La voiture-bélier de Magdebourg enflamme l’Allemagne

Trois jours après l’attentat à la voiture-bélier qui a fait cinq morts et plus de 200 blessés au cœur du marché de Noël de Magdebourg (en Saxe-Anhalt, au nord de l’Allemagne), les polémiques font rage. Les Allemands ont encore en mémoire l’attaque au camion-bélier, revendiquée par l’État islamique, qui avait fait treize morts et plus de cinquante blessés, lors d’un marché de Noël à Berlin, le 19 décembre 2016. BV témoignait récemment, déjà, du climat d’inquiétude avec la possible résurgence d’actes violents, au lendemain d’une manifestation d’islamistes peu pacifiques au marché de Noël d’Essen, le 10 décembre. Mais surtout, le massacre de Magdebourg intervient au beau milieu d’une campagne électorale houleuse, qui fait suite à l’explosion de la coalition de la gauche, des écologistes et des libéraux. Des législatives anticipées auront lieu le 23 février. Or, la forte progression de l’AfD (droite nationale) aux dernières européennes (15,90 % des voix) inquiète les autres formations.

Défaillance de la sécurité ?

Par ailleurs, à peine deux jours après l’attentat, les critiques ont fusé, en Allemagne, contre les services de sécurité, contraignant le ministre de l'Intérieur, Nancy Faeser, à se fendre d’un communiqué pour assurer que toute la lumière sera faite, notamment sur d’éventuels manquements et erreurs dans la prévention de l'attaque. À peine l’encre du communiqué avait-elle séché que l'AFP rapportait que, selon une source anonyme, l'Arabie saoudite aurait averti Berlin à plusieurs reprises que le suspect, Taleb Jawad al-Abdulmohsen, « pourrait être dangereux », et avait déjà demandé à Berlin son extradition. Pourtant à l’époque, l’avertissement n’avait guère été pris au sérieux, la police allemande ayant alors jugé qu’il ne présentait pas de « danger particulier ».

La pression s’accentue donc sur le gouvernement, alors que le ministre de l'Intérieur et d'autres hauts fonctionnaires doivent être auditionnés, le 30 décembre, par la commission parlementaire de contrôle et la commission des affaires intérieures du Bundestag. Il faut ajouter que les premiers éléments de l’enquête ne permettent pas encore de se faire une idée précise et certaine sur le tueur présumé de Magdebourg, son profil et ses motivations. En fait, on en sait déjà beaucoup, mais les éléments connus sont en partie contradictoires, du moins en apparence. Voilà qui ajoute encore à la confusion des débats en Allemagne, où chaque camp semble accuser l’autre de récupération et s’empresser lui-même de récupérer à son tour.

Récupérations

Sahra Wagenknecht, tête d’affiche du parti de gauche radical BSW, a exigé des explications sur le fait qu’un « si grand nombre de mises en garde ont été ignorées ». De son côté, Alice Weidel (chef de file de l’AfD) a estimé que « l’impéritie de l’administration, qui a permis l’horreur de Magdebourg, laisse sans voix ». Olaf Scholz et la gauche allemande ont répondu en laissant entendre que l’AfD serait la responsable, sinon la commanditaire de la tuerie ! L’infiltration d’une manifestation spontanée à Magdebourg par des groupes qualifiés de « néonazis » n’a fait qu’inciter la gauche à tenter d’inverser la charge de la preuve.

Pour Nancy Faeser, Taleb Jawad al-Abdulmohsen aurait agi « à la manière d'un terroriste islamiste, bien que son idéologie semble être celle d'un opposant à l'islam ». Puis, se montrant plus affirmative, elle a ensuite déclaré qu’il était « évident » que le suspect avait des opinions « islamophobes ». La stratégie choisie par la gauche allemande consistant à faire du terroriste présumé un « sympathisant de l’extrême droite » est abondamment relayée par la presse d’Outre-Rhin, mais aussi par la presse de gauche française. Ainsi, Libération n’a guère pris de précautions pour titrer sur un « activiste anti-islam et soutien de l’extrême droite allemande ». Sur X, le géopolitologue Alexandre Del Valle estime pourtant que « le chancelier Olaf Scholz [est] pris en flagrant délit d'instrumentalisation en vue des élections de février ».

Une affaire « islamo-musulmane » ?

La chargée de recherche au CNRS, Florence Bergeaud-Blackler, se montre prudente dans sa réaction sur X : « Il y a tellement de contradictions dans ce que l’on sait du comportement du tueur de Magdebourg que l’on peut en conclure qu’il est complètement fou. Le problème est : qu’il le soit ou non n’exclut pas à coup sûr les autres hypothèses. Nous n’aurons peut-être jamais la réponse concernant le mobile de l’acte. Une chose est sûre, c’est qu’il a conduit à la mort d’Allemands venus en famille sur un marché de Noël, un vendredi. »

Cette prudence lui a pourtant valu une violente attaque de la part du Conseil français du culte musulman (CFCM), qui l’accuse « d’instrumentaliser les faits avant même que la vérité ne soit établie ».

Jointe par BV, Florence Bergeaud-Blackler confirme que le CFCM lui mettait bien « une cible dans le dos », rappelant qu’elle est actuellement « sous protection policière ». Préférant laisser l’enquête se dérouler, elle constate que « l’hypothèse pour l’instant retenue par les autorités allemandes n’est pas la plus évidente au regard des premiers éléments connus sur le suspect ». Et elle estime plus plausible celle proposée par Mohamed Louizi, ingénieur et essayiste, auteur de Pourquoi j'ai quitté les Frères musulmans (Michalon, 2016) ou Libérer l'islam de l'islamisme (Fondapol, 2018), qui se demande, sur X, pourquoi le suspect n’a pas été appréhendé « alors que son compte X est suivi par plus de 46.000 abonnés et qu'il affiche une arme automatique ? »

Aurait-on pu sauver les victimes de #Magdeburg si ce terroriste était mis hors d'état de nuire depuis la publication de ces messages ? Sans doute. Pourquoi ne l'a-t-on pas fait alors que son compte X est suivi par plus de 46 mille abonnés et qu'il affiche une arme automatique ? pic.twitter.com/C8wFWg3jxA

— LOUIZI Mohamed (Unique compte officiel) (@MohamedLOUIZI) December 22, 2024

Au terme d'une lecture minutieuse de l’imposante littérature tweetée par Taleb Jawad al-Abdulmohsen, il constate que « bien qu’il se dise "ex-muslim", il fréquente quand même des Frères musulmans dans un mouvement autoproclamé "opposition saoudienne" : un méli-mélo où des soi-disant "libéraux" font cause commune avec des islamistes. Ce terroriste avoue échanger par téléphone avec des Frères... »

Bien qu’il se dise «Ex-Muslim», il fréquente quand même des Frères musulmans dans un mouvement autoproclamé «opposition saoudienne» : un méli-mélo où des soi-disants «libéraux» font cause commune avec des islamistes. Ce terroriste avoue échanger par téléphone avec des Frères... pic.twitter.com/MU6biMxW4g

— LOUIZI Mohamed (Unique compte officiel) (@MohamedLOUIZI) December 22, 2024

Plutôt qu’un émule « athée » de l’AfD, le suspect pourrait-il être un activiste islamique chiite s’étant rapproché des Frères musulmans par opposition au régime saoudien ? Serait-ce là une affaire « islamo-musulmane » ? C’est bien ce que l’enquête devra déterminer.

Imprimer, enregistrer en PDF cet article