L’apprenti sorcier de la bioéthique
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La scène est archi-connue : Mickey, apprenti sorcier et esclave domestique en charge du nettoyage, emprunte le chapeau du patron pour accomplir sa tâche à l’aide de la magie. Mais comme il ne maîtrise pas les sorts jetés aux balais et aux seaux d’eau, il déclenche une catastrophe…
Il y a un an, le Chinois He Jiankui annonçait la naissance de jumelles dont le génome a été édité en usant des ciseaux moléculaires CRISPR-Cas9. Le père étant séropositif, la modification visait à leur donner une immunité contre le virus du SIDA. Oui, c’est de l’eugénisme pur et dur, surtout que d’autres solutions moins invasives existent. L’ensemble de la communauté scientifique s’en était émue et avait dénoncé les nombreux manquements éthiques de cette opération de franc-tireur.
Un journaliste de la MIT Technology Review a dévoilé une partie du contenu du texte que le désormais sulfureux He Jiankui tente de faire publier. La modification tentée sur le gène CCR5 le rendrait similaire et non pas identique à la cible. De plus, d’autres modifications seraient constatées ailleurs dans le génome de ces jumelles, mais pas de façon uniforme dans leurs cellules. Les effets à terme de ces mutations sont tout à fait imprévisibles. Bref, l’objectif n’est peut-être pas atteint et les conséquences collatérales ne sont pas encore mesurables.
Bien sûr, le plan de communication des sorciers d’aujourd’hui ne laisse rien au hasard : le sympathique Harry Potter est brandi en étendard, Marlène Schiappa leur prodigue un soutien officiel et une réhabilitation, et la sorcière brûlée par une foule d’imbéciles vociférant dans Sacré Graal ! a toute notre sympathie. Eh oui, c’est une outrancière caricature (mais assumée) que d’assimiler des scientifiques à des sorciers.
Les sorciers d’aujourd’hui revêtent des blouses blanches et leurs baguettes magiques sont des bijoux de technologie. Et même s’ils dénoncent publiquement le cow-boy He Jiankui, ils veulent faire la même chose : le projet de loi de bioéthique en discussion au Sénat prévoit bien de permettre la modification d’embryons humains, ou la création de chimères. Oui, c’est hypocrite.
Ils en jureraient au gouvernement, ce projet de loi est éthique, et c’est même marqué dessus ! La durée d’expérimentation sur les embryons sera limitée à 14 jours après la fécondation : pas de risque de dérapage. Il est utile de préciser, ici, que la durée actuelle maximale d’expérimentation est de sept jours maximum. Comme pour toutes les transgressions, un cas extrême est admis à la marge, et le curseur est bougé au fur et à mesure de l’évolution des mentalités soigneusement travaillées par une propagande ad hoc. C’est ainsi que l’avortement passe du statut de dépénalisé, en 1975, à droit fondamental, en 2014.
Les sorciers actuels, et surtout leurs commanditaires, lorgnent sur les marchés qui s’ouvriront si leurs recherches aboutissent : le bébé parfait, l’homme augmenté et éternel. S’ils en ont les moyens, ils ne laisseront pas le principe de précaution contrecarrer leurs ambitions. Quitte à semer en route de nouvelles victimes collatérales de la science, sacrifiées comme ces jumelles pour satisfaire l’orgueil de ces docteurs Faust qui se prennent pour Dieu.
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