Lancer de vaisselle sur l’Élysée
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« Bleu élyséen » le service de porcelaine de Sèvres et « bleu méditerranéen », je suppose, la piscine prévue à Brégançon : telles sont les dépenses du couple présidentiel qui occupent journaux et réseaux, avec une sérieuse divergence sur le prix du service, les 50.000 euros annoncés devenant 500.000 selon Le Canard enchaîné. Du coup, les langues vont bon train, et pas seulement les langues : un couple de Saône-et-Loire a répondu au Président par un envoi - un carton rempli de vaisselle - pour lui éviter "de claquer un pognon de dingue". Chapeau bas, dirait Cyrano ! On voudrait l’avoir fait et, d’ailleurs, ils demandent à être relayés partout dans le pays.
Si l’approbation de Mme Delarue à cet achat me convainc en théorie, car soutenir les manufactures françaises et faire de l’Élysée la vitrine de notre production est bien un des devoirs du chef de l’État, les circonstances, le kairos, diraient les Grecs, ne sont pas favorables. C’est bien ce que vise, avec beaucoup d’esprit, ce sympathique couple : les dépenses élyséennes sonnent mal, rapportées aux propos du Président : « On met un pognon de dingues dans les minima sociaux et les gens ne s’en sortent pas. »
Si l’on ajoute le projet, tombé quelques jours après, de la construction d’une piscine au fort de Brégançon pour les vacances d’été des Macron, le bassin est plein. L’ironie, ici, est double. Pourquoi une piscine au bord de la mer, dans un site protégé ? Parce que la plage privée est exposée aux regards et photos et que la famille du Président (ou plutôt de la Présidente) manquerait d’intimité, et nous savons à quel point ils fuient les photographes et combien la première dame est discrète ! De plus (cerise sur le gâteau) est envisagée une piscine « hors-sol ». Qui dit mieux ? Hors-sol, comme ce Président dressé loin de la tourbe des « gens de rien », les « sans-dents » de Hollande, élevant ses rameaux vers les grands de ce monde.
Tourbe ? Non, c’est bien pis : ceux qui gardent des « racines » et refusent de se fondre dans une masse à la fois indifférenciée et communautarisée deviennent, dans le discours macronien, « une lèpre ». Ainsi fustige-t-il à Quimper les populistes européens : « Vous les voyez monter, comme une lèpre. » Vite, qu’on donne à Orbán et autres Salvini l’habit noir avec la marque rouge et les cliquettes des lépreux au Moyen Âge, qu’on les relègue hors du cercle enchanté des Européens heureux ! Heureux, vraiment ? Quand sondage après sondage les donne opposés à l’entrée inconsidérée de migrants sur leur sol, même en Suède, ce paradis des ravis de l’asile.
La geste macronienne, paroles et actes, ne cesse de m’émerveiller. Et il est frappant de voir comment chaque élément, souvent excellent en soi, d’une communication élaborée compose un ensemble bancal et, finalement, incohérent. Dernier exemple d’une scène soigneusement relayée par le service communication, tambour et trompette : au mont Valérien, un lycéen est morigéné et exposé, livré en pâture au pays entier. Repris à juste titre pour son interpellation familière « Ça va, Manu ? », il se voit administrer une leçon de vie, qui comprend travail et argent (« Tu apprends d’abord à avoir un diplôme et à te nourrir toi-même ») comme le beau modèle, l’option séduction du prof de lettres étant facultative. Mais n’a-t-on pas enseigné au Président qu’il est incongru de blâmer quelqu’un pour sa familiarité en le tutoyant, car le « tu » suppose égalité et réciprocité ? C’est pourquoi les voyous reprochent aux policiers le tutoiement, qu’ils jugent humiliant, et des directives officielles recommandent le vouvoiement, même quand les malfrats tutoient.
Alors, Manu, tu te prends les pieds dans les règles de civilité puérile et honnête ?
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