Laurence Fournier : « On a l’impression que, a priori, les parents nuisent à l’instruction de leurs enfants alors que nous sommes contrôlés plusieurs fois par an ! »

LAURENCE FOURNIER

Pour lutter contre le « séparatisme », le gouvernement envisage d'interdire l'instruction des enfants à la maison. Devant la levée de boucliers, le gouvernement a annoncé revoir sa copie. En France, 50.000 enfants sont concernés.

Boulevard Voltaire a rencontré Laurence Fournier, mère de famille de huit enfants qui, pour la plupart, ont suivi une scolarité à domicile. Un témoignage émouvant puisque son aîné, chasseur alpin, est décédé il y a peu, un engagé pour la France.

Vous êtes mère au foyer de huit enfants. Vous avez assuré l’éducation de la plupart d’entre eux à des temps différents dans le cadre de la scolarité à la maison. Comme vous, ils sont 50.000 élèves à suivre les cours à la maison. Vous défendez ce modèle et vous savez qu’il est, aujourd’hui, menacé par le projet de loi du ministre Jean-Michel Blanquer. Pourquoi utilisez-vous ce système d’école à la maison ?

Ce système est celui qui me convient le mieux. On l’a découvert par hasard avec mon fils aîné. On a trouvé que c’était un réel mode de vie qui convenait à toute la famille. Il permettait de préserver l’équilibre familial, il laissait du temps aux enfants pour apprendre, jouer, rêver et s’ennuyer. On peut gérer le temps comme on l’entend. Chaque année, on le remet en question, et chaque année, on le poursuit. Les enfants sont des adeptes de l’école à la maison.

Dans le cadre de l’école à la maison se pose la question du niveau de formation des parents qui dispensent l’enseignement. Avez-vous des compétences universitaires académiques ? Selon vous, est-ce nécessaire ?

Je suis professeur des écoles. L’Éducation nationale m’a démissionnée. Je suis pour le moins à même d’enseigner à mes enfants ou alors, étant moi-même formée par l’Éducation nationale, il faudrait qu’ils réfléchissent à la formation de leurs enseignants. Je pense que tout parent vraiment enthousiaste, disponible et volontaire peut enseigner à ses enfants. On n’est jamais le seul interlocuteur de nos enfants. En général, il y a toute une communauté autour des enfants pour apprendre. Les parents savent très bien sur qui s’appuyer. Lorsque j’ai eu mes enfants au collège, ce n’est pas le même métier que professeur des écoles. J’ai, par conséquent, senti mes limites, notamment en langue. J’ai donc fait intervenir un professeur pour les langues étrangères. J’aurais pu aussi demander à un membre de la famille. On s’entoure et on s’appuie sur des amis, des relations, des professionnels, des cours par correspondance. Il y a beaucoup de choses qui font que le parent peut être un guide sans être nécessairement celui qui instruit de la même façon que ce qui se ferait à l’école. On apprend beaucoup avec nos enfants et on anticipe, ce qui nous permet de restituer ensuite.

L’entourage du ministre de l’Éducation nationale exprime que c’est pour lutter contre le séparatisme. On pense, notamment, aux écoles coraniques et aux parents qui soustraient leurs enfants à l’instruction au sens large. Vous avez été entendue au Sénat à ce sujet. Qu’auriez-vous envie de répondre à ceux qui voudraient mettre fin à ce système ?

Je pense qu’ils se trompent de cible. Je comprends qu’on veuille lutter contre l’islamisme radical dur, encore faudrait-il démontrer qu’il est vraiment virulent dans l’instruction en famille. Pour l’instant, on nous parle de situation, mais on n’a jamais de preuve. C’est toujours un peu délicat.
La loi actuelle telle qu’elle est conçue ne nous permet pas de nous soustraire. Soit un enfant est scolarisé, soit il est déclaré être instruit à la maison. Dès lors qu’il est déclaré à la maison, il est contrôlé par sa mairie tous les deux ans et par l’Éducation nationale tous les ans. Si le premier contrôle n’est pas satisfaisant, il a un deuxième contrôle. Et si le deuxième contrôle n’est pas non plus satisfaisant, le parent a quinze jours pour scolariser l’enfant. Je suis contrôlée deux fois par an par l’inspection académique et tous les deux ans par la mairie depuis quinze ans. Je suis contrôlée deux fois par an par l’inspection académique parce qu’il y a des contrôles différentiés pour le primaire et pour le secondaire. Ils sont, en général, deux à trois personnes à chaque fois.

Vous avez huit enfants scolarisés plus ou moins à domicile selon leur niveau. Que font vos enfants qui sont en études supérieures ?

Ma fille aînée de 20 ans est en faculté de droit à l’Université catholique de l’Ouest. Elle est très heureuse et épanouie. Elle souhaite devenir professeur, chercheur en droit. On n’élève pas nos enfants dans la défiance de la République. Au contraire, ils s’engagent même pour servir l’État.
Mon fils aîné était chasseur alpin. Il a servi son pays et il est décédé, en janvier dernier, dans une avalanche, dans une activité liée à la préparation de ses qualifications qui devaient avoir lieu après les vacances de Noël. J’avoue avoir été très blessée par les attaques de suspicion et le terme « ennemi de la République » m’a profondément blessée.

Avez-vous l’impression que la République ne vous fait pas du tout confiance ?

On a l’impression qu’a priori, les parents nuisent à leurs enfants et à l’instruction de leurs enfants.
C’est un modèle ancestral qui existe depuis toujours. Les contrôles existants permettent de pallier les carences et les déviances qu’il pourrait y avoir. La seule chose que l’on peut demander à l’État, c’est d’appliquer la loi pour une école de la confiance. On attend de la part de M. Blanquer qu’il nous fasse enfin confiance, qu’il mette les moyens nécessaires pour mettre en application sa propre loi et tout ira bien. On nous explique que nos enfants sont en école clandestine. Soit ils ont identifié les écoles clandestines, donc ils les ferment, puisque la loi existe déjà. Si ce sont des enfants instruits en famille reconnues comme telles, il est très facile de démontrer s’ils ne sont pas instruits en famille correctement. C’est déjà condamné par la loi. Et ensuite, on a des enfants qui ne sont pas déclarés du tout. À part pousser les gens qui étaient droits dans leur botte et en conformité avec loi à devenir hors la loi par exaspération, je ne vois pas très bien ce qu’ils vont obtenir.

Laurence Fournier
Laurence Fournier
Mère au foyer, huit enfants instruits à domicile.

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