Le baroud d’honneur de C8 : le film « Unplanned » avant l’extinction des feux

Avant de disparaître, C8 a choisi de programmer un film qui lève le voile sur la réalité des IVG.
Unplanned

Ce vendredi soir, quelques minutes avant que les lumières ne s'éteignent définitivement, la chaîne C8 a fait le choix étonnant de diffuser Unplanned (« Non planifié », pour l'enfant non programmé), un film américain qui lève le voile sur la cruelle réalité des interruptions volontaires de grossesse. Une forme de baroud d'honneur pour la chaîne qui s'est offert ce dernier espace de liberté pour évoquer le sujet le plus interdit, le plus sanctionné. Une « ultime provocation », s'est empressé de dénoncer Libé, qui s'offusque de la programmation d'un « téléfilm anti-avortement ultra controversé » diffusé « sans prévenir ».

 

Unplanned : « Ce qu'elle a vu a tout changé »

Le film, sorti aux États-Unis en 2019, raconte l'histoire d'Abby Johnson, jeune directrice du Planning familial qui a elle-même avorté à deux reprises et contribué à plus de 22.000 avortements. Lors du visionnage en direct d'une échographie, elle prend subitement conscience de la cruelle réalité d'une interruption volontaire de grossesse. Un véritable choc qui conduit la jeune femme à changer radicalement de vie et d'opinion, et l'amène à devenir une militante pro-vie. « Ce qu'elle a vu a tout changé », commente sobrement le site AlloCiné, qui incite le spectateur à « découvrir la vérité ». Une expérience bouleversante qui n'est pas sans rappeler celle de Norma Leah Nelson McCorvey, plus connue sous le nom de Jane Roe. Cette jeune femme à l'origine du célèbre arrêt Roe versus Wade qui a consacré en 1973, et pour 50 ans, le droit à l'IVG aux États-Unis a vécu le même revirement tout aussi spectaculaire, jusqu'à devenir la figure américaine de la lutte contre l'avortement, après avoir été convaincue par les manifestations quotidiennes de militants pro-vie devant la clinique d'IVG dans laquelle elle exerçait.

« Être anti-IVG relève de l'opinion »

Contre toute attente, malgré les polémiques, les refus de certains médias et de la majorité des chaînes de télévision de promouvoir le film, dès la première semaine de sa sortie, Unplanned engrangeait un « succès surprise », aux États-Unis, réalisant 8,6 millions de dollars de recettes et terminant quatrième au box-office. En octobre 2020, le film débarque en France, produit par le distributeur SAJE (d'inspiration chrétienne), avant d'être programmé pour la première fois par C8 le 16 août de l'année suivante. Il sera visionné par plus de 300.000 spectateurs.

À l'époque, Libération, relayant la parole des féministes, avait hurlé au « film de propagande qui accumule les mensonges grotesques, révolte les féministes et inquiète sur un droit à l’IVG sans cesse menacé ». Le quotidien qualifiait la scène où l'on voit le fœtus se débattre de « fantasme pur et simple » et réclamait une sanction. Ce que refusa Laurence Rossignol qui, au nom de « la liberté de création et d'expression [...], se déclara obligée d’admettre qu’« être anti-IVG relève de l’opinion ».

Jusqu'à ce fameux vendredi soir où, constitutionnalisation de l'IVG oblige, quelques secondes avant la reprogrammation d'UnplannedC8 prend grand soin d'avertir ses téléspectateurs avec cet encart :

« En France, toute femme a le droit de disposer de son corps comme elle l'entend. Ce droit est garanti par la loi et la Constitution. Ce récit qui n'engage que son auteur ne signifie pas remettre en question ce droit mais en mesurer toute l'importance. »

 

L'histoire d'un tabou

L'affaire semble donc bordée mais n'apaise pas pour autant les colères les plus acerbes. Si certains internautes remercient la chaîne d'avoir « défendu les êtres humains », d'autres laissent libre cours à leur détestation violente de C8 : un internaute dénonce « ce "film" [qui] devrait être interdit, incitant à la haine, jetant le discrédit sur le Planning familial, 1 pamphlet d'extrême droite ». href="https://x.com/f_royer/status/1427376853623398407" target="_blank" rel="noopener"> Les ennemis jurés de la chaîne y trouvent là pleine justification de sa fermeture par l'Arcom : « À tout ceux qui hurlent à la censure et à la dictature à propos de C8 : intimidation, homophobie, publicités interdites, propagande politique et anti-IVG, agressions sexuelles, insultes envers des élus, non-respect de la pluralité politique... tout y est ! » Certains manient carrément l'insulte : « Des déchets jusqu'au bout. Tu m'étonnes qu'ils ont continué leur merde si longtemps, c'est quoi, 100.000 €, quand c'est Bolloré qui tire les ficelles. »

Allusion à l'affaire de « la maladresse » de CNews, l'autre chaîne du même groupe condamnée, en novembre 2024, par l'Arcom à une amende de 100.000 euros pour avoir « présenté l’avortement comme la première cause de décès dans le monde, devant le cancer et le tabac ». Sanction qui n'a pas entravé la liberté personnelle de Vincent Bolloré. Auditionné il y a tout juste un an devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, il déclarait avec beaucoup de cran : « Je pense que dans cette affaire se heurtent deux libertés, la liberté des gens de disposer d'eux-mêmes et la liberté des enfants à vivre. » Avant de livrer ce témoignage intime concernant « son » propre enfant avorté : « Je peux vous dire qu'il n'y a pas un jour où je ne pense pas à cette vie que j'ai contribué à supprimer. »

Confidence mal digérée pour L'Obs qui raillait « une déviation de la discussion sur le terrain de l'intime ». Preuve ultime que, même à titre personnel, il est interdit d'en parler.

Picture of Sabine de Villeroché
Sabine de Villeroché
Journaliste à BV, ancienne avocate au barreau de Paris

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

Pourquoi prétendre être fort avec la Russie quand on est faible avec l’Algérie ?
Lire la vidéo

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois