La géopolitique selon Tintin : antisoviétique et anticapitaliste !

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Hergé n’ayant pas souhaité que ses créatures de papier lui survivent, nous voilà donc condamnés à faire tintin pour lire de nouvelles aventures du célèbre reporter à la houppette et de son fidèle Milou. Du coup, les Éditions Moulinsart n’en finissent plus d’exploiter leur fonds de commerce ; ce qui peut néanmoins réserver de bonnes surprises. Ainsi, une collection baptisée Les coulisses d’une œuvre se propose-t-elle d’explorer les petits secrets de chacun des vingt-deux albums disponibles.

Le premier ? Tintin au pays des Soviets. Soit l’occasion de faire le point sur la géopolitique de Tintin. Sans surprise, cette équipée en URSS, publiée en 1929, peut faire tenir Hergé pour un homme de droite. Il est vrai que lors de ce galop d’essai, notre homme y va franco en matière d’anticommunisme. Ce qui est d’autant plus culotté que le Kremlin a alors le vent en poupe et que rares sont les voix à dénoncer ce nouveau totalitarisme.

Au rang de ces dernières ? Joseph Douillet, diplomate belge, en poste à Rostov-sur-le-Don, de 1891 à 1925, connu pour son ouvrage Moscou sans voiles (neuf ans de travail au pays des Soviets), publié en 1928, un an avant cette première aventure de Tintin. Nul doute qu’Hergé a lu le récit de ce diplomate, par ailleurs emprisonné neuf mois durant, avant d’être expulsé en 1926. Tout y est : les villages Potemkine, les famines organisées, la main de fer qui règne sur des populations terrorisées. Si la sortie de l’album ne suscite pas de scandale à l’époque, même dans les milieux communistes – après tout, pourquoi donner de l’importance à des récits pour enfants –, il en sera tout autrement après guerre, quand Hergé sera réduit par certains à son anticommunisme virulent.

Pourtant, les mêmes auraient dû se douter que tout n’était pas si simple. Car dans Tintin en Amérique (1932), c’est à la société capitaliste qu’Hergé s’en prend. Soit une nouvelle Terre promise, mais qui l’est surtout au crime organisé, à la production de masse sur des chaînes automatisées transformant directement les vaches en saucisses en boîte. Le tout sous la coupe de prédateurs pétroliers persécutant les Indiens afin de mieux leur voler richesses et territoires.

Hergé serait-il, là, de gauche ? Pas du tout, l’homme ayant été formé aux valeurs du scoutisme belge que lui enseigna l’abbé Norbert Wallez, patron du quotidien Le Vingtième Siècle, et qui fut le premier à faire travailler ce dessinateur en herbe dans Le Petit Vingtième, son supplément destiné à la jeunesse. En effet, pour ce prêtre de choc, si le communisme était une infamie, le libéralisme capitaliste ne valait guère mieux, ces deux doctrines étant tenues pour matérialistes ; ce qui était d’ailleurs la ligne du Vatican.

Dans Le Lotus bleu (1936), le propos s’affine. Nous sommes à Shangaï. La Chine est en partie occupée par les Japonais et en proie aux menées anglo-saxonnes. Notre héros y prend donc la défense de l’autochtone contre le mépris des riches colons blancs ouvertement racistes. Tintin aura d’ailleurs la même réaction à l'occasion du Temple du soleil (1949), lorsque rossant deux autres Blancs s’en prenant au petit Indien Zorrino.

Hergé aurait-il été anticolonialiste avant l’heure ? C’est à croire, malgré Tintin au Congo et son paternalisme bienveillant mais exempt de tout racisme. En fait, pas vraiment : il est simplement épris de justice, prenant généralement fait et cause pour l’occupé plutôt que pour l’occupant.

À l’occasion du Sceptre d’Ottokar, publié en feuilleton de 1938 à 1939 avant d’être édité en album en 1947. Hergé nous en dit plus sur ses positions géopolitiques. Là, nous sommes dans les Balkans. La Syldavie, monarchie dirigée par le roi Muskar XII, est menacée par la Bordurie, nation totalitaire placée sous le joug d’un certain « Musstler ». Soit Mussolini + Hitler… inutile de vous faire un dessin. La Bordurie et son régime communisant seront également à l’honneur dans L’Affaire Tournesol (1956), alors que la guerre froide bat son plein.

Quant à d’autres régimes autoritaires, ceux de l’Amérique latine, sa religion paraît faite : tout paraît changer, d’une dictature de « droite » à une dictature de « gauche », mais rien ne bouge pour le peuple, tel que constaté dans Tintin et les Picaros (1976).

Tel était Hergé. Un humaniste au sens noble du terme, refusant de se laisser embrigader par tel ou tel camp. Un esprit libre, en quelque sorte.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

7 commentaires

  1. Rien de nouveau sous le soleil. Cependant, Hergé se moque aussi du Ku-Klux-Klan comme dans Les cigares du pharaon où il y traite en même temps le fléau de la drogue. Sujet qui reviendra dans Le crabe aux puces d’or et dans Coke en stock. Hergé a compris avant tout le monde que la drogue représentait un tel business que quelques barons pouvaient corrompre des pays entiers. Ce qui raisonne un peu avec ce que dit Bruno Retailleau aujourd’hui. En revanche il est plutôt gentillet avec les pétromonarchies du golfe puisqu’il prend le parti pris des émirs dans Tintin au pays de l’or noir.

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