Laurence Trochu : « Le conservatisme n’est pas « garder » à tout prix, c’est conserver ce qui vaut »
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À l’occasion de l’intervention de Laurent Wauquiez à leur journée - « La droite que nous voulons est conservatrice » - et de la polémique qui s’en est suivie au sujet de « l’eugénisme », Sens commun est revenu sur le devant de la scène médiatique… mais n’avait, en réalité, jamais quitté le jeu politique, travaillant sans bruit, au sein de LR, à une structuration du fond et de la forme.
Laurence Trochu, élue municipale à Guyancourt, conseillère départementale des Yvelines, et présidente de Sens commun depuis avril 2018, a bien voulu répondre aux questions de Boulevard Voltaire.
Caramba ! Sens commun, le retour ! On avait l’impression que depuis quelques mois, SC « l’avait mise en veilleuse », et voilà que l’enfant terrible de LR fait à nouveau frémir les salles de rédaction… Mais est-ce ainsi que vous vous définiriez ?
Sens commun est souvent désigné comme l’aiguillon de la droite. Un aiguillon, c’est ce qui dérange mais c’est aussi ce qui stimule ! Et, en cette phase de refondation de la droite, la stimulation de SC pour trouver et mettre en œuvre une ligne claire - par un vrai travail de réflexion - est essentielle. A l’ère du jetable, de l’obsolescence programmée, du zapping permanent, de la marchandisation de tout, des corps et des esprits, la droite a le devoir de retrouver sa vocation. Celle de la défense d’une société durable et équilibrée.
Pouvez-vous nous en dire plus sur les objectifs de votre journée ?
Cette journée était une rencontre entre élus, intellectuels et experts. Il faut une articulation entre ceux qui pensent et ceux qui agissent… et pour les relier, une colonne vertébrale !
Le thème en était le conservatisme car nous pensons que c’est une réponse aux besoins des Français : attachement et enracinement, unité de la nation et respect des territoires, vision de l’homme et de la société dans un monde en perte de repères et centré sur l’individu. La France n’est pas un terrain vague ! Nous ne souhaitons pas un modèle d’État Nation clos sur lui-même et vivant en autarcie. Pas plus que le développement incontrôlé d’une société sans frontières, sans cultures ni traditions. Avec l’arrivée d’Emmanuel Macron, les clivages gauche-droite se se réinterprètent. Il s’affiche progressiste : nous questionnons le sens de la marche. Le progressiste partira du principe qu'une innovation est bonne du fait même qu'elle est nouvelle et « dans l'air du temps », le conservateur estimera avec davantage de prudence que certaines innovations (économiques, scientifiques, techniques, sociétales…) relèvent effectivement du progrès humain quand d'autres constituent au contraire une véritable régression.
Coïncidence de dates, le 20 octobre dernier, la convention LaREM a voulu donner une structure à ce progressisme. Ces deux journées - la nôtre et la leur - se font écho. Le conservatisme est dénigré en France, ce qui n’est pas le cas dans nombre de pays voisins. C’est d’ailleurs pour cela que nous avions invité Roger Scruton pour qui “être taxé de conservateur, un jour sera une fierté !” Le conservatisme n’est pas « garder » à tout prix, c’est conserver ce qui vaut, réformer ce qu’il faut. Le conservateur a conscience de recevoir un héritage, et de devoir l’améliorer pour le transmettre. Je vous renvoie à l’excellent livre de Jean-Philippe Vincent, Qu’est-ce que le conservatisme.
Comment décliner ce conservatisme en politique ? C’était la question de cette journée.
Le premier des six axes abordés a été celui de la famille. Pour le conservateur, elle est LA priorité. Quand on prend soin de la famille, on prend soin de la société toute entière. Le deuxième thème, intimement lié, celui de l’éducation. C’est par l’éducation, que l’on conduit de la famille à la nation. On en vient tout naturellement au troisième thème : les territoires.
Valérie Boyer, qui à Marseille en a l’expérience très concrète, est venue parler de cette fracture des territoires, du multiculturalisme, de l’islamisme radical, et des moyens à mettre en œuvre pour retrouver l’unité de la nation. Face à tout cela il est urgent d’être conservateur, c’est-à-dire de conserver ce que notre histoire et notre culture ont construit de meilleur.
Parlez-nous de l’intervention de Laurent Wauquiez ?
Elle a commencé par une boutade : « Vous êtes déraisonnable d’utiliser ce gros mot de conservatisme ! » On l’accuse souvent d’insincérité. Il a voulu prendre le temps d’y répondre. Comme dit Mathieu Bock-Côté, la droite ne peut se contenter d’être une non-gauche. Durant des années ce sont les penseurs, les journalistes de gauche qui ont donné le “la”. Cela doit cesser.
Ce mot « eugénisme » n’a pas été lâché au hasard, il savait pertinemment qu’il y avait des journalistes dans la salle.
Il y a pourtant des LR qui se sont déclarés favorables à la PMA : Fabienne Keller, Damien Abad et tout récemment encore Christian Estrosi…
Justement. Je crois que ce mot participe à la clarification de la ligne de LR, que Sens commun appelle de ses vœux.
On a lu dans la presse que François-Xavier Bellamy pourrait être tête de la liste LR aux prochaines européennes ?
Oh vous savez, on dit beaucoup de choses, on a aussi parlé de Michel Barnier ! Il est vrai que la candidature de François-Xavier Bellamy serait un signal fort… Sens Commun ne cesse d’appeler à une cohérence entre le projet d’une Europe des nations que LR veut proposer et la personne qui devra le porter, car l’Europe est avant tout une question de volonté politique.
Les Européens parlons-en : Laurent Wauquiez a donné le sentiment de ne pas être très à l’aise pour se positionner vis-à-vis de gouvernants européens comme Salvini ou Orban, qui se définissent pourtant comme conservateurs… La voie est étroite entre ces populistes européens et Emmanuel Macron. Existe-t-elle, d’ailleurs ? Et pourquoi ne pas envisager une alliance avec le RN, DLF ou le PCD, dont les électorats sont sur bien des points proches de vous ?
Vous parlez d’Orban… Ils font partie du même groupe, le PPE. La Pologne et la Hongrie, aujourd’hui sur le banc des accusés, se sont battues et ont payé cher leur liberté d’adhérer à l’Europe. Elles savent combien nous avons besoin de l’Europe, d’une Europe protectrice et d’une Europe garante de la paix entre les peuples plutôt que source de divisions et de rancœurs.
On veut de l'Europe, mais une autre Europe qui ne mépriserait pas les peuples. Il va falloir redéfinir les compétences qui lui reviennent. L’Europe est une civilisation, avec des racines grecques et judéo-chrétiennes ; c’est bien plus qu’un marché commun ! Il est nécessaire que des nations souveraines s’unissent pour être plus fortes ensemble face aux menaces actuelles : L’Europe n’est pas condamnée à se soumettre au diktat de la mondialisation ni à une immigration qu’elle n’a pas choisie et qu’elle ne peut accepter sans se renier. Mais cela passe par la révision de ses institutions : CEDH, Commission, Cour européenne de justice et des traités transatlantiques.
Sinon les promesses de rendre aux nations leur souveraineté seront des promesses en l’air.
Il y a deux populismes, celui du peuple (qui crie : « écoutez-moi !») et celui du politique qui use de démagogie. Or, on sait que lorsqu’on referme le couvercle de la marmite, sans soupape, cela peut devenir dangereux… Le risque est que certains réduisent le peuple à leurs propres objectifs électoraux.
Marine Le Pen n’est pas conservatrice ! Être conservateur, c’est certes reconnaître que la société a besoin d’ordre pour tourner. Mais c’est aussi ne pas tout attendre de l’État et donc garder en tête ce mot de Tocqueville : Le plus grand soin d'un bon gouvernement devrait être d'habituer peu à peu les peuples à se passer de lui. Ce que la famille peut faire, ce que les corps intermédiaires peuvent faire, l’État doit le leur laisser. Un échelon crucial, celui du maire, qui est en train de disparaître. Il est très inquiétant que la moitié des maires ne veuillent plus se représenter. Cela me préoccupe plus que la tambouille des alliances électorales ! Comme dit Gérard Larcher, « le maire, c’est celui qui est à portée d’engueulade », il est au contact. Il n’est pas étonnant que certains soutiennent les gilets jaunes, et il est symptomatique qu’Emmanuel Macron s’en méfie.
Que pensez-vous justement du mouvement des Gilets jaunes que l’on qualifie de populaire et même volontiers de populiste ?
Chacun de nous peut se reconnaître dans ces gilets jaunes, ce sont des profils très divers, c’est en cela que toute la société est en souffrance.
Ce n’est pas une révolte contre le principe de l’impôt, mais imposer aux Français toujours plus de taxes alors que le chômage ne baisse pas, que l’inflation repart et que la croissance faiblit, c’est du mépris ! C’est irresponsable de ne pas réformer le fonctionnement de l’Etat : le budget 2019 de l’État prévoit une augmentation des dépenses (+ 4 milliards) et une augmentation du déficit (+ 18 milliards) ! Alors demander aux Français de participer au financement de la transition écologique, quel affront ! À Sens Commun, nous sommes contre l’écologie punitive. Comme l’a démontré avec brio Roger Scruton, la démarche conservatrice est par essence écologique. Elle préserve notre « chez nous ». Les gilets jaunes ne s’identifient peut-être pas consciemment conservateurs, ils le sont pourtant !
Alors pour conclure, de Fillon à Wauquiez, Sens commun apparaît toujours chez LR comme le nouveau logiciel que la base appelle de ses vœux, mais que la tête porte comme une tunique de Nessus, car elle sait qu’on lui en fera reproche…
C’est bien connu, l’adversaire qui n’a plus d’arguments jette l’anathème. Nous, nous revenons sans cesse au débat d’idées. Et nous avons l’audace de penser que la Droite française peut échapper au triste sort d’Héraclès si elle reste fidèle à ses fondements conservateurs.
Propos recueillis par Gabrielle Cluzel
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