L’affaire Marine Le Pen définitivement pliée (ou pas) : L’avis d’un magistrat

Le séisme de la condamnation à l'inéligibilité de Marine Le Pen soulève bon nombre de questions auxquelles BV, qui a recueilli l'expertise juridique d'un magistrat (qui tient à garder l'anonymat), tente d'apporter des réponses pour analyser les chances de la candidate de pouvoir se présenter en 2027.
Pas de politisation de la Justice
Notre interlocuteur, qui ne s’étonne pas du « bruit considérable » provoqué par la condamnation à l'inéligibilité de Marine Le Pen, relève avant toute chose que « dans une République qui proclame, à l’article premier de sa Constitution, "la souveraineté nationale appartient au peuple", il paraît choquant que trois personnes, fussent-elles des juges aguerris, décident à la place de 46 millions d’électeurs (34 à 37 % des électeurs sont, d’ores et déjà, décidés à voter pour elle) ».
Mais notre magistrat « ne voit pas pour autant dans la condamnation de Marine Le Pen une politisation de la Justice » : car « les magistrats qui composaient la 11e chambre sont exempts du reproche de partialité même s’ils sont, en revanche, d’un type psychologique de justiciers, rigoureux et intransigeants ». Un avis qui tranche sur les déclarations des responsables du RN qui, forts des résultats engrangés par le Syndicat de la magistrature aux dernières élections (33%) et sa volonté affichée de faire barrage à l'extrême droite lors des dernières élections de 2024, dénoncent de leur côté une décision prise par des « juges rouges ».
Éviter le trouble à l'ordre public ?
Pour autant, la décision d'exécution provisoire d'inéligibilité justifiée aux fins « d’éviter un trouble irréparable à l’ordre public démocratique » pose question. « Le tribunal invoque le risque d'atteinte à "l’ordre public" car, à ses yeux, l’accession au pouvoir de personnalités politiques aux pratiques illégales est un mal absolu, analyse notre magistrat pour qui, paradoxalement, la notion d’atteinte à l’ordre public est relative ». Il s'étonne d'un remède qui pourrait s’avérer pire que le mal, car « la révolte des électeurs ou, à l’inverse, leur désaffection des urnes peut aussi bien être considérée comme une atteinte à l’ordre public. Si Mme Le Pen n’est pas digne d’être élue, pourquoi ne pas laisser les électeurs le lui dire ? »
Au tour du MoDem et de Jean-Luc Mélenchon ?
« Marine Le Pen n'est pas un cas isolé ; le MoDem et Jean-Luc Mélenchon sont, eux aussi, poursuivis pour des emplois fictifs au Parlement Européen, à la même époque, pour des faits qui leur sont reprochés et semblent robustes. Mais ceux-là pourraient, de leur côté, être sauvés par le calendrier judiciaire », rappelle notre interlocuteur pour qui, « au vu de l’argumentation du tribunal, les faits sont établis ». Mais qui nécessitent d'être replacés dans le contexte de l’époque : « Durant des décennies, il était parfaitement connu et même admis que les partis politiques se financent "sur la bête". Dans le cas particulier du Front national, ce parti qui réunissait déjà un nombre considérable de voix n’avait accès qu’à des financements très limités parce qu’ils avaient peu de sièges en raison des scrutins majoritaires les mettant toujours en minorité. Il en aurait été très différemment avec des scrutins proportionnels. Comme les autres partis minoritaires, gênés par cette réglementation assez injuste, le Front national a tiré sur la corde. »
Le risque de l'appel
En quelques heures, la cour d'appel s'est décidée à examiner l’affaire dès l’été 2026. Comment, dès lors, expliquer un tel empressement ? De l'avis de notre interlocuteur, « la cour d'appel est gênée aux entournures » ; dans cette affaire, « l’exécution provisoire a porté une atteinte considérable au droit de faire appel qui est un droit inviolable ». Sans illusions, il ajoute : « Malgré cette célérité, la campagne électorale sera forcément particulièrement difficile pour cette candidate dont l’avenir reste obéré par une possible condamnation avant la présidentielle. »
D'autant, poursuit-il, qu'« en interjetant appel, Marine Le Pen court un risque très lourd ; elle a toutes les chances d’être également condamnée et la cour d’appel ne pourra alors pas écarter la peine obligatoire d’inéligibilité, ce qui reviendrait à l’exclure définitivement de l’élection présidentielle 2027 » et, de surcroît, nous renverrait inéluctablement à ce « problème démocratique qui reste donc entier : qui doit choisir le président de la République : les juges ou les électeurs ? »
Récuser les magistrats ?
Les défenseurs de Marine Le Pen sont-ils pour autant passés à côté d’autres leviers d’action qui auraient permis d'éviter cette condamnation, telle la possibilité de récuser ceux qui allaient la juger ? Hypothèse écartée par notre interlocuteur qui explique à BV : « Pour récuser il faut des éléments robustes et il faut le faire à l’ouverture du procès, ce qui, en l'espèce, n'était pas le cas ; on ne connaît pas d'engagement politique ou syndical à la présidente du tribunal. » Ce que corrobore Stéphane Durand-Souffland, chroniqueur judiciaire au Figaro, qui décrit Bénédicte de Perthuis comme « encartée nulle part ». Mise à part son admiration déclarée pour la juge Eva Joly (ancienne députée européenne EELV) qui a « changé [s]on destin ».
La dernière chance
L'affaire est-elle pour autant pliée et Marine Le Pen définitivement empêchée ? « J'entrevois une solution : obtenir la grâce présidentielle, ce que le président de la République peut délivrer à titre individuel, imagine-t-il, à la condition - contrairement à cette idée largement répandue sur les plateaux télé, ces dernières heures - que Marine Le Pen acquiesce au jugement, c’est-à-dire qu'elle reconnaisse les faits et accepte sa peine. »
« Une grâce présidentielle n’est pas un désaveu de la Justice, laquelle a bien fait son travail, mais un moyen pour éviter la révolte des électeurs du Front national et rassurer les autres formations politiques qui ont, elles aussi, mis le doigt dans la confiture et pourraient bien encourir les mêmes peines », conclut notre interlocuteur.
Thématiques :
inéligibilitéPour ne rien rater
Les plus lus du jour
LES PLUS LUS DU JOUR

134 commentaires
Sarah Knafo Présidente …!
Votre magistrat est un rouge qui ne connait visiblement pas bien l’affaire et qui a une conception assez spéciale de ce qu’est la justice, la démocratie ou même la Macronie.
Bref, un rouge…
Voilà un magistrat qui s’éloigne de la vérité judiciaire en adoptant dans un contexte éminemment politique, une façon très américaine d’obliger une accusée (présumée innocente),de reconnaître les faits(avérés ou non)au nom de la conscience collective,mais en restant obstinément sur une ligne rigide,typique de la gauche sectaire.
Je pense qu’il est inutile de se demander s’il fait partie du syndicat de la magistrature.
Merci à BVL et à Sabine de Viileroche pour cete article qui explique clairement les fait et évite l’amalgame facile et partisant des souteins du RN. Les fait sont là et les juges n’ont fait qu’apliquer la loi meme si c’est avec un peut de sévérité mais l’attitude et le système de défense de Marine Le Pen furent contre productifs. Je partage l’avis de nombreux juristes et hommes politiques, le RN a fait preuve d’un inquiétant amateurisme.
Si je comprends bien,le fait de contester une décision qui semble à priori inique,doit-être également puni par la loi?
Au train où vont les choses,les avocats deviendront très vite inutiles!Appliquer la loi?Moi j’en accepte l’augure,mais prendre une décision plus ou moins sévère en fonction des opinions politiques des justiciables,ce n’est pas appliquer la loi.En l’occurrence,il s’agit de régler ses comptes grâce au pouvoir judiciaire tout en faisant fi de l’esprit du peuple français pour lequel est rendu le jugement en question.
D’autre part,les sympathisants ou adhérents du RN ne sont pas des irresponsables animés d’un quelconque culte de la personnalité.
Nous avons également un cerveau capable de discerner ce qui est condamnable ou pardonnable.
Quel est ce magistrat qui ne prend pas en compte les déclarations politiques tant du procureur (magistrature debout ou du parquet) que des juges (magistrature assise) ?
L’indépendance et la neutralité politique ont été mises à mal, il s’agit d’une faute professionnelle.
Nécessité d’en référer au CSM (Conseil supérieur de la magistrature pour atteinte à l’article 43 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, bien que cet article relativement confus « constatée par une décision de justice devenue définitive » semble organiser et confirmer l’irresponsabilité des juges…
Avis d’expert judiciaire ???
Article 43.
Tout manquement par un magistrat à l’indépendance, à l’impartialité, à l’intégrité, à la probité, à la loyauté, à la conscience professionnelle, à l’honneur, à la dignité, à la délicatesse, à la réserve et à la discrétion ou aux devoirs de son état constitue une faute disciplinaire.
Constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision de justice devenue définitive.
La faute s’apprécie pour un membre du parquet ou un magistrat du cadre de l’administration centrale du ministère de la justice ainsi que pour un magistrat exerçant les fonctions d’inspecteur général, chef de l’inspection générale de la justice, d’inspecteur général de la justice ou d’inspecteur de la justice compte tenu des obligations qui découlent de sa subordination hiérarchique.
Une chose est sûre : tant que Le Pen ou Bardella seront ses candidats, il perdra.
Idem écoutez Philippe de Villiers et tout est très bien expliqué
Je suis un peu déçu par ce papier car je m’ attendais à une analyse sérieuse de la situation juridique de MLP devant la Cour d’ appel, or il n’ en est rien et ce magistrat anonyme ne connait visiblement pas le dossier et, visiblement pas trop le droit non plus…
1/La prévention a fait l objet d’ une « rectification » par le tribunal de sorte que les derniers faits reprochés datent de février 2016 et la loi « Sapin 2 » de décembre 2016 est donc inapplicable à l’ espèce (l’inéligibilité n’ est donc pas obligatoire cf « le risque de l’ appel alinéa 2)
2/La subtilité diabolique de la procédure pénale fait qu’ en cas de pourvoi (inévitable en cas de confirmation mais SANS exécution provisoire de l’ inéligibilité, pour gagner du temps et enjamber la présidentielle) son effet suspensif fait que c’ est l’ exécution provisoire du 1er jugement qui est maintenu!!! Caramba encore raté!
3/Seule solution pour MLP (sauf loi nouvelle plus douce votée entre temps) prier pour que la durée de l’ inéligibilité en appel ne dépasse pas 2 ans pour se terminer au 31 mars 2027 (dans ce cas elle ne forme pas de pourvoi en cassation) mais il est douteux qu’ elle soit élue dans des conditions aussi rocambolesques (c’ est sur ce point non juridique que je partage l’ avis du magistrat anonyme!)
Je viens de regarder et d’écouter Philippe De Villiers sur CNEWS, et je dois avouer qu’il nous adonné une très belle leçon de Droit Français. J’espère que l’Arcom a bien écouté ainsi que le Syndicat de la Magistrature.
Quoi qu’il arrive, il y aura toujours des gens pour dénier l’évidence et nous raconter que la Justice est indépendante, et n’est pas politisée. La mauvaise foi a toujours existé, et existera toujours !
Dans une tribune du 31 03 2025 , de jean Eric Schoettl « Le Pen inéligible : les juges se rebellent contre le Conseil constitutionnel … et contre les électeurs » , l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel dit :
« Une décision (T.J. de Paris 31/03) juridiquement discutable , politiquement lourde , qui soulève de sérieuses questions sur le respect du droit d’élégibilité , la souveraineté populaire .. et la tentation d’un gouvernement des juges ».
…
« La décision du Tribunal judiciaire de Paris est également contestable du point de vue de la souveraineté populaire et de l’universalité du suffrage. En démocratie , c’est en effet à l’électeur de dire qui est digne de ses suffrages . Nous basculerions dans le gouvernement des juges si nous admettions que le peuple est incapable de discernement moral et qu’il appartient en conséquence à la magistrature de filtrer les candidats selon l’idée qu’elle se fait de leur vertu. »
Une décision du Conseil constitutionnel du 28 mars , intervenait dans le domaine qui concernait la décision du tribunal judiciaire de Paris , l’égibilité d’un citoyen . Le tribunal judiciaire de Paris ne devait-il pas reporter sa décision pour intégrer la décision du Conseil constitutionnel.
Pas grave car son nom est maudit à jamais ! Place aux jeunes !
Ceci dit, la moitié des juges sont rouges !