L’Allemagne fait plier les États-Unis sur Nord Stream 2

nord stream 2

À la fin du mois de mai dernier, Joe Biden avait annoncé la fin des sanctions américaines contre les entreprises qui participaient au chantier de construction du gazoduc Nord Stream 2. Il prenait ainsi le contre-pied de son prédécesseur, Donald Trump, qui avait déployé une énergie considérable pour torpiller le projet. Il sera juste parvenu à le retarder.

Biden est allé jusqu’au bout de sa logique et, le 21 juillet, il a conclu un accord avec Angela Merkel. La fin du chantier (terminé à 99 %) est officiellement autorisée par les États-Unis et aucune sanction ne sera plus évoquée jusqu’à son achèvement, prévu d’ici quelques semaines.

C’est une victoire importante pour l’Allemagne, et particulièrement pour sa chancelière. Contre vents et marées, elle a tenu, ne se laissant jamais intimider par les menaces américaines, en particulier celles de Donald Trump, qui a été un piètre stratège dans cette affaire. Il voulait à la fois obliger l’Allemagne à mettre beaucoup plus d’argent dans l’OTAN, tout en menaçant de la quitter, et l’obliger à interrompre Nord Stream 2, le tout sans aucune contrepartie.

Ce qui a marché avec la France, qui s’est couchée à chaque aboiement américain (Engie s’est ainsi docilement retirée du chantier), n’a pas marché avec l’Allemagne pour une raison très simple : l’Allemagne a besoin du gaz russe. Nord Stream 1 ne suffit plus et le chemin le plus court de la Russie à l’Allemagne est, évidemment, la mer Baltique. Passer par l’Ukraine est plus long et plus coûteux et Angela Merkel ne voulait pas manquer l’occasion de sécuriser son approvisionnement en gaz à moindre coût.

L’Amérique avait trois raisons de s’opposer à ce grand chantier. Celle qui fut la plus mise en avant est la protection de l’Ukraine. Depuis les fameux événements de la place Maïdan à Kiev, en 2013, et qui ont abouti au départ du président élu Ianoukovytch au profit de l’atlantiste Porochenko, l’Ukraine a clairement changé de camp géopolitique. Les services américains ont été très présents dans cette révolution et ont fait de l’Ukraine une sorte de poste avancé atlantiste face à la Russie (le fils Biden a, d’ailleurs, des liens étroits avec les milieux énergétiques ukrainiens où il fut consultant malgré son inexpérience totale).

Pas question, donc, pour les États-Unis, de laisser tomber ce nouvel allié stratégique. Or, le transit du gaz russe par l’Ukraine (actuellement 40 % des exportations de Gazprom passent par l’Ukraine) est une manne financière vitale pour un pays à peu près ruiné. Biden a ainsi obtenu de l’Allemagne de l’argent pour qu’elle aide l’Ukraine à accomplir sa transition énergétique. Surtout, l’Allemagne s’est engagée à convaincre la Russie de proroger les accords de transit existant avec l’Ukraine et devant s’achever en 2024. Elle s’est dite prête à prendre des sanctions contre la Russie dans le cas contraire.

Poutine n’a pas relevé ce dernier point (laissant faire son ministre Lavrov) et s’est sobrement félicité de l’achèvement du chantier qui renforcera la position stratégique de la Russie en matière énergétique.

Les deux autres raisons de l’opposition américaine sont moins mises en avant mais bien réelles : tout d’abord, les États-Unis n’ont pas renoncé à exporter leur gaz de schiste vers l’Europe, malgré son coût important et, bien sûr, toute progression russe est un obstacle ; ensuite, une « russophobie » aiguë agite toujours la classe politique américaine. Plusieurs élus ont, d’ailleurs, réagi violemment à cet accord, comme l’inévitable Ted Cruz, digne héritier des néo-conservateurs.

Mais Biden veut renouer avec l’Allemagne et c’est une belle victoire pour la fin du règne de Merkel qui a clairement montré à l’Europe que l’on pouvait résister aux diktats américains.

Antoine de Lacoste
Antoine de Lacoste
Conférencier spécialiste du Moyen-Orient

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