La mémoire de Diana Rigg prise en otage par les féministes !

DIANA RIGG

À 82 printemps, Diana Rigg nous a quittés, un funeste jeudi de septembre. Pour des millions de Terriens aux yeux embués, c’est évidemment Emma Peel qui vient de ranger ses bottes de cuir, alors que Patrick Macnee, alias John Steed, avait fait de même de son chapeau melon, il y a sept ans.

Il arrive qu’un acteur soit à jamais prisonnier d’un rôle. Ce fut le cas de Diana Rigg et de son avatar, Emma Peel, qui refusait d’ailleurs de répondre aux questions de journalistes relatives au feuilleton Chapeau melon et bottes de cuir.

À l’époque où les films d’action demeuraient monopole masculin, les jeunes filles en détresse se contentaient de s’époumoner en attendant d’être sauvées par le prince charmant. Là, ce fut tout le contraire. Mrs. Peel est une femme libérée, habite seule et traite de haut Mr. Steed, son alter ego. Mieux : elle est cultivée, maligne, intrépide, experte en arts martiaux, pilote des bolides à tombeau ouvert et n’aime rien tant que de boire du champagne à toute heure de la journée.

Bref, elle est un peu la figure de proue du swinging London des années soixante, s’habille façon Carnaby Street, boots et jupes courtes, quand ce n’est pas dans ses fameuses combinaisons de cuir audacieusement zippées sur le derrière comme sur le devant.

Mais Diana Rigg était tout aussi forte dans la vraie vie qu’à la scène : découvrant, en cours de tournage, qu’elle était moins bien payée que le caméraman, elle exigea et obtint que son salaire soit triplé tout en annonçant crânement qu’elle refuse de participer à une troisième saison. Telle était, pour elle, la définition du féminisme : « Défendre l’égalité des salaires, parce qu’être au même niveau économique qu’un homme est l’unique moyen de gagner son respect. » On peut également nommer cela de la justice sociale.

Du coup, l’actuel emballement médiatique suscité par son décès confine à la malhonnêteté, cette grande dame ayant déclaré, en pleine furie féministe naissante : « Je trouve le discours féministe très ennuyeux ! » Elle aurait même récidivé, en 2013 : « Si les femmes s’opposent à la galanterie et au savoir-vivre traditionnel, tel le fait pour les hommes de tenir la porte devant les femmes, alors elles sont stupides ! »

On ajoutera que cette croqueuse d’hommes, élevée par la reine, en 1994, à la distinction de « Dame Commander », n’avait pas exactement besoin de féministes énervées pour se faire respecter. La preuve en est qu’elle ne se gêna pas pour remettre à sa place James Bond en personne, dans Au service secret de Sa Majesté (Peter Hunt, 1969), où l’agent 007 était interprété par un rustaud australien, George Lazenby, connu pour sa grossièreté sur les tournages. On notera qu’elle fut la seule femme à laquelle James Bond passa la bague au doigt ; l’exploit n’est pas mince.

Diana Rigg avait connu un regain de popularité avec la série Game of Thrones, où elle incarne Lady Olenna Tyrell, une vieille garce de haute volée : « J’aime jouer les méchantes. C’est tellement plus intéressant que les gentils personnages. Il y a des acteurs qui n’aiment pas être méchants ; ils veulent être aimés. J’aime être détestée. »

Mais c’est surtout au théâtre qu’elle donnera toute l’ampleur de son talent, avec 63 pièces, la plupart issues du répertoire shakespearien, jouées de 1957 à 2018. Pour ce qui est du cinéma, on se souviendra surtout de Théâtre de sang (Douglas Hickox, 1973), comédie horrifique où elle incarne l’assistante de Vincent Price, vieux cabot assassinant les critiques londoniens n’ayant pas reconnu son art, en s’inspirant à chaque fois d’une pièce de Shakespeare. Puis Meurtre au soleil (Guy Hamilton, 1982), adapté d’un roman d’Agatha Christie, dans lequel elle joue une actrice sur le retour doublée d’une invraisemblable chipie : ses algarades avec la grande Maggie Smith seraient à montrer en boucle à nos actuelles activistes éprises de douceur féminine…

En 2018, elle déclarait au Guardian : « Plus je vieillis, plus je trouve la vie drôle. » C’est une façon de voir, mais sans Diana Rigg, elle l’est déjà beaucoup moins.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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