La Pologne est-elle devenue une démocratie illibérale ?

© Platforma Obywatelska RP
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Donald Tusk aurait-il péché par excès de confiance… et d’idéologie ? Revenu au pouvoir à la faveur des élections de l’automne dernier, le libéral patron de la Plate-forme civique, l’ancien président du Conseil européen (2014-2019) qui a éjecté le PiS du pouvoir et l’a renvoyé à l’opposition, tente de neutraliser cette dernière à coups d’arrestations et d’opérations policières.

Qu’importe, puisqu’il agit au nom « de l’État de droit », cette chimère politico-juridique dont la plasticité lui permet de s’adapter à toutes les situations, pourvu qu’elles respectent « les valeurs fondamentales de l’UE », c’est-à-dire (en clair) la politique menée par la Commission.

Que se passe-t-il, depuis le 20 décembre dernier ?

Ce jour-là, la Diète polonaise prend une résolution qui permet au ministre de la Culture du gouvernement Tusk, Bartłomiej Sienkiewicz (ancien ministre de l’Intérieur du gouvernement Tusk de 2013, avant l’ère PiS et, selon la revue The European Conservative, ancien lieutenant-colonel des Services secrets), de limoger les dirigeants de la radio et de la télévision publique polonaise.

Dès le lendemain, la police est envoyée sur les lieux pendant que des parlementaires du PiS se sont relayés sur place pour empêcher une action qu’ils considèrent comme illégale. Le média public cesse alors d’émettre, une nouvelle direction est nommée qui entend jeter aux orties le travail de « re-polonisation » du gouvernement précédent. Pour ce faire, le nouveau Premier ministre Donald Tusk a contourné tranquillement le Conseil national des médias, créé par le PiS en 2016, ainsi que la procédure parlementaire ordinaire prévue en la matière. « La Constitution a été violée de manière flagrante par le ministre Sienkiewicz », réagit le président de la République Duda, proche du PiS et réélu en 2020 pour cinq ans. Ce coup de force a suscité l’ire de ses opposants, bien sûr, mais aussi l’incompréhension d’électeurs centristes, comme le rapporte Le Figaro.

Deux députés arrêtés

Et ce n’est pas tout : deux députés du PiS, Mariusz Kamiński, ancien ministre de l’Intérieur, et Maciej Wąsik, ancien secrétaire d’État, sont arrêtés au palais présidentiel, le 9 janvier dernier, en exécution de la décision de justice d’un juge… dont la mère travaille au ministère de l’Intérieur : ils avaient été condamnés en 2015 pour abus de pouvoir, écoutes illégales et usage de faux lorsqu’ils dirigeaient le bureau anti-corruption… qui enquêtait sur l’entourage de Donald Tusk.

Ils avaient, ensuite, été graciés par le président Duda, grâce dont, toujours au nom de l’État de droit, le même juge a affirmé qu’il fallait passer outre. Les deux députés ont entamé une grève de la faim et leur internement a été l’objet, tout récemment, d’une rencontre entre les frères ennemis Tusk et Duda.

Bien sûr, tous ces événements et la brusquerie d’un spoil system qui ne respectent aucune loi ni procédure légale ont provoqué de nombreuses manifestations dans le pays.

Dernier rebondissement en date : le 18 janvier dernier, le Tribunal constitutionnel du pays a jugé « que les dispositions du Code de commerce polonais utilisées par M. Sienkiewicz pour remplacer la direction des médias publics et liquider les médias n’étaient pas conformes à l’article 2 de la Constitution polonaise », rapporte Euractiv.

En effet, le président Duda avait refusé de voter les 68 millions d’euros du budget de la télévision publique, entraînant la mise en liquidation judiciaire du média public, TVP et Polskie Radio. Or, « l’utilisation du droit commercial pour révoquer les conseils d’administration de ces entreprises des médias publics n’a pas d’effet juridique », a statué le Tribunal constitutionnel.

Que l’on se rassure, l’État de droit est respecté, selon les instances européennes toujours si promptes à pénaliser, y compris financièrement, le précédent gouvernement sur le sujet. En effet, si la décision du Tribunal constitutionnel ne va pas dans le sens du nouveau gouvernement… c’est ce même tribunal qui pose un problème, car il est encore dominé par le PiS. Ainsi, le ministre de la Culture M. Sienkiewicz peut-il ignorer superbement ces décisions « dans les transactions juridiques, puisqu’elles n’existent pas » ? En effet, « les arrêts et résolutions […] de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour suprême, relatifs à la structure actuelle du Tribunal constitutionnel […] confirment qu’il ne s’agit pas d’une cour constitutionnelle indépendante et impartiale », a-t-il déclaré.

Pour Tusk, une « affaire personnelle »

Pourquoi un tel acharnement, une telle brusquerie et une telle rapidité, pourquoi un tel mépris des procédures légales qui auraient, de toute façon, permis au gouvernement Tusk, à terme, de récupérer la main sur les médias publics ?

Dans un entretien accordé à la revue The European Conservative, Filip Styczyński, ancien directeur de TVP World (la chaîne de langue anglaise de la télévision publique polonaise), explique toutes les dimensions de cette affaire : « Pour Tusk, la destruction de toutes les institutions conservatrices ou pro-PiS n’est pas seulement une question politique, c'est une affaire personnelle, une revanche pour les défaites qu'il a subies dans le passé. D’un autre côté, la Plate-forme civique a adhéré à sa propre propagande, à sa propre réalité parallèle, et estime que c’est ce qu’elle doit faire pour "sauver la démocratie". C'est pourquoi l'attitude du gouvernement, avec le recours à la force policière, est si exagérée, et nous ne pouvons que nous attendre à ce que cela aille plus loin. »

Qui, à Bruxelles, pour s’indigner de l’émergence d’une démocratie authentiquement illibérale au cœur de l’Europe ?

Marie d'Armagnac
Marie d'Armagnac
Journaliste à BV, spécialiste de l'international, écrivain

Vos commentaires

28 commentaires

  1. Que fait la CEDH? Dire qu’alors la Pologne était jugée anti-démocratique. Peut on croire à l’indépendance de cette UE qui pratique le deux poids deux mesures. A défaut d’en sortir, il faut la réformer, mais ce n’est pas avec les députés Européen actuels qu’on doit s’attendre à du changement.

  2. Les procédés de cet individu nous laissent entrevoir les désirs de la commission européenne qui veut appliquer ses décisions par la force au détriment du peuple.

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