La France rurale, toujours plus touchée par la misère

©Nathalie Bardou/SPF
©Nathalie Bardou/SPF

Il y a une France qui souffre en silence. Non point celle de ces tours, choyée par le microcosme médiatico-politique, mais celle des bourgs, abandonnée par la France d’en haut. Le Secours populaire français, pourtant traditionnel porte-voix d’un gauchisme de moins en moins progressiste, a fini par l’admettre. Dans son rapport de la rentrée 2024, on constate que la paupérisation ambiante gagne en priorité les zones déshéritées, celles de cette campagne éloignée de tout, des services sociaux les plus élémentaires et de l’argent des contribuables se déversant à fonds perdus en une « politique de la ville », façon tonneau des Danaïdes.

Les chiffres sont-ils sans appel : « Deux Français sur cinq disent désormais avoir traversé "une période de grande fragilité financière" au moins à un moment de leur vie. Le niveau de difficulté est tel qu’au total, 62 % des Français déclarent avoir connu la pauvreté. […] Un chiffre en hausse de 4 points par rapport à 2023. » Pire : « Parmi les personnes vivant dans les communes rurales, zones où la population est constituée d’une part importante d’ouvriers et d’employés, le niveau monte à 69 %. »

Cette misère qui gagne les campagnes

Si le reste du pays n’est évidemment pas épargné, c’est une fois encore dans la France des champs que la pauvreté gagne le plus de terrain. Toujours selon ce rapport du Secours populaire, « 57 % des ruraux peinent à partir en vacances au moins une fois par an. C’est 9 points au-dessus de l’ensemble de la population. » Pour en rajouter dans cette détresse qui passe généralement sous les radars des grands médias, « 40 % de ces répondants ont de grandes difficultés à disposer d’équipements numériques en état de fonctionnement. C’est 7 points de plus que l’ensemble des Français. » Puis il y a le symbolique, l’image qu’on renvoie de soi, sorte de capital d’estime qui n’entre pas dans les statistiques : « 36 % des habitants des espaces ruraux peinent à prendre soin de leur apparence physique, faute de moyens. C’est un niveau supérieur à la moyenne des personnes interrogées (31 %). »

Tant qu’à transgresser les idées reçues – la détresse financière serait l’apanage des populations « racisées » –, le Secours populaire français va encore plus loin, signant un reportage digne de ceux de la journaliste Florence Aubenas, l’une des premières à avoir pris le pouls de ces populations oubliées. Adapté au cinéma, son reportage, Le Quai de Ouistreham (L’Olivier), à l’occasion duquel elle devient femme de ménage des mois durant, est une référence en la matière.

Se priver pour offrir des cordons bleus à ses enfants…

Voilà qui a dû inspirer cette plongée chez les oubliés du Vexin, terre jadis riche et désormais oubliée, entre ronds-points, centres commerciaux et chômage de masse ; là où l’on vote plus volontiers Marine Le Pen qu’Emmanuel Macron. Le résultat, poignant, étreint le cœur, surtout vis-à-vis d’hommes et de femmes s’obstinant à ne point courber l’échine. Il y a là, par exemple, une famille qui se saigne aux quatre veines pour offrir deux cordons bleus à leurs enfants.

Lui, Denis, ouvrier : « Je travaillais dans une usine d’emballage. 48 heures par semaine, travail de nuit. Les douleurs m’empêchaient de dormir. J’ai dû quitter mon poste. Je ne peux plus porter de charges lourdes ni rester debout. » Elle, Céline, comme beaucoup d’aides-soignantes, a été contrainte d'abandonner cette profession après s’être bloqué le dos, à force de soulever des patients pendant des années.

Manger ou se chauffer : le dilemme de la France oubliée…

Michel Guignot, député RN de l’Oise, nous confirme une situation de plus en plus dramatique : « C’est bien que le Secours populaire français se rende enfin compte de l’ampleur de ce désastre à la fois social et national. Il serait tout de même temps, après tant d’années ! La plupart des électeurs que je vois se demandent, chaque hiver, s’ils devront choisir entre manger et se chauffer… » Il poursuit : « En quelque sorte, l’abandon de nos campagnes a été décrété pour de basses raisons électorales. La densité d’électeurs y est moindre, par rapport aux masses urbaines. Et ces zones déshéritées votent mal, c’est-à-dire le plus souvent pour le Rassemblement national. Pour les plus modestes de nos compatriotes, il s’agit donc d’une sorte de double peine. »

En ce sens, Jean-Luc Mélenchon, en dévoilant son mépris de classe à l’égard de ces populations abandonnées de tous, ne fait qu’exprimer la doxa dominante. Michel Guignot, toujours : « Au-delà de l’électorat immigré, les gros bataillons électoraux de LFI sont constitués de jeunes urbains, gosses de riches vaguement trotskistes, ce qui ne les pas empêchés de voter, au second tour des dernières élections législatives, pour des Élisabeth Borne ou des Gérald Darmanin. » En ce sens, quand Jean-Luc Mélenchon exprime son mépris de classe, il dit tout haut ce que tant de ses pairs, de LFI comme de Renaissance, pensent tout bas. Michel Guignot ne dément pas, tout en s’inquiétant de l’avenir : « Pour l’instant, les paysans qui s’en sortent encore, les céréaliers et les betteraviers, ne bougent pas. Mais les promesses d’Emmanuel Macron de l’année dernière n’ont pas été tenues. Les seuls à s’être alors mobilisés étaient les petits agriculteurs. Mais cette année, les récoltes ont été mauvaises pour tout le monde. Bref, la colère gronde… »

La jacquerie des gilets jaunes pourrait faire figure de simple péripétie, au regard de la tempête qui s’annonce et à laquelle le Secours populaire français ne pourra vraisemblablement rien changer.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 17/09/2024 à 22:30.
Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

22 commentaires

  1. Combien de politiques de la ville ont été menées depuis 1981 ? Quelle somme d’argent par habitant français cela représente-t-il ? A-t-on consacré pareille somme par habitant français en zone rurale ? Ne vous étonnez alors pas des bulletins RN que vous dépouillez par endroits…

  2. Merci, Nicolas. Excellent rappel à la réalité de la vie, notamment pour les bobos, parisiens Biarrots de replis ou Olonnais qui ont le loisir et le confort de lire et de commenter les articles de BV tous les matins à l’aube en attendant les croissants..

  3. ce sont des exemples concrets qui permettent d’expliquer une situation : lorsque je lis sur un pot de confiture « fruits origine Amérique/afrique/UE », comme si France ne cultivait ni fraises, ni framboises, ni abricots, je comprends la misère de nos cultivateurs. Les Mayas (autre exemple) ont abandonné leurs villes pour émigrer vers le nord parce que l’élite n’avait pas inventé la charrue, d’où de longues jachères, des terres arides, et la famine. La charrue, dans la France du vingt et unième siècle, c’est la préférence nationale, n’en déplaise aux mondialistes inconscients. Qu’une petite culotte coûte moins cher après un voyage Pékin – le Havre, que la même qui serait produite (créatrice d’emplois) dans un de nos villages touché par cette pauvreté qu’on dénonce sans chercher à y remédier, voilà qui est choquant et la preuve du manque d’imagination de nos « élites ».

  4. Quand je lis « Mais les promesses d’Emmanuel Macron de l’année dernière n’ont pas été tenues. », une furieuse envie d’ajouter « serait-ce les seules ? » me saisit. Les seules promesses tenues, et encore, sont celles ne concernant ni la France ni les Français, mais c’est normal en macronie !

  5. Je la vois de plus en plus cette misère de nos provinces, lors de mes déplacements. J’en pleure, et quand en plus je vois le « grand remplacement » en marche, je me dis que le dernier recours de la France sera son Dieu catholique.
    Le marxo-gauchisme aura mis un siècle et demi pour mettre à genoux la France.

  6. Ce que vous décrivez, je le vois tous les jours dans mon département. Résultat de l’éclatement des familles, désormais souvent « monoparentales », avec une mère au chômage ou en arrêt de maladie, pour cause de désindustrialisation forcenée de la France, qui a fait disparaitre le travail ouvrier, mais aussi les aides sociales multiples n’incitant pas à trouver du travail, surtout quand il faut parcourir plusieurs km pour s’y rendre, avec une essence hors de prix !

  7. La suppression des services publics en milieu rural aggrave cruellement la misère des populations. Plus de médecins, plus de poste, plus de pharmacies, plus d’écoles, pas d’équipements sportifs, etc. , et surtout plus de transports en commun. Ces ruraux sont obligés d’avoir, d’assumer le coût de plus en plus spoliateur, d’une voiture s’ils veulent se déplacer pour aller travailler. Bon, il faut dire que le fisc sait trouver les ruraux pour les spolier et que, pour lever les impôts, les services osent se déplacer dans les campagnes alors qu’ils n’osent pas pénétrer dans certaines banlieues et dans certains quartiers qualifiés de défavorisés.
    Et pourtant, on injecte des milliards depuis des décennies dans ce que l’on appelle les quartiers défavorisés ou « sensibles ». Les commerces, les services publics, les transports y sont bien présents. J’en ai traversé un récemment en banlieue mulhousienne : j’y ai vu une antenne de la CAF et pourtant il y a un bus toutes les 10 minutes dans ce quartier ! les équipements sportifs, les cinémas y sont présents aussi. Et pourtant lors des dégradations post-nahel, Macron a osé prétendre que ces pauvres jeunes étaient oisifs et que c’est pour cela qu’ils ont saccagé écoles, médiathèques, mairies, etc. Mais comment devraient donc réagir les ruraux si ces affirmations étaient exactes ?

  8. Tout ce qui est dit dans cet article est parfaitement vrai. J’ajouterais plus aucun médecin ou service public à moins de 30 / 50 km, même très souvent dans des bourgs d’importance. Seuls petits bémols, nos parents et grands parents, à défaut de social et de prestations diverses et variées à cette époque, relevaient les manches et s’auto suffisaient pour la plupart, cultivant leur potager sur leur petite parcelle agrémenté de quelques animaux de basse-court quand cela était possible ou au sein de jardins ouvriers en ville. Aujourd’hui, beaucoup de personnes, en pleine force de l’âge pour la plupart, attendent tout de la société et n’ont ni la volonté, ni surtout le courage de faire quoi que ce soit, à part se plaindre derrière l’écran de leur téléphone très souvent hors de prix d’ailleurs, fumant parfois substances illicites et sirotant bière ou café au PMU du coin quand lui-même n’a pas fermé, espérant toujours y faire fortune. Ils attendent tout des services de l’État et de nos politiques, dont la majeure partie d’entre eux, aux affaires depuis 40 ans et en dehors des périodes électorales, nous méprisent pour la plupart.

  9. Misère, misère, … Mais au fait, c’est quoi la pauvreté ? C’est quand une personne seule a un revenu de moins de 1000 euros par mois. La pauvreté c’est un peu comme la crise cardiaque, on peut la faire sur le seuil de l’hôpital de la Salpêtrière … ou au fin fond de l’Aveyron, à 40 km de l’hôpital le plus proche. C’est la même crise cardiaque, mais les chances de survie ne sont pas exactement les mêmes, l’un des deux patients – je vous laisse deviner lequel – a tout de même plus de chance de sauver sa peau. La misère à Paris, ce n’est pas la même chose que la misère dans un village de la Somme comptant 286 âmes au dernier recensement. La pauvreté c’est aussi le manque d’accès aux soins, à l’éducation, aux services publics, à la culture, aux commerces, aux transports, à la téléphonie, aux aides sociales, au logement social … et bien sûr à l’emploi. Parce que le bassin d’emploi des Pyrénées orientales n’a pas le même dynamisme que celui de la région parisienne. Parce qu’en région parisienne on bénéficie d’un réseau extrêmement dense de transports en commun qui permet de se rendre au travail sans voiture, dans le village le plus reculé du Gers, il vous faudra vous payer un véhicule, son assurance, son carburant et son entretien. Quand Charles Aznavour chantait que la misère lui semblerait moins pénible au soleil, il n’avait pas tout à fait tort.

  10. Dans la « ruralité », les gens ont quelques « roues de secours » comme une basse cour et un jardin …
    Cette « roue de secours » arrive depuis quelques temps dans les villes … Par ici, comme dans d’autres régions, les vols dans les zones maraîchères deviennent régulières comme dans les grandes surfaces …
    « Du pain et des jeux » c’est fini ! …

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