La gauche française déçue par le président brésilien Lula

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Nos journalistes de gauche sont décidément de grands sensibles. Pis : ils ont tendance à déplorer que la réalité politique vienne contredire leur vision irénique du monde. Ainsi, Luiz Inácio Lula da Silva, le nouveau président brésilien, les a-t-il manifestement laissés désemparés, à en croire la une de Libération de ce vendredi 23 juin : « Lula, la decepçao », soit « la déception ».

Il est vrai que cette gauche médiatique avait placé bien des espoirs dans le retour aux affaires de l’ex-maître de Brasilia. Elle en faisait même l’incarnation du « bien », tout comme elle considérait que son prédécesseur, Jair Bolsonaro, était celle du « mal ». Bref, c’était si simple… Lula étant donné pour être l’un des « leurs », il devait donc mécaniquement faire « sien » le bréviaire progressiste occidental.

Seulement voilà, il y a « gauche » et « gauche ». Entre le Brésil et la France, il y a un océan de distance. Il est certes marin, mais surtout idéologique. En effet, la gauche latino-américaine, dans sa forme péroniste, sandiniste, castriste ou bolivariste, est avant tout un nationalisme, fortement mâtiné de justice sociale – ce qui est loin d’être un luxe sur ce continent –, mais avant tout à visées souverainistes. Soit un discours que notre gauche, passée des luttes de libération d’antan au suivisme atlantiste, peine aujourd’hui à comprendre, à l’exception, peut-être, d’Alexandra Schwartzbrod, éditorialiste du quotidien jadis fondé par Serge July, qui note, dépitée mais réaliste : « Tout à leur soulagement de voir le fou furieux Jair Bolsonaro évincé de la tête du Brésil par ce vieux briscard de Lula, les Occidentaux avaient oublié que l’ex-métallo devenu par trois fois chef d’État n’était pas forcément aligné sur leur ligne très atlantiste. »

Et la même de noter, non sans raison : « Figure historique du Parti des travailleurs, Lula éprouve une méfiance viscérale à l’égard des États-Unis – comme bon nombre de Sud-Américains qui ont longtemps souffert du pouvoir de l’Oncle Sam – et n’entend pas se ranger à leurs côtés, le petit doigt sur la couture du pantalon. D’où son refus de prendre fait et cause pour l’Ukraine dans sa bataille contre l’envahisseur russe, ce qui peut apparaître choquant de ce côté-ci de l’Atlantique et donner l’impression qu’il se range du côté des pro-Poutine. »

Si les anciennes colonies européennes devenues indépendantes ont désormais l’outrecuidance de penser sans la permission de leurs anciens maîtres, où va le « monde libre » ? Il est vrai que lors de ses deux précédents mandats, Luiz Inácio Lula da Silva avait fait fort en se rapprochant, au nez et à la barbe de la Maison-Blanche, de la Chine, de l’Iran et de la Russie, tout en entretenant des rapports privilégiés avec les nations voisines, tout aussi rétives à la mainmise de Washington : le Nicaragua de Daniel Ortega, le Venezuela d’Hugo Chávez, l’Argentine de Cristina Fernández de Kirchner.

Voilà qui serait encore à peu près supportable pour nos belles âmes humanistes si leur ex-nouvelle idole ne venait régulièrement danser la samba sur leurs lignes rouges, à la grande consternation de Benjamin Delille, de Libération : « Il était attendu comme le messie, mais l’image s’est légèrement ternie. […] Car le président brésilien n’est pas l’allié précieux que l'on imaginait. » Certes, il condamne la Russie pour sa guerre contre l’Ukraine, mais refuse les sanctions contre Moscou. Pire : il assure que « les responsabilités sont partagées », allant jusqu’à accuser les USA « d’encourager la guerre » et à exiger de l’Union européenne à « commencer à parler de paix ».

Même son de cloche au sein de Courrier international, missel de ce gauchisme converti au néo-conservatisme états-unien, mais faisant parfois preuve de quelques éclairs de lucidité : « Avec la fragmentation de l’espace mondial en deux blocs, d’un côté l’Occident, de l’autre la Chine et la Russie – et une Amérique latine ambivalente –, le président brésilien voit l’occasion de contrecarrer l’hégémonie nord-américaine en jouant la carte de la différence. Pour Lula, cela ne fait aucun doute : l’Amérique latine, menée par le Brésil, doit devenir un espace à part entière qui traiterait d’égal à d’égal avec des puissances mondiales comme la Chine et la Russie. »

Voilà qui ferait une assez bonne feuille de route pour la France et l’Europe. Nous en sommes loin. Très loin.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 28/08/2023 à 11:22.
Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

15 commentaires

  1. Hier, un article remarquable sur la Chine suivi, aujourd’hui, d’un autre, tout aussi remarquable et « bien senti », sur le Brésil… un grand MERCI à Mr Nicolas Gauthier !

  2. TRES BIEN. On ne peut qu’apprécier l’hypothèse d’un retour brutal à la simple réalité : seule l’U.E accepte les yeux fermés d’ être vassalisée par l’Oncle SAM…

  3. D’autant que le Brésil se range également auprès de la Russie, le la Chine, le l’Inde, de l’Afrique du Sud etc., et ne craint pas de s’éloigner du Dollar en rejoignant les BRICS.
    Superbe pied de nez à l’oncle Joe B., et à l’EU germanique.

  4. Les Français , comme toujours, ignorent l’histoire récente et ne mesurent pas à quel point l’Amérique du Sud se défie de la doctrine Monroe et des Etats-Unis. Ils ignorent le rôle modérateur du Brésil, aussi important que l’Inde naguère, pour les pays non alignés. Ils sont conscients de l’importance de la Chine et de l’Afrique, dans le jeu mondial, mais sont encore incapables d’imaginer l’importance du réveil du Continent Sud Américain. Seul Mélenchon en est conscient, mais il a un peu tendance à juger selon des critères Européens droite-gauche et à minorer l’importance du critère pro-anti Etats-Unis.

  5. La gauche française, depuis 40ans à la solde des financiers américains a du mal à comprendre que l’avenir du monde se situe dans le BRICS, ce qu Lula comme Bolsonaro a très bien compris. Jusqu’à quand notre gauche nationale va-t-elle jouer les « collabos yankees » ?

  6. La gauche française seulement déçue par le président Lula ? Et tous les autres criminels sanguinaires de gauche, la gauche française, et à fortiori l’extrême gauche, les condamnera t’elle un jour ?

  7. Et bien je trouve que ce vieux briscard a totalement raison ! Bravo. Ras le bol de l’hégémonie absolue des Etats-Unis qui a trop duré. De toute façon ils ne jouent que pour leurs intérêts ce qu’on ne peut leur reprocher bien sûr. Un peu d’équilibre ne fera ne mal à personne. Quand à la paix parlons-en oui, là encore il a raison mais avec Ursula la corrompue, reine de l’Europe suivie par quelques toutous, cela ne semble pas pour demain?

  8. Il y a chez Lula un côté gaulliste qui permettra à l’Amérique du Sud d’échapper à la chape otanesque que veut imposer Biden et qui s’est déjà imposée à l’Europe, hélas.

  9. En portugais: « Le » = « O », « La » = »A ». donc, « A decepção ». Pas très lusophones, les libertariens…Sinon, un signe nous fait savoir que Lula n´est pas vraiment un homme de gauche: la délinquance, fléau national que Bolsonaro avait plutõt bien maîtrisée, n´est pas repartie en flèche.

  10. Ce n’est bien évidemment pas la Gauche française qui est déçue par Lula: c’est la petite bourgeoisie française, ultra atlantiste pro CIA pro Otan, adorant Macron le narcissique, qui se caractérise aussi par sa vanité sans limites, qui lui fait croire qu’elle est la référence absolue, qui lui permet sans douter jamais de décerner les Oscars de bonne gouvernance mondiale.

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