La dernière fausse bonne idée de Minc ? Un emprunt forcé pour la défense

Les contribuables seraient obligés de prêter l'équivalent de la moitié de leur impôt sur le revenu.
Capture d'écran
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Comment financer l’effort de défense ? C’est la grande question du moment. Dans un pays normal, c’est-à-dire dans un pays où l’État se concentre sur ses missions essentielles que l’on appelle régaliennes, la réponse serait d’une simplicité biblique : par l’impôt. Alain Minc, vous connaissez, évidemment. Lui a une autre idée. Un demi-siècle, en gros, que l’auteur de La Mondialisation heureuse, pas si heureuse que ça, arpente les plateaux de télévision pour délivrer sa vérité qui peut changer au gré du vent. Pour tout dire, il a des idées sur tout. Et, donc, la dernière en date, il l’a lancée, mardi 11 mars, chez France Info : instaurer un emprunt forcé pour les personnes assujetties à l’impôt sur le revenu (IR). Selon lui, ce serait la meilleure solution pour financer l’effort de défense sans augmenter les impôts… immédiatement. L'idée : « Faire un acte qui fait toucher aux Français la réalité de la crise et du danger qui nous menace... » Bonne idée, fausse bonne idée ou idée complètement stupide ? Là est la question. Une idée, en tout cas, qu'Éric Lombard, ministre de l'Économie, semble avoir rejetée en déclarant au Sénat, ce jeudi 13 mars : « Les Français feront ce qu'ils voudront de leur épargne. » Alain Minc serait-il démonétisé ?

Un emprunt forcé : comme au temps des socialo-communistes ?

En tout cas, ça fait un petit moment que l'on rôde autour de l’épargne des Français. Vous pensez, un pactole de 6.000 milliards d’euros – deux fois la dette de l’État - qui dort, là, à portée de main et auquel on ne peut pas toucher. De quoi vous faire baver, la langue pendante, comme le loup de Tex Avery. Bon, il y a bien cette sacrée propriété privée sanctuarisée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Oui, certes… Donc, un impôt forcé. La dernière fois que l’État a fait ça, c’était en 1983, sous le gouvernement socialo-communiste de Pierre Mauroy. Il s’agissait, déjà, de financer un « effort » : non pas de « défense » mais d’« investissement ». « Nous avons décidé un emprunt obligatoire égal à 10 % de l'impôt sur les grandes fortunes et de l'impôt sur le revenu, emprunt dont sont dispensés les contribuables payant un impôt inférieur à 5.000 francs, c'est-à-dire 14 des 22 millions de foyers fiscaux », avait déclaré, à la tribune de l’Assemblée, le Premier ministre de l'époque. Les braves contributeurs furent remboursés en 1985.

Moins d'un foyer sur deux paye l'impôt sur le revenu

Aujourd’hui, Alain Minc propose mieux : tous les contribuables payant l’IR seraient obligés de prêter l’équivalent de la moitié de leur contribution. Ainsi, « les plus modestes ne le payent pas et sont protégés », explique Minc. Faut-il comprendre que le soutien à l’effort de défense de la patrie n’est l’affaire que de ceux qui sont supposés avoir les moyens financiers ? Quand on sait, par ailleurs, que seulement moins de la moitié des foyers fiscaux sont imposables, il y a peut-être une réflexion philosophique à avoir sur le sujet… Donc, un ménage qui aurait payé 1.000 euros d’impôt sur le revenu l’année précédente se verrait dans l’obligation de prêter 500 euros à l’État. Ce qui reviendrait, dans les faits, pour ce ménage, à un impôt immédiat supplémentaire de 500 euros (imposer un prêt, étymologiquement parlant, ça s’appelle un impôt). Donc, ce ménage devra prélever sur sa trésorerie ces 500 euros, sur son épargne peut-être, car Alain Minc l’ignore peut-être : lorsqu’on paye 1.000 euros par an d’IR, on n’est pas forcément riche et l’on n’a pas forcément le compte courant blindé. Rajoutez, parfois, là-dessus, la mauvaise idée qu’a eue ce ménage de se mettre sur le dos un emprunt pour être chez soi dans trente ans, lorsqu’il aura terminé de rembourser son crédit à la banque. Il va donc taper dans son épargne de précaution, qui sert au cas où le chauffe-eau péterait sans prévenir ou pour remplacer le train de pneus de la bagnole qui sert pour aller au boulot et conduire les gosses au foot. Dans la vraie vie, c’est comme ça que ça se passe.

Effet d'aubaine en vue

Mais, mettons. Ce ménage va retirer de son livret A les 500 balles (à moins qu’on ne le lui interdise, ce qui serait tout de même curieux en Union européenne, défenderesse de la sacro-sainte liberté de circulation des capitaux !), comme autrefois on donnait, contraint et forcé, son argenterie pour couler des canons. Pas si mauvaise opération, d’ailleurs : le livret A vient de redescendre de 3 à 2,4 % et Minc propose de financer ce prêt à 3 ou 4 %. Vous voyez l’idée ? Pour ceux, à la différence de notre ménage, qui n’ont pas besoin de leur épargne tout de suite (Minc propose que l’État rembourse sa créance avec les intérêts au bout de cinq ans), cela peut devenir intéressant. Effet d'aubaine en vue. Bon, ça fera moins d’argent pour financer la construction de logements sociaux (puisque c’est en grande partie à ça que sert l’argent des livrets A), mais c’est pas grave. La politique de Gribouille, on connaît bien, en France.

40 milliards pour quoi faire ?

Mais poursuivons et plaçons-nous maintenant à l’échelle nationale. Grosso modo, l’impôt sur le revenu rapporte 80 milliards par an. Donc, l’emprunt Minc, c’est une manne de 40 milliards qui tombe d’un coup dans les caisses de l’État. 10 milliards de moins que le montant du budget annuel consacré à la défense que Lecornu veut passer à 90 milliards en 2030. À quoi vont servir ces 40 milliards ? Pas pour augmenter immédiatement le budget des armées, cela n’aurait pas de sens : les rythmes de fabrication, de livraison des canons, des avions, des munitions (que sais-je encore), sans parler d'une éventuelle augmentation des effectifs, ne suivraient pas, à l’évidence. Sans compter qu'au bout des cinq ans, il faudra bien rembourser, intérêts et principal, cette dette, ce qui viendra, évidemment, plomber le budget de l'année considérée. Alors, pour prêter à notre base industrielle et technologique de défense (BITD), qui peine souvent à trouver des banques pour emprunter ? Pourquoi pas. Mais ce n’est même pas certain que Minc pense à cela, puisqu’il envisage comme autre solution, pour financer l’effort de défense, de supprimer trois jours fériés... sans y croire, car il n’est pas fou.

Avant d'aller voir dans les poches des Français...

Tout cela pour dire qu’en fait, on tourne autour du pot. Lorsqu’on aborde la question de l’effort de défense, on est obnubilé par un chiffre : celui du pourcentage du PIB, effort qui est, pour la France, autour de 2 %. Mais il est des chiffres que l’on se garde bien d’évoquer, sans doute parce qu’ils font mal : ceux de la part consacrée à la défense dans le budget de l’État. En 2025, elle est de 11,1 %, troisième poste après le remboursement de la dette et les avances aux collectivités territoriales. En 1832, cette part était de 42 % ! Au fil du temps, l’État, à l’origine, justicier, gendarme, guerrier et diplomate, a accaparé tout un tas d’autres missions jusqu’à devenir l’État fourre-tout que l’on connaît.

Sans remonter à Louis-Philippe, les chiffres de Bercy que tout le monde peut consulter, sont éloquents. En 2021, les crédits de paiements pour tous les budgets de l'État étaient de 594 milliards d'euros. La part consacrée à la mission Défense était de 8 %, soit 47,52 milliards. Le remboursement de la dette représentait 7 %, soit 41,58 milliards. En 2025, ces mêmes crédits de paiement ont grimpé à 811 milliards, soit une augmentation de 36,53 % en cinq ans. Certes, le Covid-19 qui a bon dos, l'inflation... Le remboursement de la dette a suivi cette même ascension : 7 % de ces 811 milliards, soit 56,77 milliards, c’est-à-dire une augmentation de 36,53 %. Dans le même temps, la mission Défense, elle aussi, a augmenté, représentant 7 % de ces 811 milliards, soit 56,77 milliards. Mais une augmentation de seulement... 19,46 %. Avant d’aller voir dans les poches des Français, c’est peut-être de ce côté-là qu’il faudrait regarder. Alain Minc doit bien avoir une idée…

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Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)

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