L’Aga Khan IV est mort ? Vive l’Aga Khan V !
![AFP NE PAS RÉUTILISER Photo taken on October 20, 1957 in Dar Es Salam shows Prince Karim Aga Khan enthroned forty-ninth Imam, following the death of his grandfather, the Aga Khan III, on July 11, 1957. Around 30.000 Ismailis of this branch, considered by some to be sub-sect, of Shia Islam were presents. (Photo by INTERCONTINENTALE / AFP)](https://media.bvoltaire.fr/file/Bvoltaire/2025/02/IL20250208133121-afp-20220914-32fv2t7-v3-highres-tanzaniareligionagakhan-scaled-929x522.jpg)
Ce 4 février 2025, le chah Karim al-Hussaini, Aga Khan IV, nous a quittés. Il avait 88 ans. Cet imam, le 49e du nom, chef spirituel des ismaéliens nizârites, la deuxième branche du chiisme, descendant du prophète, était une sorte de roi sans royaume, mais régnant sur près de quinze millions d’âmes. En 1957, la reine Élisabeth lui avait conféré le prédicat d'Altesse, et, depuis 2018, il était grand-croix de notre Légion d'honneur. Depuis 2015, il résidait au Portugal, pays abritant le siège de cette tendance mystique de l’islam, née en Perse au XIe siècle.
Le rôle religieux de la dynastie des Aga Khan est souvent passé au second plan au profit des amateurs de champs de courses et de gazettes pour têtes couronnées. Lesquelles relataient, jour après jour, les frasques conjugales et extra-conjugales d’Ali Khan (1911-1960), le père du défunt. Il y a le mariage de ce dernier, le 27 mai 1949, avec Rita Hayworth, ex-épouse du cinéaste Orson Welles, suivi d’un divorce, quatre ans plus tard. Il est vrai que celle que le magazine Life tient pour « déesse de l’amour », magnifiée par son rôle dans le Gilda (1946) de Charles Vidor, est une perpétuelle angoissée, esclave de sa propre légende et qui, en ces termes, se lamentait : « Les hommes s’endorment avec Gilda et se réveillent avec Rita… »
Playboy américain et héros français
Puis il y eut la romance tumultueuse entretenue avec une autre actrice, la sublime Gene Tierney, tout aussi névrosée et connue pour ses amours scandaleuses. Mais le prince au luxe tapageur n’était pas qu’un play-boy mondain, s’étant engagé dans la Légion étrangère en 1939 avant de se battre pour la France en 1941, durant la campagne de Syrie, sous les ordres du général Catroux, dont il devient plus tard l’aide de camp. Ensuite, il sera vice-président de l’Assemblée générale des Nations unies en tant que représentant du Pakistan. Mais pour son père, l’Aga Khan III, une vedette hollywoodienne passe encore ; mais deux, c’est au moins une de trop. Il décide donc de le destituer au profit de son fils Karim, qui devient tôt l’Aga Khan IV, objet de ces lignes. En effet, si le chiisme ismaélien ne prône pas l’affrontement avec l’Occident et sa culture, il y a tout de même des limites. Ce qui n’empêche pas les médias, après avoir fantasmé sur le Khan déchu et ses innombrables conquêtes féminines, de faire de même de la fortune familiale.
Son poids en or ? Légende et réalité…
Ainsi fut-il longtemps de coutume que ses fidèles offrent chaque année à leur guide son poids en or. Il convient, néanmoins, de faire la part de la légende et de la réalité. Cela fut vrai pour l’Aga Khan III, en 1936. Dix ans plus tard, c’est en diamants, et en platine, en 1954. Mais ce rite disparaît avec lui, quand il rend l’âme, le 11 juillet 1957, trois ans avant la disparition de son fils turbulent, dans un accident de voiture survenu à Suresnes, le 12 mai 1960. Depuis, les fidèles se contentent de verser 12,5 % de leurs revenus à leur monarque ; comme quoi la modernité n’épargne aucune religion, à l’instar de ce paiement sans contact devenu l’ordinaire de nos églises…
On notera que cette dynastie musulmane hors normes est plus connue pour sa philanthropie que sa pingrerie, quoique forte d’une fortune familiale estimée à quelque treize milliards d’euros et devenue, elle aussi, objet de tant de fantasmes. Ainsi, le Fonds Aga Khan pour le développement économique (AKFED) emploie-t-il 36.000 salariés répartis dans 90 sociétés, générant annuellement 4,5 milliards de dollars de recettes, aussitôt réinvesties dans des projets de développement des plus divers.
Des amis des arts et des jardins
À ce sujet, l’entretien accordé par Amyn Aga Khan, frère cadet du défunt, à Jacques Pessis, sur les ondes de Sud Radio, est des plus révélateurs. Pianiste contrarié, amateur d’art (pas celui de Jeff Koons, on précise), passionné de jardins (il est l’un des mécènes de ceux de Courson et de Chantilly, en Île-de-France), il est aussi passionné d’architecture. Mais d’une architecture respectueuse de la nature et également de celle des hommes qui y habitent. D’où ces projets hôteliers installés un peu partout dans le monde devant répondre à ces conditions : emploi des matériaux et d’artisans locaux, embellissement des paysages. Soit une humilité qu’on chercherait en vain chez des Anne Hidalgo et autres destructeurs d’environnement. On ajoutera, de plus, que cet islam ismaélien est de longue date en pointe dans le rapprochement interreligieux, au contraire de son homologue sunnite ayant accouché du wahhabisme de combat et du terrorisme qu’on sait.
Aujourd’hui, certains croient sincèrement au fameux choc des civilisations, tandis que d’autres (néoconservateurs américains et prédicateurs saoudiens) l’organisent cyniquement pour tenter d’asseoir leur suprématie. Mais il y en a d’autres qui tentent de le conjurer. Le chah Karim al-Hussaini, Aga Khan IV, proche ami du roi Charles III, en était.
Quand la maison est en train de flamber, on ne demande pas aux pompiers s’ils vont à l’église, la synagogue ou la mosquée. Bienvenue, donc, aux hommes de bonne volonté, en d’autres termes. Et que nos prières accompagnent celui qui vient de nous quitter.
![Picture of Nicolas Gauthier](https://media.bvoltaire.fr/file/Bvoltaire/2024/06/24ec62c3705f165c45cada17f039cf3b.png)
Pour ne rien rater
Les plus lus du jour
LES PLUS LUS DU JOUR
![](https://media.bvoltaire.fr/file/Bvoltaire/2025/02/vlcsnap-2025-02-07-10h33m09s505-768x432.png)
Un commentaire
Dignité documentée de ce papier qui verse une lumière peu connue sur cet islam particulier qui n’invite pas à la guerre mais construit une coopération d’inspiration occidentale. Je me souviens aussi des frasques légendaires de cette famille dont la presse s’était fait l’écho. Donc, bienvenue au club et apprenons à nous connaître.