Lalo Schifrin, un maestro de la musique de film à découvrir ou redécouvrir

Les musiques de Mission impossible, des collants Dim (« Papapapa-pa-pa »), dans les années 70, c'est lui !
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Lalo Schifrin est un monument musical. Il affiche, désormais, 93 ans, dont presque 60 de carrière durant lesquels il a composé plus d’une centaine de musiques de film et presque autant de téléfilms et séries télévisées. Son nom est peu connu ; en revanche, tout le monde connaît son œuvre. Les thèmes de Mission impossible, Mannix, Starsky et Hutch ? C’est Lalo. La saga des Inspecteur Harry, Bullitt et Opération Dragon ? C’est Schifrin.

Son thème le plus célèbre ? Celui du Renard (1968), de Mark Rydell, devenu tube planétaire lorsque, réorchestré par l’un de ses confrères, Hugo Montenegro, il illustre les publicités des bas Dim, dans les années 70. « Papapapa-pa-pa » sur fond de jolies gambettes, voilà qui doit sûrement vous dire quelque chose…

Le plus Français des Argentins

Aujourd’hui, les mélomanes sont à la fête avec la publication de ce volumineux coffret, The Sound of Lalo Schifrin, compilé par la filiale française d'Universal. L’objet est somptueux et la centaine d’euros dépensés seront vite oubliés à l’écoute des seize CD qu’il abrite (18 heures d’écoute en tout, ce n’est pas rien) et à la lecture de l’épais livret qui l’accompagne.

Mais au fait, qui est Lalo Schifrin ? Le plus Français des Argentins, tout simplement, étant de ces artistes pour lesquels Paris portait encore bien son nom de Ville Lumière, tant elle resplendissait jusqu’à Buenos Aires, là où notre homme a vu le jour, le 21 juin 1932. Certains enfants naissent avec une cuillère en argent dans la bouche, d’autres avec les mimines sur le clavier du piano familial ; lui, par exemple. Son père, Luis Schifrin, sera premier violon, trente ans durant, et chef de l’orchestre philharmonique du Teatro Colón, l’opéra de la capitale argentine.

Comme dans certaines familles de militaires où la vocation de la progéniture coule de source, il en va aussi de celles d’artistes où elle ne saurait se discuter : il sera donc musicien ou rien. Ce qui n’empêche pas une petite dose de rébellion, le jeune Lalo et ses copains écoutant en cachette des albums de jazz, musique non seulement plus ou moins prohibée par le régime péroniste, mais, de plus, fortement déconseillée par son père, aussi à cheval sur la question qu’un officier de cavalerie le serait sur sa monture.

 

Élève d’Olivier Messiaen

En 1952, il réussit le concours d’entrée au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Là, il étudie avec rien de moins qu’Olivier Messiaen comme professeur. Histoire de financer ses études, il joue du piano pour qui veut bien de lui dans tous les clubs de jazz parisiens. Vite repéré par le producteur Eddie Barclay, fin connaisseur en la matière et lui-même pianiste – c’était l’époque où les patrons de maisons de disques étaient musiciens et non point frais émoulus des écoles de commerces –, il est illico embauché comme compositeur et arrangeur musical, à la fois chez Barclay et RCA France.

Lalo Schifrin n’a que 24 ans lorsqu’il retourne en Argentine. Il y fonde son propre orchestre de jazz avec son compatriote, l’immense saxophoniste Gato Barbieri. Dans la foulée, il compose ses trois premières musiques de film, dont la troisième, pour El Jefe (1958), est distinguée par le prix du Meilleur disque argentin. Un autre monument du jazz, le trompettiste Dizzy Gillespie, l’ayant entendu jouer du piano à Buenos Aires, l’invite aussitôt à le rejoindre aux États-Unis, où Lalo Schifrin commence à composer et à arranger pour le maestro. Pas mal, pour un premier client.

Son premier film international sera français

Mais, usé par les tournées incessantes de Gillespie, il devient alors arrangeur pour le mythique label Verve, l’Olympe du jazz, lui permettant ainsi de travailler avec Count Basie, Sarah Vaughan et, surtout, Stan Getz, le prince de la bossa nova brésilienne. De fil en aiguille, cet artiste multi-talents ne tarde pas à être recruté par Hollywood. Cependant, avant d’y faire la carrière qu’on sait, c’est en France, en 1958, qu’il compose sa première musique de film. Ce sera pour René Clément et ses Félins. Voilà qui n’a rien d’anodin, à en croire Lalo Schifrin : « René Clément m’a permis de révéler ce potentiel, de combiner musique symphonique, jazz et électronique. Si l’on compare ma carrière cinématographique à une maison, Les Félins en sont les fondations. » Bref, une star est née ; un style inimitable, aussi.

Du jazz où les percussions dialoguent avec les cuivres et les cordes. Avec des lignes de basse jouant le contrepoint, des éclairs d’orgue électrique en embuscade que viennent soutenir des flûtes traversières. Le tout étayé par un sens mélodique hors du commun. Dès lors, tout s’enchaîne. En 1968, avec le Bullitt de Peter Yates, Lalo Schifrin tutoie les anges, surtout lorsqu’il persuade le cinéaste de ne faire apparaître sa musique qu’en préambule de la fameuse poursuite de voitures sur les collines de San Francisco, estimant qu’une autre musique doive être mise à l’honneur : celle des moteurs. Bien vu !

L’idole de Bruce Lee

Mais tel que plus haut écrit, c’est avec les génériques de feuilletons tels que Mannix ou Mission impossible que Lalo Schifrin laisse sa patte, reconnaissable entre toutes.

Pour la petite histoire, c’est Bruce Lee en personne qui, en 1973, le convainc de signer la bande originale d’Opération Dragon, de Robert Clouse, le premier film américain de la star des arts martiaux. Comment ? Tout simplement en lui avouant qu’il s’entraîne quotidiennement depuis des années avec la musique de Mission impossible en fond sonore. Imparable !

Amateurs de belle et grande musique, c’est le moment de casser sa tirelire.

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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