La Joconde, chef-d’œuvre le plus décevant du monde… mais pourquoi ?

joconde vignette

Le jugement est sans appel, selon une analyse du site CouponBirds: avec 37,1 % de mentions négatives dans les commentaires laissés par les internautes, La Joconde est le « chef-d'œuvre le plus décevant du monde ». Deuxième sur le podium, encore un tableau du Louvre : La Liberté guidant le peuple (34,5 % d’avis négatifs). On trouve Impression, soleil levant en 5e position (Musée Marmottan-Monet), Guernica en 7e (The Reine Sofia, Madrid), La Branche d’amandier fleuri en 9e (Van Gogh Museum, Amsterdam) et La Naissance de Vénus en 10e (Offices, Florence).

Comment expliquer cette « déception » vis-à-vis de chefs-d'œuvre de l’histoire de l’art, et de La Joconde en particulier ? Plus que l’œuvre elle-même, les conditions de visites sont en cause, selon CouponBirds : la foule autour du tableau, le prix du billet. Évidemment, payer 22 euros pour entrapercevoir La Joconde en subissant coups de coude et d’épaule, être bousculé en prenant un selfie devant le tableau, c’est frustrant. Mais un tableau n’est pas peint pour être matière à selfie.

 

Léonard de Vinci, Portrait de Monna Lisa, dite La Joconde. Musée du Louvre. © Wikipedia

La Joconde, fétiche touristique

Qui dira le mal qu’a fait à La Joconde le vol de 1911 ? C’est le début de sa médiatisation - aujourd’hui starification. Une partie des touristes viennent la voir sourire… et ne viennent que pour cela. « Entrée au musée du Louvre et accompagnement vers la Joconde (accès réservé) », propose un site pour 65 euros par personne. « Profitez-en pour prendre le parfait selfie avec la célèbre Joconde ! », dit un autre qui vend la même prestation.

Que voulez-vous que La Joconde vous donne, dans ces conditions consuméristes ? Un tableau demande à être regardé longuement pour être approché, compris. Contemplation, analyse : les deux hémisphères du cerveau dialoguent. Ce regard d’appréciation d’une œuvre s’apprend. Les musées ne l’enseignent pas, plus pressés d’accueillir des quantités de touristes qui vont se précipiter sur le tableau emblématique du musée, puis être recrachés sur le pavé parisien, à peine moins dégrossis. Notre époque ne l’enseigne pas non plus. Notre boulimie d’images animées et « scrollées » irait plutôt à l’encontre. Hypnotisés par l’écran, nos yeux passifs ne sont pas sensibilisés à la peinture. Il faut à nos rétines blasées des lumières vives et du mouvement continu, rapide - ce que n’est pas la peinture, « cosa mentale », selon les mots de Léonard.

Oui, le réel est décevant !

L’écran… Je vais faire mon Attal et l’incriminer. Les gens ont d’abord connaissance des œuvres sur un écran de tablette, de téléphone ou d’ordinateur, c’est-à-dire dans des conditions d’éclairage qui n’ont rien à voir avec la luminosité et la coloration réelle de l’œuvre. Elle se présente alors plus séduisante que dans la réalité. Le plus beau tableau, paré des couleurs les plus éclatantes, aura l’air terne aux yeux de qui l’aura d’abord aimé sur TikTok ou dans une série Netflix. C’est un fait : le réel manque souvent de clinquant.

Alors, Joconde ou pas Joconde ? Le touriste avisé fuira les œuvres touristiques autour desquelles la foule se presse et privilégiera les salles désertes ou presque. Le Louvre expose 35.000 œuvres. Si vous évitez La Joconde, la Vénus de Milo et La Liberté de Delacroix, il vous reste à voir 34.997 œuvres devant lesquelles vous avez moyen d’être seul. Ce peut être la Piéta d’Avignon, le tombeau du grand sénéchal de Bourgogne, Le Repas des paysans de Le Nain, La Tabagie de Chardin… Bref, 22 euros, c’est cher pour ne voir que La Joconde, et la voir mal, mais une journée de tourisme intelligent les rentabilisera en contemplation de tableaux. Pour peu qu’on leur prête l’attention requise, ils ne s’avéreront pas décevants.

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

18 commentaires

  1. Ceux qui aiment réellement la peinture en sont dépossédés par la vulgarisation de l’art. Combien parmi la foule devant tel ou tel tableau savent apprécier l’oeuvre exposée ? Je déplore les effets de mode et le tourisme de masse. D’ailleurs, ce tourisme là est en passe de susciter bien des mécontentements !

  2. Petit secret, la galerie des Sculptures et des Moulages, située à Versailles dans la Petite Ecurie, ouvre ses portes gratuitement tous les week-ends de 12h30 à 18h30 du 1er avril au 31 octobre.

  3. Eh oui, la Joconde, il faut une certaine culture et un peu d’efforts pour en apercevoir l’absolue vérité humaine. Elle dépasse totalement l’art du portrait individuel. Ce n’est pas un portrait féminin. La Joconde symbolise de manière absolument et synthétiquement essentielle l’Humanité dans le Monde. Mais j’avoue que j’ai mis une cinquantaine d’années à le comprendre.

  4. Si vous aimez Léonard de Vinci, allez plutôt voir le clos Lucé et ses environs. Vous y découvrirez peut-être l’âme de François premier et celle du peintre et ingénieur qu’était Léonard, vous y ressentirez peut-être l’esprit de la renaissance, peut-être ou peut-être pas si vous n’y venez que pour vous prendre en photo pour dire à vos potes, j’ai « fait » Amboise.

  5. La situation est connue et ne concerne pas simplement les musées. Il en va de même pour les monuments et celui du petit Manneken Pis à Bruxelles est représentatif de la thèse exposée ici dans le texte. Les gens vont voir un objet qu’ils ont idéalisé, imaginé à leur façon, ou la façon qui les a orientés. Ainsi, le « Pis » est minuscule et bien des gens sont frustrés en le voyant. Heureusement, il y a la Grand’Place et…les musées d’Art Ancien, Cinquantenaire etc.Trois étoiles au Michelin tout de même.

  6. Le visiteur est un consommateur et doit être traité comme tel . On le dirige vers la Joconde comme Macdonald oriente ses clients vers le burger dont il a créé la mode . Outre que ce tableau ne m’a pas ému, il m’a gêné par l’insistance du regard et l’étrangeté puérile du sourire pincé . Tant de peintures remarquables sont ignorées du public faute d’avoir été rendues commerciales !

    • Dans les années 91 94 à Berlin j’ai visité tous les musées gratuitement , Bode museum, musée égyptien, Dalhem museum et tant d’autres et j’ai pu admirer de magnifiques peintures sans être bousculé. Une autre époque où l’accès à la culture était gratuit pour tous. Une urne permettait de mettre une pièce ou un billet si on le souhaitait.

  7. « Si vous évitez La Joconde, la Vénus de Milo et La Liberté de Delacroix, il vous reste à voir 34.997 œuvres devant lesquelles vous avez moyen d’être seul  »
    Je suis rassuré , c’est ma manière de visiter le Louvre , plusieurs fois déjà et il m’en reste tellement à voir :-)

  8. Ah les modes.
    Avant le vol de La Joconde au début du XXème siècle, l’œuvre phare du Louvre était une sculpture toujours visible : Vieux Pêcheur ou Sénèque mourant.
    Une très belle œuvre du IIème siècle, elle même copie d’une sculpture grecque.

  9. Oui, en peinture il faut voir les originaux quand c’est possible … et dans de bonnes conditions. Malheureusement le prix des expositions est devenu assez élevé et les conditions de circulation devant les œuvres assez déplorables. Ensuite, un tableau ce n’est pas le fond d’écran de votre portable, il faut rester devant, regarder et regarder encore, replacer l’œuvre dans sont contexte historique et en connaitre un minimum sur l’auteur, ensuite la magie opère … ou pas ! Un tableau c’est comme un être humain, il y en a avec qui on accroche et il y en a qui vous font fuir.

  10. Il faut être le parfait crétin pour faire des milliers de kilomètre pour ne venir voir que la Joconde dans le plus beau musée du monde qui regorge de tant d’oeuvre d’arts , dont certaines attendent leur tour dans les réserves (le Louvre est vraiment trop petits pour toutes les montrer).
    Heureusement que parmi les touristes il y a des connaisseurs qui ne ce laisse pas prendre a cette « escroquerie » intellectuel même si ce tableau est magnifique.

  11. La Joconde est sans conteste un pur chef-d’œuvre par son expression et par l’atmosphère qui se dégage de ce tableau. Il faut de très longues minutes et beaucoup de calme et de recueillement pour s’en imprégner. Ce qui est impossible au milieu de cette foule bruissante et selfisante. Nous avons des moyens modernes de reproduction extraordinaires. Pourquoi ne pas exposer des reproductions dans différentes salles afin d’éparpiller les admirateurs, et leur permettre par la même occasion d’admirer les chefs-d’œuvre s’y trouvant ?

  12. Je préfère cent fois certains petits musées de province où l’on peut admirer des chefs d’oeuvre totalement inconnus, la joconde derrière sa vitre blindée: ringard !

  13. Son regard peut inquiéter, vous allez à gauche, ses yeux vous suivent, vous allez à droite, son regard est toujours fixé sur vous ! Et son sourire légèrement crispé et ironique me met mal à l’aise… Saurait-elle quelque chose sur moi ?

    • On reconnait un bon portrait au regard qui vous suit de quelque côté qu’on le regarde ! Il y en a des milliers d’autres très réussis . Et qui attire moins de touristes.

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