L’application « Meandyoutoo », mètre-étalon des bonnes mœurs en entreprise

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FranceInfo, toujours en pointe du combat pour le progrès universel, dans un souci d'impartialité journalistique, nous apprend, le 25 février, à la rubrique « C'est mon boulot », qu'une application, sobrement baptisée « Meandyoutoo » (clin d'œil combien discret à la funeste folie collective de #MeToo), permet aux gens qui travaillent de voter pour qualifier les comportements jugés sexistes ou dégradants dans le monde de l'entreprise.

Évidemment, sur FranceInfo en un seul mot, on dit « c'est mon boulot » et pas « c'est mon travail ». « Boulot » désigne sans doute mieux les bullshit jobs du tertiaire, dans des open space corporate où on a du temps à perdre pour réfléchir à tout ça. L'appli a-t-elle été installée dans des entreprises de déménagement, sur des plates-formes offshore, dans des sociétés de gardiennage ou sur des chantiers ? On se perd en conjectures.

Évidemment, dans le monde des « applis », « Meandyoutoo » passe mieux que « Moi et toi aussi », qui ne veut rien dire et fait ressortir ce « moi d'abord, moi aussi » tellement contemporain ; sans compter que ce côté « tous responsables » nous rappelle, s'il en était besoin, que cette lutte (encore une, finale, celle-ci, on l'espère !), c'est l'affaire de chacune-et-chacun, de toutes-et-tous.

Ce temps à perdre, ce nombrilisme anglophile, on les consacre donc à une application sur laquelle on répond à un sondage, pour savoir si on a des stéréotypes de genre plus ou moins ancrés. Pour être « sensibilisé », qu'on dit de nos jours. Ce sondage, nous apprend la radio d'État, peut être fait auprès de particuliers comme de salariés. La sensibilisation peut être liée ou non à la peur d'être viré. C'est plutôt chouette. C'est leur boulot.

Il paraît que 47 % des gens laissent passer - horresco referens - les « blagounettes » mais que 91 % « recadrent » les auteurs de « propos dégradants » ou de « grossièretés ». Il y a donc du travail pardon, du boulot - pour éduquer les masses (salariales) à la nouvelle common decency.

En fin de compte, ce que ne dit pas cet admirable reportage, c'est la nature des sanctions encourues si l'on ne pense pas correctement. Après tout, c'est l'essentiel. Mort sociale (pas bonjour, pas d'invitation aux pots, seul à la cantoche) ? Mise à pied (et pour quel motif, alors ? « Contradiction avec les valeurs-de-la-société », comme on dit « valeurs-de-la-république ») ? L'esprit vagabonde devant un tel flou, qui rappelle les riches heures du stalinisme. Si on vous reproche de ne pas être dans la ligne du parti, l'important n'est pas de savoir quelle est la ligne. L'important est que vous n'en fassiez pas assez pour y adhérer.

Il m'a été donné, il n'y a pas si longtemps, de voir une « responsable de la parité » d'un grand groupe se vanter, dans une réunion de bon niveau, d'avoir fait virer comme un chien, au bout de vingt-cinq ans de bons et loyaux services, un brave cadre qui avait eu pour seul tort de faire un jour (et à la cantonade, encore) une blague osée. Je revois encore le sourire carnassier, plein d'une discutable humanité, de cette délicieuse cadre supérieur.e convaincue de sa mission : « il a fait son petit carton en 48 heure ».

En fin de compte, lutter contre la violence symbolique en entreprise, cela passe par l'exercice d'une violence symbolique supérieure. Cette application coercitive, « éducative » comme disent les Nord-Coréens, ne fait que réinventer le totalitarisme. Reste à savoir qui réinventera la résistance.

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

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