La fabrique de l’ennemi dans la démocratie totalitaire

Dieu merci, la critique des dérives totalitaires de la démocratie se développe de plus en plus, et c’est bien normal, en démocratie, même si cela ne plaît pas à certains. Le dernier livre du sociologue canadien Mathieu Bock-Côté (L’Empire du politiquement correct, Le Cerf) s’y emploie largement.

Parmi ces dérives, l’une est particulièrement intéressante à observer : c’est la fabrication et le traitement de « l’ennemi ». En effet, dans tout type de régime, tout pouvoir a besoin d’un ennemi, ou de plusieurs, mais leur traitement n’est pas le même selon que l’on est dans un système totalitaire « classique » ou bien démocratique.

Un système totalitaire « classique » - le communisme, par exemple - est fondé sur un dévoiement de la notion d’ordre. En effet, dans tout État, le maintien de l’ordre est justifié comme une garantie de la justice, afin que tous les membres du corps social et politique soient traités, qu’ils soient forts ou faibles, avec la même équité. Le système totalitaire classique dévoie la valeur de l’ordre dans la mesure où celui-ci sert comme une garantie non pas de la justice et du bien commun, mais de l’injustice, au service du groupe au pouvoir. Dans ce système, ils convient que les procès des dissidents soient éventuellement mis en scène, si cela sert les intérêts du pouvoir à ce moment-là, puis qu’ils disparaissent, dans des camps de la mort, des goulags ou des fosses communes. Le but, dans tous les cas, c’est de les éliminer, et parfois d’en effacer même le souvenir.

Le système démocratique est différent, puisqu’il est fondé, principalement, non pas sur la notion d’ordre, mais sur celle de liberté. Il importe qu’il montre, et qu’il survalorise si possible, le fait que les hommes sont libres, ou même très libres. On habitue ainsi les peuples au fait qu’il est normal, surtout en temps de paix, que l’ordre soit faible, et tant pis s’il est pagailleux ou un peu injuste. C’est, en quelque sorte, le « prix à payer » pour que les personnes vivent dans un « paradis de liberté ».

La dérive totalitaire de ce système ne peut donc prendre la même forme que dans le totalitarisme « classique », puisqu’il est fondamental, dans ce cas, que le dissident ou l’ennemi ne disparaisse pas, faute de quoi la valeur de liberté serait gravement entachée. Dans ce système, il convient donc de discréditer autant que possible ses ennemis, par tous les moyens (réduction ad hitlerum ou « psychiatrique »), mais en faisant en sorte, en même temps, qu’ils ne quittent jamais le champ politique, faute de quoi le régime pourrait apparaître comme « stalinien », ce qui est la dernière chose qu’il souhaiterait.

Il se crée donc parfois un curieux rapport entre le pouvoir et son « meilleur ennemi », le pouvoir étant très attaché à ce que son ennemi soit suffisamment diabolisé et marginalisé, mais bien en vie, et l’ennemi très attaché à ce que le pouvoir continue à lui prodiguer les « soins » consistant à lui assurer la notoriété suffisante pour être en forme et, si possible, faire disparaître du paysage médiatique ses concurrents.

En France, ce système est très rôdé, et marche extrêmement bien.

Des journalistes en faction autour de l’Élysée ont remarqué, depuis quelque temps, un curieux manège : deux personnages, un homme et une femme, casqués et vêtus de combinaisons noires, débarquent régulièrement de leurs scooters respectifs et se retrouvent dans un café discret derrière le Palais. L’homme ressemble étrangement au président de la République et la femme à Marine Le Pen. L’un des journalistes, intrigué, a récemment tendu l’oreille, et a cru entendre une conversation. L’homme disait : « Tu comprends, Marine, j’ai pas mal d’annonces à faire la semaine prochaine. Qu’est-ce que tu veux que je dise de moche à ton égard, pour bien te mettre en valeur ? » Selon certaines sources, il s’agirait d’une « fake news », mais ça n’est pas certain…

François Martin
François Martin
Consultant et conseiller municipal - Membre du fonds de recherche Amitié Politique

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