supports sont proposés au choix des professeurs, accompagnés de propositions d’activités « en lien avec la défense de la liberté d’expression, des valeurs de la République et du rôle de l’École ». Parmi eux, la Lettre aux instituteurs et institutrices » de Jean Jaurès et la Lettre à monsieur Germain d'Albert Camus, un tableau d'Eugène Delacroix et un dessin de Plantu, des textes de Marcel Pagnol, Bertolt Brecht, Hannah Arendt, Jacqueline de Romilly, et même un extrait de Tocqueville sur la liberté de la presse. Un corpus varié, propre à satisfaire tous les goûts, tous les besoins et tous les publics.

Reste à savoir ce que les professeurs en feront. Le ministère semble penser qu'ils ne sont pas tous capables de les utiliser intelligemment. Il a jugé bon de suggérer des liens avec des thématiques comme l'« esprit critique », la « liberté d'expression », les « valeurs de la République » ou le « rôle de l'École républicaine ». Il aurait pu ajouter le « fanatisme religieux », car cette tragédie ne pose pas seulement le problème de la liberté d'expression. On peut s'interroger sur cette propension du ministère à orienter la réflexion des professeurs. Estime-t-il qu'ils manquent de jugeote ou de culture ? Voudrait-il éviter les dérives ? Ou, plutôt, indiquer des pistes faisant consensus, préférant la langue de bois au franc-parler ?

Quelles que soient les intentions du ministère, ces séquences seront certainement très diverses en fonction des établissements et des professeurs. Il est souhaitable que ceux qui pensent par eux-mêmes puissent évoquer, sans tomber dans les lieux communs de la pensée unique, l'esprit critique, la liberté d'expression et les fameuses « valeurs de la République », mais fassent comprendre aussi qu'il est des religions moins tolérantes que d'autres pouvant conduire à des pratiques qu'on qualifie, par euphémisme, de « radicales ».

Il est piquant de constater que nos dirigeants, qui prétendent défendre la liberté d'opinion ou d'expression, ont souvent tendance à la limiter en fonction de leurs propres convictions. Cette même contradiction touche certains médias, dont l'ouverture d'esprit est curieusement bornée par les orientations et normes de leur rédaction. Après la famille Le Pen, c'est au tour d'Éric Zemmour d'en faire les frais. Plus généralement, tout Français qui rompt avec la bien-pensance est traité comme un paria qu'il convient de tenir à l'écart.

On peut douter que tous les enseignants évoquent les véritables causes de l'assassinat de Samuel Paty. Non qu'ils manquent de courage, mais une partie des élèves et des parents, voire la hiérarchie de l'Éducation nationale, ne le supporteraient pas : ils dénonceraient ce trublion, ce provocateur, ce dissident qui n'aurait plus qu'à se taire ou accepter un stage de rééducation !

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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