La guerre fait rage : mangeurs de viande contre consommateurs de végétaux

viande et légumes

Il faut bien supposer que les conflits entre agriculteurs et pasteurs ont dû débuter le jour où l’homme a quitté le statut de chasseur-cueilleur pour sécuriser ses sources d’alimentation, certes au prix du travail auquel il s’astreint. Le conflit entre Abel et Caïn ne raconte pas autre chose : Dieu qui préfère l’offrande de viande d’Abel et dédaigne les fruits de la terre offerts par Caïn. Dépité, il tue son frère (Genèse, chapitre 4).

Le 2 janvier, un collectif de 500 personnes, dont Juliette Binoche, Cédric Villani et Matthieu Ricard, publiait une tribune-injonction dans Le Monde : il conviendrait de ne plus manger ni viande ni poisson, a minima le lundi, pour faire du bien à la planète, vivre en meilleure santé et mieux respecter les animaux. Et de citer des statistiques qui décoiffent : il faudrait entre 4 et 11 calories de végétaux pour produire une calorie animale ; le rendement en protéines par hectare serait de 2 à 20 fois plus élevé si l’on produisait des végétaux consommables plutôt que des animaux. Caïn ouvre le score et mène 1-0.

Bien sûr, des raisons objectives existent de penser que l’élevage, et surtout l’élevage intensif, n’est pas la solution optimale sur bien des critères. Écologique, d’abord : il n’est pas idiot de lier déforestation et élevage intensif ; le lisier de porc en Bretagne, c’est un vrai problème, etc. Moral, ensuite : voir une poule élevée en batterie ou les maltraitances de certains abattoirs, ça choque, les animaux sont sensibles. Pour l’aspect nutritionnel, la consommation de viande serait cancérogène.

Mais c’est parfois plus compliqué qu’un simple choix binaire. Il y a des terres qui, objectivement, ne peuvent servir qu’à l’élevage : vous iriez planter des céréales sur les flancs d’une montagne bien pentue ? Les troupeaux, eux, s’y nourrissent. Et puis, une agriculture chimique qui tue les vers de terre et les oiseaux et l’humus lui-même, est-ce une alternative acceptable ?

Riposte d’un autre collectif, moins nombreux et tout aussi hétéroclite (Mathilde Seigner, Périco Légasse, Vincent Moscato, ...) dans L’Opinion, qui tente de remettre les idées en place. Ils dénoncent ces anathèmes et promeuvent un élevage de qualité et de proximité. Et ils démontent les arguments du camp d’en face. Il n’y aurait pas d’effet cancérogène en deçà d’un seuil de consommation de viande (et 80 % de la population française respecterait ce seuil). Les élevages gigantesques et maltraitants seraient, ici, moins nombreux qu’annoncé.

Les pâturages seraient un facteur de stabilité climatique, nonobstant les gaz à effet de serre émis par l’élevage. La méthanisation locale serait un gisement de production d’énergie. Leur thèse n’est pas dans la réduction quantitative mais dans une amélioration qualitative : plus de bio, plus de local, plus de label de qualité. Et c’est vrai, quand je vois un troupeau de bêtes limousines dans les champs, je comprends pourquoi ces steaks sur pattes sont si goûteux une fois dans l’assiette. Abel égalise à 1 partout.

Le match est nul. Ils ont, comme à l’école des fans, gagné tous les deux. D’abord, parce que c’est impossible de trancher. Certes, vous pouvez torturer sadiquement les modèles mathématiques pour y combiner sur un seul axe synthétique des données hétérogènes, pour établir un indicateur qui dirait en même temps le réchauffement climatique, la diminution de la biodiversité et celle de l’espérance de vie. Pour le calculer, vous auriez recours à de l’arbitraire. Ensuite, quand l’abondance mène au gâchis, elle est inacceptable. Enfin, la « sobriété heureuse » est d’autant plus supportable si les produits sont bons et font du bien, tant au consommateur qu’à la planète. Caïn et Abel réconciliés ?

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