La nouvelle formule du Club des cinq ne fait pas recette

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Tout cela partait d'une bonne intention, j'imagine. Afin de faire partager les aventures du Club des cinq au plus grand nombre, les éditeurs anglais, puis français, avaient décidé, voici quelques années, de simplifier le style des romans écrits par Enid Blyton. Pas de passé simple, apparemment mal nommé ; pas de « nous », remplacé par « on » ; des descriptions amputées de leurs métaphores... Les aventures des « Famous Five » se présentaient désormais sous les apparences fades, molles et hygiéniques d'un gros quatre-quarts au tofu.

Mais voici que l'on apprend, grâce au Figaro, que cette entreprise de réécriture, dont Ray Bradbury lui-même n'aurait pas osé rêver, ne fait pas recette. Les livres ainsi mutilés n'ont pas trouvé leur public. Ils ont même été retirés des catalogues.

Les progressistes pourront s'offusquer de cet insuccès : quel est ce méchant peuple qui, malgré des décennies de laideur et de bêtise, s'obstine à préférer Notre-Dame à Beaubourg, La Joconde à Jeff Koons, « Secrets d'Histoire » aux films d'auteur et les descriptions travaillées aux platitudes pour illettrés ? Il est permis d'y voir un message d'espoir.

Il ne serait pas inintéressant d'essayer de vendre aux adultes des chefs-d'œuvre simplifiés, pour voir si ça marcherait mieux. Il en était déjà question, voici quelques jours, avec Molière. On en imagine déjà les bonnes feuilles : « C'était à Mégara, pas loin de Carthage, chez Hamilcar », pour simplifier Flaubert ; « Franchement, chérie, j'en ai rien à f... », pour rendre accessible le Rhett Butler de Margaret Mitchell ; ou même, « Je m'ai couché tôt pendant longtemps », pour démocratiser Proust.

« La langue est fasciste », disait bêtement Roland Barthes. Il ne comprenait pas qu'au contraire, les fascistes étaient précisément ceux dont la main froide se refermait sur tous les aspects de la vie quotidienne, ceux qui avaient soif de norme, d'uniformité, de nivellement, et que la langue française, profuse, irrégulière, originale, irriguée par d'autres langues, était, dans sa complexité, avec ses règles et ses exceptions, son maquis de lois d'Ancien Régime, réactionnaire peut-être, mais en aucun cas fasciste.

Adieu, donc, Club des cinq woke, avancées sociétales et toutes ces sortes de choses. Et si, au lieu de casser ce qui existe, nos ennemis se mettaient à construire leurs propres œuvres ? Des œuvres d'art au premier degré, dont la seule vocation serait la célébration de la beauté ; des livres dans lesquels il y aurait simplement des histoires et pas des « messages » venus d'un diabolique catéchisme ; des bâtiments qui ne chercheraient pas à faire le buzz mais à s'inscrire dans une Histoire et dans des paysages... On peut rêver !

Car, pour finir, et sans vouloir faire de théologie de pacotille, être incapable d'inventer et se borner à avilir ou à dynamiter, singer ce qui est bon, ou beau, ou grand, ou simple, et en faire du médiocre, du laid, du sale, n'est-ce pas, de Néron à Daech en passant par Robespierre et Staline, la marque du même patron ? Et autant vous dire que ce n'est pas du Bon Dieu qu'on parle.

Eh oui, cela partait d'une bonne intention. De celles qui forment le macadam des autoroutes de l'enfer.

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

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